Le boycottage des produits israéliens agite la machine judiciaire française
La justice française peut-elle condamner les actions de boycottage des produits israéliens, engagées par des associations en guise de représailles à l’opération « Plomb durci » de Tsahal contre la bande de Gaza, en 2008 ? Si les tribunaux de l’Hexagone ne se sont pas encore prononcés sur le fond, les plaintes pour « provocation à la discrimination » se multiplient.
Depuis l’opération Plomb durci sur Gaza durant l’hiver 2008-2009, les actions pacifiques de boycottage des produits israéliens se sont multipliées en Europe. Elles constituent la première phase de la campagne BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions), initiée en 2005 par la société civile palestinienne, et qui a été relayée par des associations, des artistes et des syndicats – y compris en Israël.
Inquiet de l’impact économique de ce phénomène, Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France, a déclaré en janvier 2010 : « Nous encourageons des organisations à porter plainte contre les organisateurs du boycott. Nous conduisons des activités politiques en liaison directe avec des ministres. »
Dès février, la ministre française de la Justice, Michèle Alliot-Marie, a relayé cette instruction en confondant – à dessein ? – origine israélienne et judaïsme : « Je n’accepterai pas que des personnes, responsables associatifs, politiques ou simples citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont casher ou qu’ils proviennent d’Israël. » Tous les acteurs de la campagne BDS ont évidemment réfuté avec la dernière vigueur avoir ciblé des produits casher…
« Criminalisation de la solidarité »
« J’ai adressé une circulaire aux parquets généraux […], a poursuivi la ministre. J’attends que tous les auteurs soient poursuivis ». Une injonction très vite suivi dans les faits. Le 14 octobre, la convocation de Alima Boumediene-Thiery, sénatrice (Verts), et de Omar Slaouti, un cadre du Nouveau parti anti-capitaliste (NPA) de Olivier Besancenot, devant le tribunal de Pontoise, s’inscrivait dans cette politique du gouvernement français. Qui est qualifiée par les associations de « criminalisation de la solidarité ».
L’appel au boycottage d’un État sera-t-il condamné en France ? C’est ce que craignent les associations militant pour la Palestine, mais aussi les défenseurs de la liberté d’opinion. « Jamais auparavant il n’y avait eu de poursuite parce qu’on appelait au boycott. Même pas à l’époque pour l’Afrique du Sud. Cela relève de la liberté d’expression : il faut que la justice soit très claire », jugeait Me Antoine Comte, l’avocat des prévenus.
« Derrière l’antisionisme, il y a toujours de l’antisémitisme », estimait pour sa part Me Charles Baccouche, représentant de l’association Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), une des parties civiles. Un argument qui n’a pas été tranché sur le fond, et pour cause : la plainte a été jugée irrecevable pour vices de forme. « C’est un camouflet pour le ministère », estimait pourtant un juriste à la sortie de l’audience.
Le problème reste donc entier. Les manquements d’une enseigne à l’obligation européenne de traçabilité des produits étiquetés « Israël », pour déterminer s’ils viennent des colonies illégales de Cisjordanie, peuvent-ils légitimer une action militante ? Si un État viole le droit international, appeler au boycott constitue-t-il une « provocation à la discrimination » ? Autant de questions auxquelles seront confrontés, en France cet hiver, les prévenus de quatre autres procès pour des affaires similaires.
Sammy Ghozlan, président du BNVCA, a annoncé avoir déposé 80 plaintes de ce type devant les tribunaux – y compris contre Stéphane Hessel, 92 ans, ancien déporté et corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’espoir est cependant permis aux boycotteurs : en Écosse ou aux Pays-Bas, des actions en justice de même nature ont été récemment déboutées.
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