Semmar, le quartier d’Alger qui valait des milliards
Il est en apparence un quartier déshérité d’Alger nommé Semmar, qui brasse en réalité des milliards de dinars. Depuis les années 1990, le commerce d’import-export y est florissant. Problème : il échappe totalement au fisc et les autorités ont bien du mal à le faire rentrer dans le giron de la légalité. Reportage.
Rues boueuses et défoncées, éclairage inexistant, et constructions grossières, Semmar, à l’est d’Alger, a l’apparence pauvre d’un quartier déshérité. Mais cette banlieue sombre est le royaume des grossistes alimentaires qui brassent des milliards de dinars et ont été mis en cause dans la flambée des prix qui a provoqué cinq jours d’émeutes meurtrières.
L’activité qui s’y déploie échappe au contrôle de l’État, et au fisc qui a tenté d’imposer l’usage des chèques pour les transactions les plus importantes : une mesure que beaucoup considèrent comme la cause des troubles récents. La méfiance règne à Semmar et, mardi, un journaliste de l’AFP a été invité par un employé d’un commerce de gros à ranger stylo et calepin. « Si on vous confond avec un contrôleur du fisc vous risquez d’être agressé », a assuré le jeune homme. « Faites attention en repartant », a-t-il conseillé.
Attentats quotidiens
Les grossistes s’y sont installés à la fin des années 1990, aprés une période où cette zone islamiste était secouée par des attentats quotidiens. L’État, étranglé par sa dette, avait alors décidé de lever son monopole sur le commerce extérieur, poussé par les institutions financières internationales. Les sociétés « d’import-import » se sont multipliées, concentrant leurs activités sur l’imporation de produits et de biens de tous genres, dans un pays dont l’essentiel des exportations est représenté par le pétrole et le gaz.
À Semmar, les dépôts se résument à des locaux aux plafonds hauts, aux murs nus et au sol en béton. Derrière de lourdes portes métalliques s’entassent des marchandises importées de tous les continents. A l’extérieur, attendent des camions venus des quatre coins d’Algérie. En face des entrepôts s’élève un haut mur gris, le long d’une voie ferrée. Il cache un bidonville, avec ses baraques en parpaings et en tôles dont les toits sont lestés de pierres et de pneus pour résister aux bourrasques de vent. Dans les tas d’ordures, des moutons cherchent une maigre pitance.
Un commerçant se souvient comment, toujours à la fin des années 1990, la municipalité de Semmar a attribué gratuitement des lôts à bâtir à des habitants que la misère risquait de pousser « dans les bras des groupes armés ». Et comment se sont alors noués les destins de plusieurs communautés. Les importateurs ont offert aux habitants démunis de construire des dépôts de marchandises dont ils deviendraient les locataires. Rapidement, le lieu est devenu le temple d’une économie parallèle « où les milliards en liquide circulent tous les jours, loin des circuits officiels et du fisc », explique le même commerçant.
Généralisation du chèque
Longue barbe, silhouette fine, sweet marron sur gandoura grise, l’homme se tenait discrètement à l’écart de son local. Et il avoue ne s’en approcher que lorsqu’il est assuré de la qualité du visiteur, dans cette zone islamiste où les agents de l’État ne sont pas les bienvenus. « Lorsqu’on devine la visite d’un contrôleur du fisc, on se passe rapidement le mot grâce à des guetteurs et on ferme », confesse un autre commerçant.
« Si l’agent de l’État parvient quand même à rentrer dans un local, il va se retrouver face à un employé qui va jouer l’idiot et qui, de toute façon, n’a aucun document à lui présenter », ajoute-t-il. Pour juguler cette économie parallèle et arrêter l’évasion fiscale, le gouvernement a décidé de généraliser l’utilisation du chèque, rare en Algérie, pour les paiements supérieurs à 500 000 dinars (5 000 euros) dès fin mars.
Les grossistes ont anticipé les sommes à verser au fisc et ont augmenté les prix, déclenchant la colère des consommateurs. Le gouvernement a décidé d’attendre. « La loi dit que les paiements supérieurs à 500 000 dinars doivent être réglés par chèque mais elle ne fixe pas de date », a expliqué dimanche à l’AFP le ministre de l’Intérieur Dahou Ould Kablia. « Ce que la voie réglementaire a fait elle peut le défaire et elle peut le corriger. »
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