Kigali précise ses menaces
C’est désormais officiel : le Rwanda a préparé un plan de retrait de ses troupes stationnées au Soudan si le rapport de l’ONU suspectant ses soldats de « génocide » en RD Congo entre 1997 et 1998 venait à être publié. Pour les ONG qui luttent contre l’impunité, en revanche, les coupables présumés de massacres doivent être traduits en justice.
Le chantage est simpliste. Sera-t-il efficace ? Si l’ONU publie un rapport suspectant Kigali de crimes en RD Congo de 1996 à 1998, alors le Rwanda retirera ses 3 550 soldats de la paix au Soudan, a averti mardi le porte-parole de l’armée rwandaise, le lieutenant-colonel Jill Rutaremara.
« Les Forces de défense rwandaise (RDF) ont finalisé un plan urgent de retrait de leurs soldats de la paix au Soudan en réponse à une directive du gouvernement si l’ONU publie son rapport outrancier et préjudiciable », a-t-il indiqué par un communiqué. « Le retrait sera le plus rapide possible (…). Il s’appliquera à tous les soldats des RDF servant au sein de la mission de paix ONU/Union africaine (Minuad) au Darfour, et de la Mission des Nations Unies au Soudan (Unmis) », précise le document.
Si un compromis peut être atteint, la manœuvre a vraisemblablement peu de chance de réussir et risque d’amener le régime rwandais à s’isoler davantage sur la scène internationale. L’ONU, certes, reproduit les principaux rapports de force internationaux à travers les pouvoirs préemptés par le Conseil de sécurité, favorable au Rwanda. Mais il y a deux variables difficilement maîtrisables en temps de paix : l’opinion dite « mondiale » et la gouvernance dite « humanitaire » – les lobbies constitués par des milliers d’ONG que Kigali, visiblement, ne supporte pas.
Justice ou impunité
« Pour nous, tout cela est toujours et encore du déjà vu. (…) avec les mêmes Nations unies qui ont regardé plus d’un million de Rwandais mourir dans ce pays. Il est très facile de prendre la seule armée qui a mis fin au génocide et de l’accuser de génocide », a déclaré mardi, au cours d’une conférence de presse, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. Laquelle a ajouté que le projet de rapport était « la continuation de l’attitude qui prévaut parmi de nombreuses organisations internationales, essentiellement de défense des droits de l’homme, à la suite de génocide de 1994 ».
Ce n’est pas la première fois que Kigali menace de restreindre sa coopération avec l’ONU, mais son chantage n’a jamais été aussi précis. « Nous avons clairement signifié à l’ONU que s’il publie ce rapport au nom des Nations unies, nous n’aurons d’autre choix que de retirer nos troupes du Darfour », a expliqué Louise Mushikiwabo.
« L’ONU ne peut pas gagner sur les deux tableaux, c’est l’un ou l’autre. On ne peut pas accuser notre armée de pourchasser des civils sur la base de leur ethnie – en gros une accusation de génocide -, et demander à cette même armée d’être une force morale et disciplinée pour protéger les civils dans le monde », selon la ministre.
Pour Reed Brody, ex-enquêteur de l’ONU sur les massacres en RD Congo en 1997-1998 et aujourd’hui directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch (HRW), il ne s’agit pourtant que d’impunité ou de justice.
Rapport « enterré »
« La question qui se pose maintenant, comme à l’époque, est de savoir si la communauté internationale, notamment le Rwanda et les États-Unis, ont la volonté politique d’identifier les meurtriers et de les traduire en justice », explique-t-il.
Quelque 200 000 Hutus ont disparu dans les années 1990, selon les chiffres de l’ONU et des agences humanitaires. « Si ces massacres à grande échelle ne sont pas punis, alors la région sera condamnée à vivre de nouvelles atrocités (…). Il n’est pas trop tard pour que la justice soit faite », ajoute Reed Brody.
La mission de l’ONU lancée par l’ancien secrétaire général Kofi Annan était d’enquêter sur des « allégations d’exactions perpétrées par les forces de Laurent-Désiré Kabila [père de l’actuel président congolais, NDLR] lors de leur offensive victorieuse sur l’armée du maréchal Mobutu Sese Seko, d’octobre 1996 à mai 1997 ». Mais en avril 1998, Kofi Annan avait pris la décision de retirer la mission de la RD Congo « devant les obstacles répétés mis par le gouvernement de Laurent-Désiré Kabila au travail » des trois experts.
« Les membres de la mission estiment que certains de ces massacres pourraient constituer un génocide (…), et appellent à enquêter davantage sur ces crimes et leur motivation », avait alors plaidé Kofi Annan devant le Conseil de sécurité, qui n’avait pas bougé. Pis, le rapport très partiel que l’ONU avait eu le temps de publier avait été « enterré » par le Conseil, selon Reed Brody.
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