Bibish Mumbu, une virtuose de la dramaturgie du quotidien
La jeune auteure congolaise Marie-Louise Bibish Mumbu présente pas moins de deux spectacles au festival des Francophonies en Limousin. L’occasion de découvrir une dramaturge engagée, qui s’attache à décrire les heurs et malheurs de la jeunesse congolaise.
Elle n’est pas très compliquée « Bibish ». De quoi rêve-t-elle ? D’une vie bien à elle. Tout simplement. D’un foyer chaleureux, de deux beaux jumeaux à élever, d’un travail, d’un peu d’argent au fond de son porte-monnaie même si elle n’en a pas besoin. Quoi de plus ordinaire ? Et pourtant quand on a 35 ans à Kinshasa, quoi de plus difficile ? Alors quand on lui demande ce que lui évoque le cinquantenaire de l’indépendance de son pays, ça la laisse perplexe. Ou plutôt ça l’irrite. « Si tu me dis indépendance, ma première réaction est de le vivre comme une insulte ; ça me renvoie à son contraire. »
Se construire une vie
Marie-Louise Bibish Mumbu, qui a rajouté Bibish en souvenir du surnom que son père lui avait donné, est une femme de caractère. Élevée au sein d’une modeste famille d’intellectuels (son père était fonctionnaire, sa mère institutrice), elle a grandit aux côtés des mots doux des livres qu’elle engloutit et des lettres tendres qu’elle adresse, enfant, tous les soirs à son père. De petits billets qui accompagnent son carnet scolaire… jusqu’à ce que la mort la prive du destinataire de ces messages quotidiens.
À 18 ans, la jeune femme doit apprendre à se construire une vie sans lui. « Après son décès, je n’avais plus goût à rien. J’étais un vrai zombi. Il m’a fallu visionner l’enregistrement des funérailles de mon père pour me vider de la tristesse que je contenais et revenir à la vie », raconte-t-elle.
Elle décide alors d’entreprendre des études de journalisme et devient correspondante pour Africultures en 1998. Elle couvre l’actualité théâtrale de la capitale congolaise pour la revue culturelle basée en France. Un métier qui l’amène à croiser Faustin Linyekula. Le chorégraphe a lu l’un de ses articles qui condamne la danse contemporaine, une forme d’expression qu’elle estime alors hermétique et étrangère à la culture congolaise. Piqué au vif, Linyekula n’en est pas moins curieux de la rencontrer. Pour la convaincre de son erreur ?
Nouvelle discipline
« Sans doute y avait-il de cela. Mais lorsque Faustin a lu mon article, il s’est dit qu’il fallait qu’il revienne à Kin [Kinsasha, NDLR] pour être plus proche des siens, pour faire découvrir ce qu’est la danse contemporaine aux Congolais. » Comble de l’ironie, il demande à Marie-Louise d’être l’administratrice de sa compagnie. De 2001 à 2003, elle découvre une nouvelle discipline. « Ce fut une véritable ouverture, raconte-t-elle. Mais l’écriture, le contact avec les mots me manquaient. »
Encouragée par le directeur du Centre culturel français, la jeune femme s’inscrit à un atelier d’écriture dramatique. Après quelques hésitations, elle fonce : « Ça n’a pas été évident. J’étais jeune, j’étais une femme et en plus j’étais une journaliste de théâtre qui voulait s’asseoir à la même table que les dramaturges, des professionnels dont j’avais critiqué les spectacles, pour apprendre leur métier ! »
Posée mais décidée, « Bibish » ne lâche rien. Et signe son premier texte, Mes obsessions, j’y pense et puis je crie !, qui sera joué à Kin. Faustin Linyekula découvre une nouvelle facette de celle qui est devenue son amie et lui propose, en 2005, de monter avec elle Le Festival des mensonges. Un spectacle d’art vivant qui mêle danse et théâtre sur des discours des personnalités politiques qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la RD Congo, du roi des Belges à Kabila père. Des textes confrontés à ceux que la jeune auteure écrit sur le quotidien congolais.
Des raisons d’espèrer
C’est à partir de cette vie de tous les jours qu’elle a écrit Samantha à Kinshasa*, qui sera joué du 30 septembre au 2 octobre prochains à Limoges dans le cadre du festival des Francophonies en Limousin. Cadre où elle a présenté, avec son ami Papy Mbwiti, Et si on te disait indépendant ? Nos 50 bonnes raisons d’espérer, les 25 et 26 septembre derniers. Une lecture de textes qui évoquent une jeunesse kinoise peu concernée par les célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays, tant la survie au quotidien est une bataille chaque jour plus difficile à remporter.
Une répétition de Et si on te disait indépendant ? Nos 50 bonnes raisons d’espérer (de Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti).
© Patrick Fabre
Aujourd’hui, Marie-Louise et Papy s’interrogent : « Quels sont nos motifs de fierté ? » L’histoire de la RD Congo n’est guère (ou mal) enseignée. « À part sa statue, je ne connais rien de Lumumba », reconnaît une jeune Kinoise dans une vidéo projetée sur scène. Et de poursuivre : « Pour le Congo, l’indépendance, ce n’est pas quelque chose que je sens. Ce pays se comporte comme un enfant qui réclame son indépendance à la maison. Quand il quitte la maison, il revient ensuite vers ses parents pour demander de l’aide. »
Et Papy Mbwiti de dresser la longue liste des produits importés (la farine du Zimbabwe, les pastilles Vicks chinoises, l’huile de palme bolivienne…), des minerais exportés qui enrichissent les pays du Nord, des forces armées étrangères (notamment la Monusco) présentes sur le sol congolais… Alors comment trouver « 50 bonnes raisons d’espérer » ? Parce qu’ils n’ont pas baissé les bras, parce que la vie est parfois plus forte que tout, les deux auteurs ont choisi de miser sur la nouvelle génération, sur cette jeunesse qui refuse de s’assigner comme horizon le passé des indépendances des années 1960, mais qui regardent vers l’avenir.
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*Samantha à Kinshasa, de Marie-Louise Bibish Mumbu, mise en scène de Catherine Boskowitz, du 30 septembre au 2 octobre au festival Les Francophonies en Limousin (Limoges).
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