La méfiance persiste malgré les promesses de démocratisation faites par Ben Ali
Le discours prononcé par le président Zine el-Abidine Ben Ali, jeudi soir, suscite autant d’espoir que de suspicion dans la population tunisienne. Et si la liberté accordée n’était que provisoire, un leurre pour briser le mouvement de contestation que connaît la Tunisie depuis un mois ?
La palette des réactions au discours de Zine el-Abidine Ben Ali, annonçant une série de mesures de démocratisation du régime tunisien, est très étendue. Malgré le couvre-feu, certains se sont précipités dans les rues et klaxonnaient comme après une victoire de match de football – une attitude que certains jugent suspecte, se demandant si, aux volants, ne se trouvaient pas des partisans de Ben Ali…
Au contraire, devant le commissariat d’El Nasr, à Tunis, des manifestants se sont rassemblés et ont longuement scandé « Plutôt de l’eau et du pain que Ben Ali ». Les policiers n’ont pas bronché. L’hostilité au régime était relayée de manière unanime par Facebook où beaucoup ont affiché un retentissant « Dégage » à l’égard du président tunisien désormais sortant – il a annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2014, et qu’il ne toucherait donc pas au verrou constitutionnel de la limite d’âge. Fixée à 77 ans, alors que Ben Ali en a 75, celle-ci l’interdit de se porter candidat.
Mais le sentiment qui domine chez les Tunisiens semble être celui d’une profonde perplexité face au retournement spectaculaire de la position présidentielle. « Il est acculé, il n’a pas le choix », est une phrase qui revient sur toutes les lèvres. La méfiance règne. Tout le monde attend la grève générale de ce vendredi dans le gouvernorat de Tunis et la manifestation qui l’accompagne pour mettre l’ouverture démocratique du régime à l’épreuve des faits. Les mobilisations de ces dernières semaines sont dans tous les esprits.
Prudence dans la classe politique
Dans la classe politique, les réactions sont tout aussi prudentes. « Le fait positif, c’est que le président ait décidé de ne plus se représenter », juge dans une déclaration à la presse Mohammed Néjib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP), une formation légale mais non représentée au Parlement. Réponse du ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane, vendredi matin sur Europe 1 : la formation d’un gouvernement d’union nationale est « tout à fait faisable » et « même normale […] avec le comportement de gens comme M. Néjib Chebbi ».
« Ce discours [de Ben Ali, NDLR] ouvre des perspectives », déclare de son côté Mustapha Ben Jaafar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, membre de l’Internationale socialiste. Mais « il reste à appliquer ces intentions », souligne-t-il.
« C’est positif, le discours répond à des questions qui ont été soulevées par notre parti », dit également Ahmed Ben Brahim, chef du parti Ettajdid (ex-communiste, un député au Parlement). La militante des droits de l’homme Bouchra Bel Haji a quant à elle évoqué « un discours historique ». « Il nous a libérés et s’est libéré lui même », s’est-elle exclamée, à propos du chef de l’État.
D’autres, en revanche, n’ont plus aucune confiance en Ben Ali. Pour l’avocat et défenseur des droits de l’homme Mohamed Abbou, par exemple, le président « se moque des Tunisiens avec des promesses sans lendemain ». Pourtant, on ne peut pas dire que la libéralisation du régime n’est pas pas reçu un début d’application, même timide, dans les faits.
Ainsi, presque tous les sites internet sont désormais accessibles. C’est la fin de la censure sur le web, surnommée « Anmar 404 », une référence à un message d’erreur bien connu des internautes. Mais on demeure encore sans nouvelle du journaliste Hamma Hammami, enlevé le 12 janvier par les forces de l’ordre. Une interrogation qui conforte ceux qui ne voient dans le discours de Ben Ali qu’une forme de manipulation, ainsi que ceux qui veulent provoquer des élections anticipées.
Tunis 7, entre activisme et corruption
Autre aspect donnant à de nombreux Tunisiens le sentiment que l’ouverture de Ben Ali n’est qu’un leurre, sur la télévision publique Tunis 7, l’absurde et l’indécence se sont invités au quadrille de l’espoir et du doute. Comme pour les mouvements de liesse dans la rue, dont on ne sait s’ils sont sincères et spontanés – alors même que les morts de la répression ne sont pas tous enterrés (la police a même tué deux personnes à Kairouan pendant le discours présidentiel) -, une émission sur le thème de la corruption a révélé un spectacle quasi irréel.
Étaient reçus sur le plateau de Tunis 7 Belhassen Trabelsi, beau frère de Ben Ali et patron du groupe Karthago, ainsi que Sami Fehri, directeur de Cactus Production, une filiale de Karthago. Voir Belhassen Trabelsi parler des mauvaises pratiques du régime en matière d’argent et expliquer ce qui devait changer, alors qu’il est l’un des dirigeants les plus souvent accusés de corruption, avait déjà en soi quelque chose de déplacé. Mais le show est véritablement devenu obscène lorsque que les participants ont déclaré que la mère de Mohamed Bouazizi, le jeune diplômé qui, en s’immolant à Sidi Bouzid, a déclenché la vague de contestations, devrait pousser des youyous de joie sachant que son fils était devenu un martyr…
Parallèlement, une autre émission donnait la parole pour la première fois à des personnalités comme le président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), Mokhtar Trifi, ou l’ancien chef du syndicat des journalistes Naji Beghouri. Des appels ont été lancés pour la libération de Hamma Hammami, mais aussi de Fahem Boukadous, un journaliste qui purge une peine de prison après avoir couvert un mouvement social dans le bassin minier de Gafsa (Centre-Ouest). Que la démocratisation du régime soit effectivement en cours, ou que la liberté accordée ne soit qu’un exutoire provisoire destiné à casser la contestation, on devrait rapidement être fixé. Et savoir si quelque chose a vraiment changé sous le soleil de Tunisie…
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