Investiture sur mesure pour Kagamé
Réglée comme du papier à musique, la cérémonie d’investiture du président rwandais Paul Kagamé s’est déroulée en présence d’une douzaine de chefs d’État africains. Elle a été l’occasion de sceller la réconciliation avec la RD Congo , mais surtout de prononcer un discours musclé à l’encontre des organisations humanitaires internationales. Reportage de notre envoyée spéciale.
C’est au cours d’une cérémonie sobre et bien calibrée qu’a été investi le président Paul Kagamé, réélu le 9 août dernier à la tête du Rwanda avec 93 % des voix. Ce 6 septembre, le stade national de Amahoro, dans un quartier du nord-est de Kigali, accueillait environ 35 000 personnes enthousiastes et disciplinées, sélectionnées à travers le pays par des comités locaux. Une douzaine de chefs d’État africains y ont également assisté. Les arrivées sur l’estrade des présidents de la sous-région, Pierre Nkurunziza du Burundi, Mwai Kibaki du Kenya, Bingu Wa Mutharika du Malawi et surtout Joseph Kabila de RD Congo, ont été particulièrement applaudies par le public.
Comme le protocole exigeait que la longévité au pouvoir conditionne l’ordre d’arrivée, le président burkinabè Blaise Compaore (23 années à la tête de l’État) s’est installé le dernier à la tribune d’honneur, dans l’indifférence quasi-générale du public. S’il avait été présent, le président ougandais Yoweri Museveni serait arrivé encore après lui (il est au pouvoir depuis 24 ans). Et son absence a été remarquée.
L’entrée de Kagamé dans le stade a été le point culminant de l’excitation populaire, évidente mais néanmoins contenue. À cet instant même, une tribune de la presse s’effondrait partiellement sans faire de victimes ni de dégâts. Un incident qui en fit sourire plus d’un, certains étant visiblement convaincus qu’il s’agissait d’un signe de la réprobation divine envers des journalistes souvent critiques envers Kigali.
ONG peu charitables
Après sa prestation de serment, cérémonie placée sous la protection des chefs spirituels des trois principales communautés religieuses du Rwanda – catholicisme, protestantisme, islam -, Kagamé a prononcé un discours très offensif envers les organisations internationales, accusées d’être souvent peu charitables avec le régime rwandais. En juillet dernier, un certain nombre d’entre elles avaient dénoncé une campagne électorale répressive envers l’opposition ; en août, elles avaient épinglé l’exploitation d’une loi contre la propagande génocidaire pour museler la presse (Amnesty International) ; et plus récemment, elles ont fait paraître dans la presse un projet de rapport de l’ONU (à paraître le 1er octobre) qualifiant les crimes présumés commis à l’Est de la RD Congo par l’armée rwandaise de « génocide ». Des fuites qui ont provoqué la fureur de Kigali.
En anglais d’abord, avec l’autorisation du public, puis en kinyarwanda, Kagamé a prononcé son discours avec un débit lent et solennel. « Les gouvernements africains sont souvent accusés d’être corrompus et de ne pas répondre aux besoins de leurs populations. Mais quand nous faisons ce que tout gouvernement est censé faire, notamment fournir des services, instaurer le sens de la « redevabilité », […] et rehausser le niveau de vie, on assiste à des changements d’objectifs et nous nous trouvons alors accusés de forcer le progrès sur la population et d’être répressifs. […]Cette duplicité […] trahit l’hypocrisie et une attitude condescendante envers notre continent, laquelle perpétue le cycle de pauvreté et de sous-développement. […] Les critiques habituels du Rwanda peuvent dire ce qu’ils veulent, mais ils ne dicteront en rien la direction que nous prenons en tant que nation […]. En conséquence, nous rejetons catégoriquement toutes leurs accusations », a-t-il martelé de sa voix haut perchée.
L’autre axe du discours présidentiel peut se résumer par le titre d’une chanson : « Continuer à gagner » , qui a été interprétée au début de la cérémonie par le jeune chanteur Jean de Dieu Tuyisenge. Celui-ci a perçu 200 000 francs rwandais (270 euros) pour chanter le tube qui l’a rendu célèbre. Il l’avait composé au printemps pour le président.
Bilan flatteur
Le thème de la chanson recoupait aussi bien sûr un de ceux de la campagne électorale, qui avait pour slogan « le voyage continue ». Dans son discours, Kagamé a expliqué qu’il poursuivrait son action dans la ligne définie pour le pays : « amélioration des conditions de vie », « expansion de l’accès à l’éducation et aux services de santé », « décentralisation », « investissements dans les technologies d’information », « promotion du commerce »…
La veille de la cérémonie, Kigali avait d’ailleurs accueilli une réunion africaine du Groupe de promotion des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), créé en juin et co-présidé par Kagamé. Celui-ci a présenté pour le Rwanda un bilan assez flatteur. Le pays peut s’enorgueillir d’importants progrès concernant le recul de la prévalence du sida et du paludisme, ou sur la promotion des femmes. En revanche, les objectifs concernant la lutte contre la pauvreté ne seront a priori pas atteints avant la date butoir de 2015.
Accompagné de son chef d’état-major, le président a ensuite passé en revue quelques milliers de soldats et policiers présents sur la pelouse du stade, le lieutenant-général Charles Kayonga. Celui-ci occupe le psote qu’avait autrefois Faustin Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud depuis mars dernier et qui a subi une tentative d’assassinat en juin.
Après avoir reçu les symboles nationaux du Rwanda (constitution, drapeau, emblème, lance et bouclier ), contemplé les danseurs traditionnels et salué ses homologues africains, le président a quitté le stade Amahoro. Avec un retard que les organisateurs se pardonneront peut-être : il était 12h45, et non pas « 12h07 », comme l’avait annoncé le programme officiel.
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