Abdeslam Ahizoune parviendra-t-il à se maintenir à la tête de Maroc Télécom ?

Depuis la mise en vente de Maroc Télécom par le groupe français, son patron Abdeslam Ahizoune fait tout pour ne pas être marginalisé. Son bilan plaide en sa faveur.

Abdeslam Ahizoune a pris la direction de Maroc Télécom en 1998. © Youssef Boudlal/Reuters

Abdeslam Ahizoune a pris la direction de Maroc Télécom en 1998. © Youssef Boudlal/Reuters

Julien_Clemencot

Publié le 17 juillet 2013 Lecture : 5 minutes.

Abdeslam Ahizoune parviendra-t-il à se maintenir à la tête de Maroc Télécom ? À 58 ans, le président du directoire est sur la sellette depuis que le français Vivendi a décidé de céder sa filiale marocaine (dont il détient 53 % du capital) pour redresser son cours de Bourse. L’émirati Etisalat est aujourd’hui le seul candidat déclaré à la reprise. « Bien sûr, le souhait d’Ahizoune est sûrement de poursuivre sa mission. Mais pour l’heure, son cas personnel n’est pas au centre des négociations entre vendeur et acheteur », rappelle un avocat d’affaires.

Pourtant, le patron fait tout pour ne pas être marginalisé. « Son réseau est impressionnant, il s’étend de la France aux Émirats arabes unis », confie une source hexagonale. Et en premier lieu dans son propre pays. Il y a quelques mois, Abdeslam Ahizoune a apporté son concours à un projet de reprise réunissant les plus grands argentiers de la place de Casablanca : Mohamed El Ketani, patron d’Attijariwafa Bank, et Mohamed Benchaaboun, son homologue de Banque populaire. Finalement incapables de réunir les quelque 6 milliards d’euros exigés par Vivendi, les investisseurs marocains envisageraient de négocier une part minoritaire.

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Ahizoune infoIntérêt général

À la tête de l’opérateur historique depuis sa création en 1998, ce natif de Tiflet d’origine berbère s’est imposé comme l’une des principales figures du patronat marocain. Sous son commandement, la société a subi une impressionnante transformation, passant progressivement du statut de compagnie publique à celui de groupe privé. Et quel groupe ! Parmi les plus rentables d’Afrique, il est présent au Maroc, en Mauritanie, au Burkina Faso, au Mali et au Gabon. « Nous avons gardé les notions d’intérêt général et de service public en héritage », revendique le patron. Un idéal qui ne l’empêche pas de profiter des avantages du secteur privé. Récompensé pour ses résultats, il a intégré le directoire du groupe Vivendi, ce qui fait de lui l’un des chefs d’entreprise les mieux payés du Maghreb : entre 1,5 million et 2,5 millions d’euros par an depuis 2007.

L’alliance du technocrate marocain et du groupe français n’était pourtant pas évidente. Diplômé de l’École nationale supérieure des télécoms de Paris (aujourd’hui Télécom ParisTech) en 1977, Abdeslam Ahizoune est un pur produit de l’administration, au sein de laquelle il a gravi tous les échelons. En 1992, le Palais repère ce brillant trentenaire. Avec d’autres fonctionnaires, il intègre alors le gouvernement afin de conduire l’ouverture de l’économie du royaume. Ministre sous quatre gouvernements différents au cours de cette décennie, il est l’un des principaux artisans de la loi préparant l’éclatement de l’Office national des postes et des télécommunications (ONPT) en deux entités séparées, en 1998.

C’est d’ailleurs lui qui, après avoir quitté le gouvernement, dirigera l’opération, avant de prendre la direction de la branche télécoms, devenue Maroc Télécom, et de préparer sa privatisation. « Lors de la restructuration qui a suivi l’entrée de Vivendi au capital, Ahizoune a été très fin, estime un bon connaisseur de l’entreprise. Il a laissé la main sur les finances avant de regagner la confiance de son actionnaire. La considération de Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi, lui a aussi été d’une aide précieuse. » « Comme il est très intelligent, son principal défaut est de penser qu’il a toujours raison, tempère un ex-cadre dirigeant de Maroc Télécom. Il n’écoute pas les consultants. Résultat : ça manque d’air frais et d’innovation. »

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En interne, la réussite d’Abdeslam Ahizoune doit aussi se lire à l’aune du dévouement des salariés. Il suscite une véritable fascination chez ses collaborateurs, qui lui sont d’une loyauté sans faille, et n’hésite pas à jouer en permanence sur le registre de l’affectif pour les mobiliser. Patriarcal, parfois autoritaire, très attaché à la hiérarchie, l’homme peut aussi se montrer séducteur, jovial et plein d’humour. On dit de lui qu’il a toujours une histoire à raconter et qu’il est aussi bien à l’aise avec un policier qu’avec une star du show-biz. Son charisme et ses qualités humaines expliquent en partie son aptitude à désamorcer les conflits sociaux. Connu pour son attachement à la gouvernance, ce grand travailleur aime avoir les pleins pouvoirs, quitte à centraliser un grand nombre de décisions. « Je délègue, corrige-t-il, mais le reporting doit être irréprochable. »

Hors de son groupe, son souci n’est pas tant de se faire des amis que d’éviter d’avoir des ennemis. Proche de la haute fonction publique dont il est issu, Abdeslam Ahizoune entretient également des relations avec les grands patrons du privé et bon nombre d’hommes politiques marocains et étrangers. Le développement mondial de son groupe lui a en outre offert une stature internationale. « Il s’est comporté comme un véritable chef d’État en allant négocier en direct avec Omar Bongo Ondimba », rapporte un témoin du rachat de Gabon Télécom. Bien sûr, il demeure aussi un fidèle serviteur de l’État, détenteur de 30 % du capital de Maroc Télécom. C’est par exemple sur invitation des autorités que l’opérateur est entré dans le capital de la chaîne satellitaire Medi 1 Sat, avant de laisser sa part tomber progressivement à 2 %.

Patriarcal, parfois autoritaire, il peut aussi se montrer séducteur, jovial et plein d’humour.

Athlétisme

Si l’incertitude quant à son avenir demeure, Abdeslam Ahizoune peut toujours se rassurer en constatant que le roi ne l’a pas mis hors jeu. Mohammed VI lui a fait l’honneur d’être présent, le 17 juin, à l’inauguration du nouveau siège de Maroc Télécom, à Rabat. Visiblement très occupé depuis la mise en vente des parts de Vivendi, Ahizoune a renoncé ces derniers mois à ses mandats dans les conseils d’administration des filiales marocaines de l’assureur Axa et du cimentier Holcim. Passionné par le sport et la compétition, il assure également vouloir passer la main au sein de la Fédération royale marocaine d’athlétisme, dont il est le président depuis 2006.

« Qu’il reste ou non à la tête de Maroc Télécom, Ahizoune a le profil pour occuper les plus hautes fonctions au Maroc », assure un avocat d’affaires. Interrogé par Jeune Afrique sur son état d’esprit, l’intéressé joue la diversion : « J’attache beaucoup de prix à l’anticipation. Mais j’ai aussi toujours accordé une grande importance au moment présent. Actuellement, je suis très concentré sur le développement de Maroc Télécom. » Patron d’une grande entreprise privée ou publique, voire Premier ministre… Après le départ de Vivendi, l’avenir est devant lui.

Précision – Maroc Télécom précise que les discussions dans le cadre du rachat de Gabon Télécom ont eu lieu non pas avec Omar Bongo Ondimba mais « exclusivement avec les ministres et hauts fonctionnaires chargés de l’aboutissement du processus ».

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