N’Djamena : le quartier de Walia toujours sous les eaux

Voilà un peu plus d’un mois que les habitants du quartier de Walia à N’Djamena sont sous les eaux. Malgré les dangers sanitaires pour les populations de Walia, les solutions se font toujours attendre. Reportage.

Les habitants du quartier de Walia sont envahis par les eaux depuis le 12 octobre. © AFP

Les habitants du quartier de Walia sont envahis par les eaux depuis le 12 octobre. © AFP

Publié le 15 novembre 2010 Lecture : 5 minutes.

La main en visière, il regarde avec désolation l’eau qui s’étend à perte de vue. Sur son visage fatigué s’affiche pourtant le sourire de celui qui refuse de se résigner. Bombaito Philémon, inspecteur de l’éducation, 47 ans, se sait miraculé. La grande maison aux volets bleus dont il est propriétaire est toujours debout. Un trou béant a remplacé celle de son voisin. « Avec l’aide du voisinage, j’ai construit un barrage en pleine nuit, un travail titanesque », raconte-t-il en montrant fièrement du doigt une centaine de sacs superposés remplis de sable.

Dans la nuit du 11 au 12 octobre, les eaux du fleuve Chari sont sorties de leur lit. Depuis, plus d’un millier d’habitants de Walia, un quartier de la capitale tchadienne N’Djamena, est sans abri. En cause, les fortes précipitations qui ont entraîné une montée exceptionnelle des eaux. Elles ont affecté 150 000 personnes à travers le pays. Environ 15 000 personnes vivent dans ce 9e arrondissement du Sud de N’Djamena, le plus récent et le plus vaste.

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Pris au dépourvu

Bombaito Philémon habite le « Carré Walia Plantation », un petit quartier de Walia, à seulement quelques kilomètres du Cameroun. Lui et les autres Waliens n’avaient jamais vu ça. « L’eau nous a déjà inondés en 1988, 1998 et 2010, mais c’est la première fois qu’elle détruit nos maisons, déplore un de ses voisins. Les géologues savaient que le quartier est situé en contrebas du fleuve. Le gouvernement avait prévu des digues mais rien n’a été construit ! », s’emporte-t-il. Bombaito Philémon acquiesce en époussetant son costume beige. « Je ne me déplace plus qu’avec ma mobylette, mais je dois malheureusement la garer loin de chez moi désormais. »

Loin, c’est de l’autre côté de la rive, où habitait Mohamed Abdou, 31 ans. « Personne ne nous avait prévenus. En pleine nuit, l’eau est arrivée et nous a réveillés, ma femme, ma fille et moi. J’ai eu le temps d’emporter quelques affaires avant de partir », se remémore-t-il. La maison d’Esther Yanediou, sa plus proche voisine, elle aussi locataire, est toujours là. Alors pour Mohamed Abdou, il a fallu trouver une solution. Dans un premier temps, il a habité sur une parcelle de terre que son propriétaire lui a prêtée et maintenant, c’est sur le terrain de son oncle qu’il réside. Mais il le sait, cela n’est que provisoire.

« Je suis né ici, je veux reconstruire ici. Je ne veux vivre nulle part ailleurs », lance-t-il en foulant le sol caillouteux où se dressait sa maison faite de paille et d’argile. En réalité, ce que Mohamed Abdou, sa voisine Esther Yanediou et beaucoup d’autres ne veulent pas, c’est que leur quartier soit déplacé.

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Délocalisation ou reconstruction

En visite à Walia le 25 octobre, le président Idriss Deby Itno a demandé au gouvernement de prendre ses responsabilités et d’étudier la possibilité de délocaliser entièrement la population du quartier. En échange d’une compensation financière, ils rejoindraient alors le village de Toukra, à quelques kilomètres de là, où la construction d’une université est en projet. Idriss Deby Itno a estimé le coût de l’opération entre « 20 et 40 milliards de F CFA ». Il faut les reloger vite, avant la saison des pluies de la mi-juin. Mais ils n’ont eu aucune garantie pour une éventuelle reconstruction.

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« Un proverbe africain dit qu’il faut vivre là où a été enterré son placenta », rappelle Bombaito Philémon en souriant. « Mes parents sont enterrés ici, je ne bougerai pas. L’argent prévu pour le déplacement devrait être  utilisé pour construire la digue qu’on nous avait promise. » Un voisin, dont la maison qu’il occupait en colocation s’est effondrée, n’est pas de cet avis. « On fera ce que l’État décide, car ce sera la meilleure solution. »

Des chambres en colocation sont pourtant encore disponibles au « Carré Walia Plantation ». Mais, face à la forte demande, les propriétaires ont subitement augmenté les prix. « Avant, une chambre coûtait 13 500 F CFA, s’indigne Bombaito Philémon. Maintenant, il faut payer 75 000 F CFA et régler une avance de trois mois, ce qui ne se faisait pas avant l’inondation. Vraiment, les propriétaires exagèrent un peu. »

Solutions d’urgence

En attendant, des solutions d’urgence ont dû êtres trouvées. Marie-Thérèse Mbaïlemdana, le maire de N’Djamena, a fait aménager des espaces pour installer les sinistrés. Des tentes et des vivres ont été distribués. Au départ, ils logeaient dans les écoles. Avec la rentrée scolaire, ils ont du quitter les lieux et s’installer dans une salle aménagée pour eux, un peu plus loin.

Mais, peu d’enfants ont repris les cours car pour rejoindre la route, il faut désormais passer sur un étroit chemin de fortune, constitué de sacs remplis de sable, assez espacés les uns des autres pour rendre la traversée dangereuse. « Il y a trois ou quatre mètres d’eau en-dessous, des enfants sont déjà tombés », déplore Bombaito Philémon, dont le sourire a soudainement disparu. « J’interdis à mes sept enfants de se baigner pour éviter les noyades mais aussi parce que l’eau est très sale et peut les rendre malades. Mais nous savons qu’ils désobéissent alors nous vivons avec l’angoisse qu’il leur arrive malheur. »

Les habitants ont d’ailleurs eu la désagréable surprise de découvrir que l’eau de forage avait changé de couleur. Ils n’ont désormais plus d’eau potable, et la difficulté à circuler dans le quartier rend le ravitaillement difficile. Une situation qui ne peut plus durer, sachant que la montée de l’eau a eu lieu au beau milieu d’une épidémie de choléra.

Des habitants fuient le quartier pour se réfugier dans leur famille, rendant encore plus compliqué le contrôle de l’épidémie. D’autres, trop attachés à leur quartier, restent coûte que coûte. Alors, tous les regards sont rivés sur l’eau. « La nuit, nous montons la garde à tour de rôle au cas où le fleuve nous inonde à nouveau », explique Bombaito Philémon, en montrant l’endroit où ils se relaient, près de sa maison. À la fin du mois de novembre, le quartier devrait à nouveau être au sec. Le temps presse pour les milliers de sinistrés du quartier Walia, devenu une île dans la ville.

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