La fracture militaire au centre de l’affrontement Gbagbo-Ouattara
Contrairement à ce que dit son chef, le camp de Laurent Gbagbo est sur le pied de guerre. L’armée loyaliste paraît fermement contrôlée par le président sortant, mais son unité n’est que de façade : certains officiers et soldats sont prêts à rejoindre le camp du président élu Alassane Ouattara.
L’avertissement est clair, et il vise une nouvelle fois à exalter le nationalisme du camp Gbagbo, qui prétend parler au nom de tous les Ivoiriens alors qu’une majorité d’entre eux ne lui ont pas donné leurs voix à la présidentielle du 28 novembre dernier. « Nous conseillons tout simplement à nos frères des Forces impartiales (Onuci et Licorne, NDLR) de ne plus jamais avoir sur leurs mains le sang des Ivoiriens », a lancé dimanche le chef d’état-major des forces loyalistes, le général Philippe Mangou, au cours d’une tournée des casernes à Abidjan, dont des images ont été diffusées par la RTI, télévision publique entièrement dévouée à Laurent Gbagbo, le président sortant qui refuse de céder la place au président élu Alassane Ouattara (54,1 % des voix).
« Ils ne sont pas ici pour faire la guerre aux Ivoiriens, ils sont ici pour aider les Ivoiriens à aller à la paix », a ajouté Mangou. « Nous avons connu en 2004 des événements douloureux. Les Ivoiriens n’ont pas oublié, ils ont pardonné. Nous avons décidé de fermer la page, mais nous disons à chacun de bien lire ce qui est écrit sur cette page avant qu’on ne la referme », a-t-il ajouté, appelant les « Forces impartiales » à être « véritablement impartiales ».
L’avertissement du général Mangou intervient alors que l’armée est profondément divisée par la crise qui traverse une nouvelle fois le pays. L’armée loyaliste veut à tout prix éviter que ses éléments ne désertent au profit de la rébellion, comme cela s’était produit en 2002. Le gouvernement Gbagbo a d’ailleurs accusé samedi dernier les diplomates « occidentaux » à Abidjan de chercher à « déstabiliser » le régime en tentant de faire basculer des militaires dans le camp Ouattara. En réalité, son régime n’est reconnu par aucune instance internationale et aucun pays, à part peut-être la très démocratique Gambie de Yaya Jammeh.
Ingérence française ?
Le gouvernement « ne saurait tolérer plus longtemps d’immixtion de quelque diplomate, quel que fût son rang, dans les affaires intérieures » ivoiriennes, a menacé le ministre de l’Intérieur Émile Guiriéoulou. Le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt, a répondu lors d’une visite au Burkina Faso, dimanche, qu’il récusait toute « ingérence » de Paris. Et a souligné que l’Union africaine (UA) comme la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avaient aussi reconnu la victoire de M. Ouattara.
En réalité, l’armée régulière est véritablement au centre de l’épreuve de force entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, l’un s’efforçant d’en garder le contrôle quand l’autre y cherche des appuis. « C’est l’armée qui déterminera le vrai gagnant entre Gbagbo et Ouattara », analyse un journaliste ivoirien spécialisé dans les questions militaires. Dans son ensemble, l’armée est « aussi divisée que les politiciens », souligne ce journaliste.
Conscient de cette « fracture », le Premier ministre de Ouattara et chef des Forces nouvelles (FN, ex-rebelles), Guillaume Soro, a appelé jeudi l’armée (18 000 hommes officiellement) à se placer sous l’autorité de M. Ouattara. Un appel qui reste apparemment sans effet. Mais il se murmure déjà à Abidjan que plusieurs officiers loyalistes ont reconnu la légitimité du nouveau président élu. Ce qui expliquerait la fébrilité et l’activisme du camp Gbagbo.
« On a été contacté par plusieurs officiers des Fanci (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire). C’est clair que ce n’est pas toute l’armée qui soutient Gbagbo », affirme un proche de M. Soro.
"Si je tombe, vous tombez"
Mais Laurent Gbagbo a un avantage de taille sur Alassane Ouattara : les milliers d’hommes recrutés depuis 2002 au sein de l’armée, qui lui sont redevables. « Ce sont des "soldats de guerre", de purs produits de la crise, qui ne réfléchissent pas, avance notre journaliste. On les retrouve essentiellement dans la Garde républicaine et le Cecos », une unité créée pour lutter contre le grand banditisme à Abidjan et qui, très bien équipée, a pris une place centrale dans le dispositif sécuritaire du pouvoir.
Par ailleurs, Gbagbo n’a pas non plus ménagé ses efforts pour s’assurer du soutien des officiers généraux de la gendarmerie, de la police et de l’armée. « Si je tombe, vous tombez », leur a-t-il lancé en août, lors du cinquantenaire de l’indépendance ivoirienne. Comme l’attestent les tournées de certains chefs pour mobiliser la troupe, le message est bien passé au sein d’une haute hiérarchie militaire choyée par le président sortant qui a multiplié les promotions.
Contrairement à ce que promettait Gbagbo jeudi dernier (« il n’y aura pas de guerre en Côte d’ivoire »), celui-ci se prépare activement à un nouveau conflit armé. « Tout le monde est gonflé à bloc, on n’attend que les instructions », confirmait cette semaine à l’AFP un officier du 1er Bataillon des commandos parachutistes (BCP) d’Abidjan basé à Akouédo, dans l’ouest de la ville. Et selon un autre haut gradé, en cas de nouvelle confrontation, l’armée ne commettra pas « les mêmes erreurs » qu’à l’éclatement de la crise de 2002, quand de nombreux sous-officiers avaient rejoint la rébellion. « On se connaît maintenant et on sait qui est qui », menace ce militaire. (Avec AFP)
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