L’homme qui voulait brûler le Coran

Le projet du pasteur américain Terry Jones de brûler un Coran en public enflamme la planète islam. Et pourrait conduire à une multiplication des actes antimusulmans aux États-Unis, où les cérémonies de commémoration du 11 septembre se dérouleront juste après la fête de fin du ramadan.

Photo d’une vidéo de pasteur Terry Jones, le 8 septembre 2010. © AFP

Photo d’une vidéo de pasteur Terry Jones, le 8 septembre 2010. © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 9 septembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Actualisé à 13h02.

Comment passer de l’obscurité la plus complète à la renommée internationale en l’espace d’une journée ? Aux États-Unis, où succès rime forcément avec célébrité, un pasteur  de l’église baptiste a trouvé la solution. Pour s’attirer de nouveaux fidèles et passer à la télévision, Terry Jones du « Dove World Outreach Center, un groupe extrémiste chrétien, projette d’instituer un « Koran Burning Day », c’est à dire de brûler publiquement le Coran pour commémorer (dans la haine) les attentats du 11 septembre 2001. Quoi de mieux qu’un bon scandale pour redresser les finances de cette communauté baptiste de Floride et même, pourquoi pas, faire affluer les millions de dollars ?

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Le général David Petraeus, commandant des troupes américaines en Afghanistan, s’est alarmé « des répercussions possibles » du projet de Terry Jones, qui « pourrait mettre en danger à la fois les troupes et l’effort global en Afghanistan ». Et le pasteur de nouer un dialogue à distance avec le général, en reconnaissant que les inquiétudes de ce dernier étaient « légitimes ».

Le pasteur, jusqu’ici anonyme, peut être fier de lui. La levée de bouclier est mondiale et son nom circule en boucle sur les chaînes de télévision. Le Vatican a prévenu mercredi que son acte serait « un geste de grave offense envers un livre considéré comme sacré par une communauté religieuse ». Quant à la prestigieuse institution sunnite Al-Azhar, basée au Caire et proche du pouvoir égyptien, elle a demandé au président américain Barack Obama, venu au Caire en juin 2009 pour un discours adressé au monde musulman, de stopper le projet.

« L’islam est diabolique »

« Si le gouvernement [américain, NDLR] ne parvient pas à l’arrêter, cela constituera la dernière manifestation en date du terrorisme religieux, et cela ruinera les relations de l’Amérique avec le monde musulman », a déclaré Cheikh Abdel el-Moati el-Bayoumi, un des principaux responsables d’Al-Azhar.

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Les États ne sont pas en reste. Téhéran a réprouvé un acte qui déclencherait des « sentiments incontrôlables » dans les nations musulmanes, et conseillé aux pays occidentaux d’empêcher l’exploitation de la liberté d’expression pour insulter les livres saints ». De son côté, le président libanais Michel Sleimane, maronite, a appelé à « une réflexion profonde sur les enseignements du christianisme et de l’humanisme », dénonçant un projet « en claire contradiction avec les enseignements des trois religions abrahamiques et le dialogue entre les trois confessions ». Quant aux plus hautes autorités indonésiennes, malaisiennes, pakistanaises et indiennes, elles ont également appelé le gouvernement américain à mettre un terme au funeste projet de Terry Jones, qualifié de « fanatique » par le président de la Ligue arabe, Amr Moussa.

Mais le pasteur brûleur arborant bacchantes et cheveux blancs tient bon. Droit dans ses mocassins, l’auteur d’un livre sobrement intitulé L’islam est diabolique n’hésite pas à défier les grands de la planète pour combattre, dit-il, « le démon de l’islam ».

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« Au moment où je vous parle, nous n’avons aucune intention d’annuler », a-t-il déclaré à la presse mercredi. « Le temps est venu pour nous de nous tenir debout pour combattre le terrorisme ». Quelque 200 exemplaires du Coran doivent être brûlés samedi 11 septembre vers 18h00 locales (22h00 GMT) à Gainesville, une petite ville jusqu’à présent sans histoire du Nord de la Floride. Où il risque de faire un peu plus chaud que d’habitude.

Une amende de 250 dollars pour les pyromanes

Face à la recrudescence du sentiment antimusulman, qui s’est concrétisé récemment par l’opposition à la construction d’une mosquée près de Ground Zero, les autorités s’organisent. Mais leur marge de manœuvre, limitée par le premier amendement de la Constitution qui garantit la liberté d’expression, est très étroite.

Un porte-parole de la municipalité de Gainsville, Bob Woods, a indiqué qu’en brûlant le Coran, les responsables de la communauté religieuse violeraient un article municipal interdisant les feux en plein air. Ils  risqueraient ainsi une amende… de 250 dollars. Un tarif guère dissuasif. Mais des arrestations pourraient aussi intervenir. « Cela dépendra de ce qui se passera après l’intervention des pompiers et de la police de Gainesville pour éteindre le feu », a expliqué l’agent municipal. « Nous avons des plans pour toutes les éventualités », rassure le brave homme. Mais en réalité, une multiplication des incidents entre musulmans et chrétiens n’est pas à exclure dans tout le pays.

D’autant que, cette année, les célébrations de la fin du ramadan, prévues le 10 septembre, se télescopent avec celles des attentats du 11 septembre. « On assiste à une puissante vague de rhétorique antimusulmans dans notre société, qui a conduit à un grand nombre d’incidents racistes visant des mosquées et des musulmans à travers le pays », explique Ibrahim Hooper, expert du centre de réflexion « Council on American-Islamic Relations ». Aux États-Unis, l’Aïd el-Fitr devra donc se fêter… en toute discrétion.

(avec AFP)
 

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