Deux présidents, deux Premiers ministres… Deux pays ?
Après que deux présidents se sont déclarés – l’un élu, l’opposant Alassane Dramane Ouattara, et l’autre auto-proclamé, Laurent Gbagbo, selon la communauté internationale – la Côte d’Ivoire connaît désormais deux Premiers ministres. Alors que certains commencent déjà à fourbir leurs armes, Thabo Mbeki tente une médiation de la dernière chance. Chronique d’une partition reconduite ?
Après la nomination d’un gouvernement de treize membres par Alassane Dramane Ouattara (ADO), dont l’élection à la présidence a été volée par son adversaire Laurent Gbagbo, selon la communauté internationale chargée de superviser le scrutin, c’est au tour de ce dernier de nommer un Premier ministre en la personne de l’universitaire Gilbert Marie N’gbo Aké.
Proche du chef de l’État auto-proclamé, celui-ci est un économiste que d’aucuns considèrent comme un intellectuel, président de la principale université d`Abidjan (quartier chic de Cocody), dont les liens éventuels avec la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), un syndicat-milice téléguidé par le Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), ne sont pas connus.
"Déloger" Gbagbo
Le choix de Laurent Gbagbo est clair : en nommant un professeur d’université, il tente d’amadouer la communauté internationale en prenant à contre-pied le choix d’ADO de nommer Guillaume Soro – secrétaire général des Forces nouvelles (FN, ex-rebelles) – comme chef de son gouvernement et ministre de la Défense. Même si l’armée, peu sensible aux considérations démocratiques, a prêté allégeance à Gbagbo, celui-ci poursuit une stratégie bien étudiée : jouer la montre, sachant que le temps travail pour lui, et faire le dos rond en comptant sur un relatif retour à la normale. « Les frontières terrestres, les aéroports, les pistes d`envol et les ports sont à nouveau ouverts à la circulation des personnes et des biens » à partir de lundi matin avec des mesures de sécurité « renforcées », a ainsi indiqué l’armée dimanche, sans parler du couvre-feu qui devait prendre fin ce lundi à 6 heures locales.
S’exprimant au micro de la radio française Europe 1, Guillaume Soro a précisé la ligne de son gouvernement. « Le président Alassane Ouattara lui [Laurent Gbagbo, NDLR] a fait des propositions (pour) travailler avec lui, est prêt à lui conserver ses avantages d’ancien chef d’État s’il accepte de partir du pouvoir pacifiquement », a-t-il déclaré. Interrogé pour savoir s’il était prêt à « déloger » Gbagbo par la force s’il s’accrochait au pouvoir, Soro a répondu : « S’il nous oblige, on n’aura pas d’autre choix. […] Il n’est pas question d’arriver à une partition de la Côte d’Ivoire », a enfin prévenu le Premier ministre, qui plaide avant tout pour une issue pacifique à la crise.
Autant dire que la mission de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki paraît extrêment difficile. Pour l’instant, celui-ci n’aurait pas pour projet de proposer un solution de sortie de crise à la kényane – Gbagbo président, Ouattara Premier ministre. Lors de sa visite au palais présidentiel, dimanche, il aurait délivré le message de fermeté de l’Union africaine (UA) : Laurent Gbagbo doit reconnaître les résultats provisoires de la Commission électorale indépendante (CEI), donnant Ouattara vainqueur à 54,1 %.
Laurent Gbagbo (à dr.) accueillant Thabo Mbeki, dimanche à Abidjan.
© AFP/Seyllou
Radicalisation de la RTI
La suite des événements est donc totalement incertaine, Laurent gbagbo n’étant pas prêt à faire le moindre compromis, si l’on se fie à son discours d’investiture. « L’étranger » est toujours désigné comme un facteur de division et la cause de « graves cas d’ingérence ». Des propos qui laissent entendre qu’il sera absolument sourd aux pressions – y compris économiques (FMI, BAD, Banque mondiale, Cedeao) – de la communauté internationale.
La télévision publique RTI s’est quant à elle radicalisée, taxant la presse internationale de vouloir, selon elle, « déstabiliser la Côte d’ivoire ». Les photos de journalistes étrangers en poste à Abidjan ont même été diffusées à l’antenne. Ce qui est interprété par les observateurs comme autant de menaces voilées, compte tenu du passif violent du régime vis à vis des reporters. Et quand on connaît le rôle des médias d’État – et des « intellectuels » – dans le déclenchement des guerres civiles, cela n’augure rien de rassurant pour la réunification du pays.
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