Bony Guibléhon : « En Côte d’Ivoire, il y a des connexions entre politiques et religieux »

Dans une interview accordée à jeuneafrique.com, l’anthropologue ivoirien Bony Guibléhon* revient sur la délicate question religieuse en Côte d’Ivoire. Sans occulter le rôle que les dignitaires chrétiens et musulmans jouent sur la scène publique de son pays.

Laurent Gbagbo et Mgr Ambroise Madtha, le 6 janvier 2011. © Sia Kambou/AFP

Laurent Gbagbo et Mgr Ambroise Madtha, le 6 janvier 2011. © Sia Kambou/AFP

Publié le 14 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Jeuneafrique.com : En Côte d’Ivoire, l’enjeu religieux semble resurgir avec la dernière déclaration des évêques du pays s’opposant fermement à une intervention de la Cedeao, tandis que les chefs musulmans observent un silence très commenté. Le clivage chrétiens – musulmans est-il une grille d’explication pertinente de la crise ivoirienne ?

Bony Guibléhon : Je ne le pense pas vraiment en l’état actuel des choses, parce que cela accréditerait la thèse d’une guerre religieuse. Mais si rien n’est fait pour régler cette crise de façon durable, on risque d’arriver à une instrumentalisation des sentiments religieux de part et d’autre, ce qui aboutirait à une telle grille de lecture. Par ailleurs, le refus d’une intervention militaire de la part des évêques, n’est pas surprenant. Il participe d’une certaine conception chrétienne, selon laquelle la violence n’est pas la solution au règlement d’une crise, surtout celle-ci. Il n’y a jamais de guerre « bonne » ou « juste », encore moins de « guerre sainte ».

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Est-il exagéré de dire qu’il existe une méfiance entre leaders religieux chrétiens et musulmans en Côte d’Ivoire ?

Pour le moment, oui. C’est grâce aux efforts de ces leaders que jusque-là, la Côte d’Ivoire ne connaît pas ouvertement une guerre religieuse. Les responsables chrétiens et musulmans regroupés au sein du « Forum des confessions religieuses de Côte d’Ivoire » créée depuis 1995, à la veille des tensions sociopolitiques, ont joué un rôle important dans la consolidation des relations entre musulmans et chrétiens, mais aussi dans la médiation de la crise ivoirienne. Certes, il y a parfois des rivalités entre eux (le leadership pour le contrôle de la direction du Forum des confessions religieuses) auxquelles s’ajoutent les tensions sociopolitiques dans le pays. Mais les chefs religieux sont assez matures et conscients de leur responsabilité.

Les évangélistes ivoiriens sont souvent décrits comme "l’armée religieuse" de Gbagbo…

C’est exagéré de dire cela. Vous ne verrez jamais les évangélistes appeler à une sorte de « guerre sainte » pour défendre Laurent Gbagbo. Toutefois, la relation des chrétiens, notamment des mouvements évangéliques pentecôtistes au président Laurent Gbagbo est assez complexe. Il y a très souvent des connexions personnelles entre certains hommes politiques et certains leaders religieux chrétiens ou musulmans. Et dans un contexte de crise, les hommes politiques manifestent de plus en plus un grand intérêt pour la « spiritualité » et une quête du sacré comme une ressource mobilisable indispensable pour la conquête du pouvoir ou de sa légitimation.

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Depuis l’indépendance, le "prophétisme" fait partie du champ politique ivoirien. Comment l’expliquer ?

On a vu l’émergence des mouvements prophétiques ou des prophétismes au début du siècle dernier dont quelques figures historiques sont Wade W. Harris, Koudou Jeannot ou « Papa Nouveau ». Ce dernier est le fondateur de l’Église « Papa Nouveau ». Houphouët avait beaucoup d’estime pour ce prophète dont il disait qu’il faisait « partie de la race des prophètes purs ». Il avait prédit un destin présidentiel à Houphouët et à Gbagbo.  « Papa Nouveau » avait joué un rôle essentiel dans la vie politique du pays. Ecouté et respecté, il a été courtisé par les leaders de la classe politique ivoirienne dont Henri Konan Bédié et surtout Laurent Gbagbo dans les années 90, quand ce dernier était dans l’opposition. À sa mort, ses funérailles ont réuni l’ensemble des hommes politiques.

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Le premier homme de Dieu connu pour être plus proche du président Laurent Gbagbo fut Séverin Kacou. Mort, dans un accident de circulation, il aurait prédit avant son décès la rébellion armée qui maintient le pays coupé en deux. C’est pourquoi, il invitait les Ivoiriens, au cours d’une de ses nombreuses croisades, à prier et à confier le sort de la Côte d’Ivoire à Dieu.

En somme, la question du prophétisme est d’importance, et ne cesse d’enchanter la classe politique ivoirienne qui y prête une grande attention.

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* Le pouvoir-faire : religion, politique, ethnicité et guérison en Côte d’Ivoire, de Bony Guibléhon, L’Harmattan, 150 pages, 14 euros.

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