La Sape, une histoire haute en couleur

Congolais du pays, mais aussi des grandes capitales européennes comme Londres, Bruxelles ou Paris, les sapeurs ont fait de l’élégance un art de vivre. La Sape, Société des ambianceurs et des personnes élégantes, impose ses couleurs.

Jocelyn Le Bachelor, sapeur et propriétaire de la boutique Connivences à Paris. © Camille Dubruelh

Jocelyn Le Bachelor, sapeur et propriétaire de la boutique Connivences à Paris. © Camille Dubruelh

Publié le 22 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

« Les Occidentaux ont créé le vêtement, mais l’habillement a été inventé à Brazzaville », dit Baudouin Mouanda, un photographe qui a immortalisé de nombreux membres de la Sape (la Société des ambianceurs et des personnes élégantes). Parader en étant le mieux « sappé » possible est un art dont les prémices remontent aux débuts du XXe siècle. Dans les années 1920, lorsque les Congolais rentraient au pays après avoir combattu dans les armées belges et françaises, se vêtir en costume, avec élégance, était alors un signe de supériorité copié sur les colons blancs. Suivant des codes d’abord empruntés à l’Occident, la Sape se transforme peu à peu et les Congolais s’approprient le costume en lui apposant des couleurs vives.

Mais ce n’est que dans les années 1970 que la Sape prend une autre dimension, pour devenir la Société des ambianceurs et des personnes élégantes. Pour Baudouin Mouanda, ce mouvement a été créé par les musiciens et chanteurs de la République du Congo (la paternité de la Sape est l’objet de querelles entre les deux rives du Congo), qui s’affrontaient symboliquement en arborant des vêtements de luxe.

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« La capitale mondiale de la sape reste Brazzaville, argumente Mouanda, dans ce pays c’est une véritable institution. » Une institution à laquelle tout le monde prend part, hommes politiques compris, à l’instar du ministre de la Communication, Alain Akouala, célèbre pour être un grand adepte de ce mouvement. Un succès tel que le courant s’exporte désormais. On trouve aujourd’hui des sapeurs originaires de tous les pays du continent.

Consécration au pays

Dès les débuts, les sapeurs congolais ont investi les grandes capitales européennes pour trouver de quoi satisfaire leur désir de marque et de luxe. Mais si l’on peut les voir dans les rues de Paris, leur consécration se fait pourtant au pays.

Pour être considéré comme un « vrai sapeur », les dandys doivent rentrer au Congo-Brazzaville pour exhiber Weston (des chaussures de marque) et autres costumes colorés, et se livrer à une véritable guerre avec les concurrents. Les marques doivent être affichées, les factures exhibées, peu importe si le sapeur s’est ruiné pour acheter ses habits. Même si Baudouin Mouanda tempère : « Certains dépensent des fortunes mais d’autres qui n’ont pas les moyens, peuvent être très bien habillé en achetant dans des friperies. »

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Une guerre des vêtements, une guerre de paroles aussi. Le sapeur doit savoir argumenter sur ses choix vestimentaires pour être le meilleur. Cette bataille symbolique est aussi une revendication contre les conflits armés. Pendant la guerre civile, à la fin des années 1990, les sapeurs organisaient des spectacles dans les rues. Quand toutes les autres distractions étaient impossibles, les sapeurs ont aidé à apporté un peu de joie aux populations. « La sape a permis à un pays comme le Congo de s’en sortir à moindre frais, elle a contribué à la réunification de notre pays », argumente Jocelyn Le Bachelor, propriétaire de Connivences boutique, un des lieux phares de la Sape à Paris.

Les dix commandements

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Certains vont encore plus loin. Ben Mukasha a théorisé la « sapelogie », ou quand la sape devient « une science, un art, une culture », selon les dires de son fondateur.Même s’il l’entend comme une science, son concept semble plutôt être construit autour d’un vocabulaire religieux : dix commandements, et même une prière quotidienne.

Le vrai sapelogue, outre de devoir « se sapper sur la terre comme au ciel [commandement n°1] », ne doit pas rechigner à « coloniser les peuples sapephobes » (commandement n°10). Les « lois » de la sape ne s’arrêtent pas seulement à de beaux vêtements, le sapelogue doit aussi avoir une ligne de conduite irréprochable : « tu ne seras ni tribaliste, ni raciste, ni nationaliste, ni violent » (commandements n° 8 et 9).

« Si il existait une ville peuplée uniquement de sapelogues, il n’y aurait pas besoin de police, ni d’armée puisqu’il n’y aurait pas de violence possible », revendique Ben Mukasha. Quant à la prière, elle se récite tous les jours, avant d’aller affronter la rue, qui regorge de concurrents potentiels. « C’est une religion », avance Ndalla, une Congolaise sacrée « grande prêtresse de la Sape ».

Religion, idéologie de la propreté, art de manier les couleurs, les avis des sapeurs divergent quant à la définition de ce concept. Mais le résultat est le même, un défilé haut en couleur qui s’introduit partout. Jusque dans les coulisses des grandes maisons de couture occidentales, qui n’hésitent plus à leur tour à copier les tenues de ces élégants personnages.

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