Raphaël Confiant et le dessein d’une « comédie créole »
Héritier des grands écrivains des Antilles qui ont su se faire un nom dans la littérature française du XXe siècle, Raphaël Confiant est l’un des auteurs les plus prolifiques de sa génération. Avec La jarre d’or, son vingt-quatrième roman, sans compter ses récits en créole, il revient sur son thème de prédilection, le mystère de l’écriture.
Dans ce qu’on peut appeler le cercle des héritiers, qu’il partage avec de grands écrivains antillais comme Maryse Condé ou Ernest Pépin, Raphaël Confiant est un auteur respecté.
Le monde romanesque de Raphaël Confiant est plein et riche, peuplé d’hommes et de femmes haut en couleur et surtout marqués du sceau de leurs origines. Ils sont békés, coolies, syro-libanais, mulâtres, chabins, câpres ou nègres noirs. Ils témoignent de la prodigieuse diversité de la société caribéenne née de l’esclavage.
"Créolité avant la lettre"
Trois siècles de métissage forcé ou volontaire ont inter-mélangé les peuples et donné naissance à une culture créole, faite d’emmêlement de traditions et de croyances. Une culture mosaïque et complexe dont Raphaël Confiant raconte d’un roman à l’autre les hauts faits, mais aussi les aliénations et les démesures.
« Le monde entier se créolise, affirme le romancier. Ce qui s’est passé aux Antilles préfigure la créolisation à l’œuvre aujourd’hui à l’échelle de la planète. Il y a quelque chose d’exemplaire dans l’expérience des Caribéens qui ont inventé de toutes pièces une identité et une culture originales. Depuis plus de 30 ans, à travers mes romans, j’essaie de montrer la force et la beauté de cette créolité avant la lettre des îles antillaises. Aussi, mon ambition la plus chère serait-elle de voir un jour mes ouvrages réunis sous le titre de “comédie créole” ! »
Une comédie dont Confiant vient d’écrire un nouveau chapitre avec La Jarre d’or*, son dernier roman. Il y revient sur le mystère de l’écriture, un thème qu’il a souvent exploré dans ses récits. Mais cette fois, il prolonge sa réflexion en l’inscrivant dans la mythologie créole.
La légende veut qu’autrefois, craignant les révoltes d’esclaves, les békés aient enterré dans un lieu secret de leur plantation tous leurs trésors. Les plus superstitieux inhumaient aussi l’esclave qui avait creusé le trou. Celui-ci devenait ainsi, selon la mythologie, le gardien symbolique de la jarre d’or.
« Dans mon nouveau roman, explique l’auteur, j’ai détourné la mythologie en transformant la jarre bourrée de bijoux et de louis d’or en une jarre de livres. Des livres que mon héros, un apprenti-écrivain, devra découvrir pour pouvoir enfin percer le mystère de l’écriture qui le taraude depuis si longtemps. La recherche de la jarre est bien sûr une métaphore, celle de l’écrivain qui fouille en son for intérieur pour y puiser l’inspiration. »
Traversée du désert
Dans le choix de sa vocation d’écrivain, l’influence d’auteurs comme Faulkner, Balzac ou Jorge Amado a été décisive. Mais, c’est dans l’univers de la plantation qu’il a connue dans sa petite enfance qu’il puise la matière et les personnages de ses récits. « Je suis en quête de ce monde perdu de mon enfance », aime-t-il rappeler.
D’ailleurs ses premiers romans qu’il fait publier à compte d’auteur sont en créole. « C’était pour moi, dit-il, une manière de me déprendre de l’emprise profonde de la culture française. »
Mais ses romans ne trouvent pas de lecteurs, car le créole est une langue essentiellement orale. Et les exemplaires s’accumulent dans la cave. Paradoxalement, c’est Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt 1992 pour son roman Texaco) qui convainc Confiant de publier ses romans en français. C’est avec ce compagnon de lutte que Confiant a écrit le célèbre Éloge de la créolité (1989), un manifeste pour la défense et l’illustration de l’identité créole. Et, plus tard, un parcours historique à travers la littérature créole, intitulé Lettres créoles : Tracées antillaises et continentales de la littérature 1635-1975 (1992),
Raphaël Confiant finit par envoyer ses manuscrits aux éditeurs métropolitains. Les éditions Grasset publient ses premiers romans : Le Nègre et l’amiral (1988), Eau de café (1991), L’Allée des soupirs (1994). Le succès est au rendez-vous. Le Martiniquais est porté aux nues par la critique qui est séduite par sa verve lyrique, son exubérance, la puissance de son imagination. Sa narration émaillée de créolismes lexicaux (« méprisation », « belleté », « amicalité », « heureuseté », « doucine » ou « fifine » pour la pluie fine), témoignent d’un projet original de « bouturer » l’oralité créole sur la littérature française.
Le fossé
Auréolé du succès littéraire, Confiant s’est imposé comme l’un des chefs de file du mouvement de la créolité. Il est une figure incontournable de la littérature antillaise contemporaine, même si dans son île, l’écrivain-militant a du mal à faire passer ses idées.
La classe moyenne martiniquaise n’a pas oublié son brûlot contre Aimé Césaire, Une traversée paradoxale dans le siècle (1993), dans lequel Confiant accusait le père de la négritude et l’artisan de la départementalisation de la Martinique d’avoir gravement compromis l’avenir de son peuple.
L’idée de la créolité n’a pas trouvé non plus d’échos enthousiastes parmi la bourgeoisie locale, qui lui préfèrent la francité, comme l’a confirmé le récent référendum pour l’autodétermination organisé par la France. 80 % de non à l’autonomie !
Le lendemain de l’annonce des résultats, Confiant commettait un billet d’humeur sur la Toile, traitant les Martiniquais de « sous-merde ». Le fossé s’est élargi au cours des années, condamnant le romancier à un exil intérieur qui ne l’empêche pas d’être toujours un conteur truculent et inventif.
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*La jarre d’or, de Raphaël Confiant, Mercure de France, 18 euros.
5 beaux romans de Raphaël Confiant
Le Nègre et l’Amiral (Grasset, 1988)
L’Allée des soupirs (Grasset, 1994)
La Panse du chacal (Mercure de France, 2004)
Adèle et la pacotilleuse (Mercure de France, 2005)
Case à Chine (Mercure de France, 2007)
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