Avec « Omerta dans la police », Sihem Souid dénonce le racisme de la PAF
« Omerta dans la police » de Sihem Souid paraît ce jeudi 14 octobre au Cherche midi. Dans son livre édifiant, cette fonctionnaire française d’origine tunisienne dénonce le racisme et les discriminations au sein de la Police aux frontières (PAF) de l’aéroport d’Orly (sud de Paris), où elle a travaillé pendant plus de trois ans. Interview.
Sihem Souid a longtemps gardé le silence. Rattrapée par sa conscience, elle s’est décidée à dénoncer les faits dont elle a été témoin. Dans Omerta dans la police*, qui sort en librairie en France ce 14 octobre, elle raconte le racisme, les discriminations, l’homophobie, le sexisme et la corruption. Preuves à l’appui, Sihem raconte par le menu ce qu’elle a vu et entendu pendant les trois ans et demi passés à la Police aux frontières (PAF) de l’aéroport d’Orly, dans la banlieue sud de Paris.
« C’est le fait d’une minorité qui salit la majorité mais, si personne ne se bat, on va droit au mur, souligne la fonctionnaire de police d’origine tunisienne. La France a mal à sa police. J’ai peur pour notre pays, j’ai peur pour la France. On a franchi la ligne blanche. Le pays des droits de l’homme… On ne peut pas accepter ça ! », dit-elle.
Les révélations de Sihem Souid pourraient lui coûter son travail et peut-être plus : l’ancien contrôleur général de la PAF, Alain Bianchi, fortement mis en cause dans l’ouvrage, se réserve le droit de la poursuivre.
Jeuneafrique.com : Certains policiers d’origine étrangère sont particulièrement zélés dans la lutte contre l’immigration clandestine…
Sihem Souid : Au service de l’immigration, le doute est toujours mis sur les personnes d’origine étrangère, et ils se sentent donc obligés d’en faire trois fois plus pour prouver qu’ils appliquent la loi sereinement et de façon très stricte pour ne pas être accusés d’aide à l’immigration illégale. Parce que quand on est d’origine étrangère, on est les premiers suspects.
Quelles techniques sont utilisées pour gonfler les chiffres des expulsions ?
Il y a notamment les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. À l’époque où j’étais à la PAF, ils étaient signés par le préfet du Val-de-Marne, le procureur de la République de Créteil et le directeur de la PAF d’Orly. Ils sont utilisés pour des personnes illégalement présentes sur le territoire français mais, pour dire qu’il y a eu un expulsé de plus, ils sont parfois signés contre des personnes en situation régulière, ayant un visa valide. Le problème, ce sont les conséquences désastreuses : ces personnes sont fichées et ne pourront plus revenir en France. Ça arrive souvent.
Racisme aux frontières : une policière témoigne (1/2)
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Vous parlez aussi d’altération volontaire des passeports…
Certains collègues se permettent d’abîmer, de chiffonner, les passeports des « bonnes » cibles : les voyageurs qui ne savent pas parler français, qui vont avoir du mal à se défendre. En trois ans et demi de PAF, c’est arrivé une dizaine de fois devant moi, et c’est beaucoup trop ! Mais la pression pour faire du chiffre est si forte que ça incite certains à avoir des comportements contraires aux valeurs républicaines, à la dignité de l’homme…
Au final, les policiers sont victimes de la pression de leur hiérarchie ?
Ce sont les premières victimes. Le gouvernement impose des chiffres, la hiérarchie nous les impose. On nous dit : « Aujourd’hui on a fait cinq expulsés, demain on doit en faire six, le surlendemain sept… » Si on ne suit pas, on se fait supprimer ses primes, etc. Le souci, c’est que ça fait faire n’importe quoi à certains collègues et que ça favorise le racisme. Avec cette politique du chiffre, un policier raciste va encore libérer plus facilement sa parole.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) a reconnu que vous aviez été victime de discrimination. Avez-vous reçu le courrier attestant sa décision ?
Louis Schweitzer a reconnu que j’avais été discriminée. Mais il y a eu un changement de président, les collégiales ont changé… La décision devait être rendue publique au mois de juin, puis ça a été reporté en septembre pour l’impact médiatique. Début septembre arrive, je vois madame [Jeannette] Bougrab (la nouvelle présidente de la Halde, NDLR), qui promet de m’appeler pour fixer un rendez-vous. Elle ne l’a jamais fait.
Certaines personnes de la Halde disent qu’elle a reçu des appels du gouvernement pour que mon dossier soit mis de côté, détruit. Je ne sais pas si c’est vrai et si elle a cassé la décision de Louis Schweitzer, mais je n’ai aucune confiance en madame Bougrab : elle a été candidate UMP (parti au pouvoir, NDLR) dans le 18e arrondissement de Paris lors des législatives [de 2007]. C’est un soldat de monsieur Sarkozy. J’attends toutefois son courrier. Si elle rend justice en disant qu’il y a eu discrimination, je m’excuserais auprès d’elle personnellement.
Racisme aux frontières : une policière témoigne (2/2)
envoyé par Mediapart. – L’info internationale vidéo.
Votre livre n’était pas encore sorti que déjà des victimes de racisme se manifestaient…
Mes avocates, Mes Béatrice Dubreuil et Samia Maktouf, n’arrêtent pas de recevoir des appels de fonctionnaires de la PAF d’Orly. Ils disent qu’ils m’ont vue sur Canal+, que tout ce que je dis est vrai, que c’est de pire en pire depuis que je suis partie, qu’ils ne savent pas quoi faire, que certains sont en arrêt-maladie, qu’ils subissent de grosses pressions…
Il y en a une qui a appelé en pleurs, qui n’en pouvait plus, qui était en dépression depuis des mois parce qu’on lui a fait les pires misères, que toute la journée on l’appelait « sale bougnoule de service ». Ces gens n’ont jamais osé porter plainte mais là, ils ont saisi mon cabinet d’avocats, et c’est extraordinaire : ça va permettre aux autres victimes de se plaindre, de dire haut et fort ce qui se passe.
Avez-vous peur de perdre votre travail ?
Si les gens se taisent, c’est aussi parce qu’ils ont peur de perdre leur emploi. Et ils ont raison parce que, moi, je vais me retrouver virée, avec une petite fille et que je n’ai pas de travail qui m’attend demain, c’est clair ! La machine à broyer s’est déclenchée contre moi. Mais je me battrai jusqu’au bout pour ne pas être virée. Ce n’est pas à moi de partir, c’est à ces gens-là de partir ! Je souffre. C’est tellement injuste, tellement inhumain, tellement ignoble… Je n’ai fait que mon devoir en dénonçant tout ça. À un moment, il faut arrêter, il faut dire stop.
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*Omerta dans la police, de Sihem Souid, Le cherche midi, 269 pages, 18 euros, en librairies le 14 octobre.
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