Daara J Family : « Nous faisons de l’edu-tainment à travers notre musique »

Au lendemain de la sortie de leur nouvel album « School of Life », les ténors de la scène hip-hop sénégalaise ont donné un concert dans le cadre du Festival Africolor. Pour jeuneafrique.com, les deux leaders de Daara J Family, Ndongo D et Fadda Freddy, ont accepté de revenir sur leur parcours. Entretien.

Publié le 23 novembre 2010 Lecture : 6 minutes.

Jeuneafrique.com : Entre l’album "Boomerang" en 2003 et "School of Life", il s’est passé sept ans. C’est long !

Ndongo D : Oui c’est vrai mais ce sont sept longues années de mûrissement d’un projet, de rencontres artistiques fructueuses et de réflexions profondes sur notre projet. Sept ans de scènes à travers le monde aussi avant de sortir School of Life.

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Fadda Freddy : Aujourd’hui, la famille s’est agrandie. On est plus de trois sur scène, cinq ou six.  Après la cassure qu’on a connue [défection de Lord Alaji Man, troisième membre du Daara J originel], on a décidé justement de nous souder, de concocter un cocon qui va être très solide et indivisible.

Daara J Family est composé de 2 chanteurs-compositeurs Ndongo et Fadda Freddy, moi-même, en plus d’un groupe avec qui nous tournons à l’international. Maintenant tout le monde peut voir Daara J Family évoluer avec la formule d’avant (c’est-à-dire avec un DJ) mais en plus, nous sommes accompagnés par un bassiste, un batteur et parfois des choristes. Cela correspond à notre choix de mieux retravailler le live qui est pour nous l’avenir. Car nous sommes comme beaucoup d’artistes victimes de la crise qui frappe les industries culturelles, même si School of Life se porte bien. D’ailleurs nous sommes très heureux parce que nous tendons vers le disque d’or sur le marché sénégalais.

Et en Europe ?

Fadda Freddy : La promotion de l’album vient de démarrer en Europe. C’est une promo qui va en crescendo si je puis m’exprimer ainsi, contrairement à ce qu’on fait en Afrique. Les gens sont en train de découvrir l’album petit à petit ici.

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Des tournées européennes en vue ?

Pour l’Europe, ça sera après l’Australie où nous serons pour une série de concerts du 24 décembre 2010 au 12 janvier 2011. Donc la première tournée exclusive de School of Life à l’international sera en Australie. Nous serons à Melbourne, Sydney, Adelaïde… et dans beaucoup d’autres petites villes. Et juste après ça, parce que Paris et la France en demande, on sera de retour pour faire pas mal de dates dans la capitale et aussi en Province.

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Revenons sur le départ de votre ancien compère. Le talibé (élève, en wolof) a quitté le Daara (école, en wolof) parce qu’il a été un mauvais élève ou parce qu’il a tout simplement fini son cursus ?
 

Fadda Freddy : [Silence] Personnellement, je ne suis pas là pour juger les gens. Et je crois qu’à chacun sa route. Mais c’est surtout quelque chose de professionnel. Dans le domaine du travail, il vaut mieux que tous les violons soient bien accordés. Nous ne sommes pas les seuls à vivre de telles situations. Il y a eu les Beatles, le Backyard Band ou The Wailers. L’essentiel, c’est d’avoir une continuité. Alors que beaucoup de personnes avaient prédit que Daara J Family serait un flop total, nous sommes heureux de voir un public qui croit toujours en nous.

Pour en revenir à votre question, je ne pense pas que je pourrais juger celui qui n’est plus avec nous. De toute façon c’était Daara J et maintenant c’est Daara J Family, donc ce sont deux entités totalement différentes.

Daara J avant c’était un groupe de rap, mais aujourd’hui on constate que le style a beaucoup évolué. Est-ce un signe de maturité ou êtes-vous encore à la recherche de vos marques ? 

Ndongo D : Non. Je pense qu’on a pu faire évoluer notre musique hip-hop au cours de ces dernières années. Dès notre premier album, on réussi à montrer que nous étions assez éclectiques. Et aujourd’hui nous sommes fiers de ne pas pouvoir être catégorisé dans un style particulier. Pour nous, c’est très intéressant. En quelque sorte nous sommes des ovnis dans le paysage musical sénégalais.

Fadda Freddy : Je dirai que nous sommes des "alchimistes culturels". Alors que nos parents écoutaient Aretha Franklin, Billie Holiday, Otis Redding ou James Brown, nous on a connu Grandmaster Flash, Michael Jackson, Public Enemy. Sans oublier bien sûr les Baaba Maal, Ismaël Lo, Black Mambazo. Pour dire la grande étendue d’influences qu’on a pu subir avant même d’entamer notre carrière. Cela fait de nous une génération postindépendance, des talents libérés avec tout un choix d’inspirations pour créer une forme de musique nouvelle.

Nous avons évolué musicalement, passant du rap pur et dur à quelque chose qui reflète mieux ce que nous sommes. Nous l’appelons l’afro-hop. À fond dans la recherche musicale, nous sommes contents à travers « l’afro-hop » de pouvoir faire la balance entre les musiques anciennes et la musique moderne.

Dans le mouvement hip-hop sénégalais, les chanteurs s’attaquent directement  aux politiciens. Alors que dans vos textes, on ne sent pas cette tendance ou tentation. Vous êtes apolitiques ?

Fadda Freddy : À priori, je n’ai rien contre la politique ou les politiciens. Je trouve même que c’est noble comme activité.  Mais nous disons toujours qu’on est contre les « politi-chiens ». Ceux qui profitent justement de la politique pour parvenir à des fins personnelles, qui parfois peuvent être très néfastes pour la société. Par exemple l’enrichissement illégal qui a créé ces nouveaux riches, arrogants, et qui conduisent le peuple à la dérive.

Le rap que nous faisons est une musique à messages et de véracité. On peut se réjouir d’être un des rares groupes qui jusqu’ici n’a pas été corrompu par l’État sénégalais ou quelque autre politique que ce soit. On essaie de véhiculer cette notion d’éthique qui est souvent bafouée chez nous. 

Si on fait une chanson comme Bayi yone dans laquelle on appelle au retour aux "valeurs d’avant", c’est pour inciter les gens à se référer à de telles valeurs comme dans l’Afrique originelle. Aujourd’hui on assiste à toute sorte de dérives, en toute impunité. Et nous avons envie que ça cesse. Nous avons envie d’une vraie démocratie. Pas une démocratie menée comme une politique extérieure alors qu’à l’intérieur il y a toutes les failles qui peuvent engendrer une dictature.

Ndongo D : Le rap, c’est une musique à message, mais il faut que ça soit un message ordonné, coordonné. Notre démarche consiste à délivrer ce message au public dans la politesse, sans écarts de langage. Avec la multiplication des médias au Sénégal actuellement, on a l’impression que tout le monde veut parler. Mais nous pensons que même dans le rap on ne peut pas se permettre de dire n’importe quoi pour toucher la masse. Il y a une manière plus disciplinée pour faire passer le message.

D’où notre démarche positive qui incite à être plus subtils. C’est à dire qu’on dit les choses mais d’une manière posée, réfléchie et correcte. Pour nous, c’est le plus important. Maintenant dans le rap, le hard core est une réalité et nous n’avons rien contre mais ce n’est pas notre manière. Pour nous, ça ne touche pas les masses comme il faudrait.

Quelles sont les influences du Daara J Family ?

Fadda Freddy : Deux influences, musicales et spirituelles qu’on ne dissocie pas. Spirituellement, on est très influencés par le soufisme, inspiré par un guide religieux sénégalais du nom de Cheikh Ibrahima Niass.

Cela vous aide dans votre recherche musicale ?

Ndongo D : Beaucoup ! Pour moi, s’il n’y a pas ce côté spirituel, cela se réduit à jouer de la musique, pour amuser les gens, pour qu’ils dansent, et après c’est fini.

Fadda Freddy : Alors que nous, on ne fait pas que de l’entertainment ! On ne fait pas que du divertissement. On fait de "l’édu-tainment" ! De l’éducation avec du divertissement.

Ndongo D : Il y a des morceaux qu’on a écrits en 2000 ou 2003, c’est maintenant que les gens comprennent le message. Par exemple, Le Cycle, Borom bi ou By your side que Fadda Freddy avait fait avec Maxi Crazy.  Et c’est pareil dans notre dernier album, quand vous écoutez un titre comme Potu nda, vous vous rendez compte que c’est une chanson qui est faite pour durer au niveau "lyrical".

Justement, on va terminer avec "School of Life" que vous allez nous résumer en quelques mots ?

Fadda Freddy : School of Life veut dire l’école de la vie et quand on prend l’acronyme en français, ça donne "SOL", comme le sol. C’est un appel à l’humilité conforme à notre devise : "Savoir se rabaisser comme un talibé."  Être humble, pouvoir se mettre au même niveau que le sol. Cette terre que l’on piétine, que l’on bafoue, que l’on viole alors qu’elle nous fait vivre. La terre, qui malgré tous les torts qu’on lui fait, est toujours là pour nous revenir avec générosité, nous nourrir et nous porter. Donc School of Life, c’est l’humilité !
 

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