Ramadan : jouer ou jeûner, faut-il choisir ?
Comment les joueurs professionnels de football, musulmans et pratiquants, arrivent-ils à concilier compétition sportive de haut niveau et respect du ramadan ? Car si faire le jeûne procure une grande satisfaction spirituelle, cela constitue aussi un sérieux risque de blessures. Enquête dans les coulisses du foot français.
À l’heure du ramadan
Ali Karimi est iranien, musulman et pratiquant. Il est aussi footballeur professionnel, et malgré ses croyances, il a décidé de ne pas faire le ramadan cette année. Le 15 août, la sanction des dirigeants du Steel Azin FC, son club de Téhéran, est tombée comme un carton rouge : le joueur, parfois qualifié de « Maradona asiatique », a été purement et simplement exclu de l’effectif. Et le fait qu’il soutienne ostensiblement Mir Hossein Moussavi, le premier opposant au président Mahmoud Ahmadinejad, n’est sans doute pas une simple coïncidence… Mais l’affaire a eu le mérite de poser le délicat débat sur la difficulté de concilier la pratique d’un sport de haut niveau avec le respect du cinquième pilier de l’islam.
En France, pays comptant quelque cinq à sept millions de musulmans (10 % de la population), les footballeurs de cette confession sont légion. Certains ne sont pas très croyants, voire pas pratiquants du tout. D’autres respectent à la virgule près les commandements de l’islam, dont le ramadan. Mais en 2010, la tendance à la souplesse et à l’aménagement du temps de jeûne a tendance à se confirmer. Quelques joueurs, dont Hatem Ben Arfa notamment, ont clairement fait savoir qu’ils ne feraient pas le ramadan « à cause de [sa] rudesse ».
« Jeûner, c’est toujours compliqué, et notamment quand on exerce certaines professions. Et puis, on le fait pour soi, pas pour les autres », explique l’ancien international marocain Walid Regragui (qui a joué à Toulouse, AC Ajaccio, Santander, Dijon, Grenoble). « L’été, avec la chaleur et quand on est en pleine phase de préparation ou de reprise des championnats, c’est encore plus dur. Quand j’étais professionnel, je faisais le ramadan, mais en l’aménageant. Je ne jeûnais jamais les jours du match, et je rattrapais ces journées plus tard dans l’année, comme le Coran l’autorise. »
Chacun sa méthode
Le Sénégalais Abasse Ba (Le Havre, Ligue 2), applique la même méthode. Il va même jusqu’à décaler aussi le jeûne de la veille du match. « Je fais cela depuis que je joue au haut niveau, car honnêtement, ne pas boire et ne pas manger alors que vous avez un match à disputer, c’est trop difficile », reconnaît le défenseur havrais.
Le ramadan a débuté cette année en plein cœur de l’été, et le lever du soleil très précoce oblige les joueurs pratiquants à se lever tôt pour s’alimenter. « Il faut être debout vers 4 h 15 pour manger à 5 heures, explique Abasse Ba. Comme j’ai souvent entraînement vers 9 heures, je consomme des sucres lents. Je vous avoue que les pâtes à 5 heures du mat’, ce n’est pas ce que je préfère… »
Les entraîneurs, qui doivent d’abord gérer un effectif, sont comme les joueurs : ils ont chacun leur approche du problème. Alain Perrin, qui avait refusé de se plier aux doléances des Algériens Saïfi et Ghazi lorsqu’il entraînait l’équipe de Troyes, avait été confirmé dans son attitude lors de son arrivée à Marseille. Un imam lui avait alors assuré que les sportifs de haut niveau pouvaient reporter le ramadan ou carrément le remplacer par des dons.
Risque accru de blessures
Autres clubs, autres moeurs. Christian Gourcuff (Lorient), lui, aménage ses entraînements, tandis que Francis Gillot (Sochaux) s’en remet à la conscience professionnelle de ses joueurs. « Ils font ce qu’ils veulent, mais ils savent aussi qu’ils multiplient les risques de blessures en ne s’alimentant pas et en ne buvant pas, surtout lorsqu’il y a un match », prévient-il.
« En jeûnant, les sportifs se mettent en danger, car ils sont plus faibles et encourent davantage de risques de se blesser », explique le nutritionniste Denis Riché, qui intervient ponctuellement dans plusieurs clubs français (Toulouse et Lille) et anglais (Chelsea). « Comme ils s’alimentent et s’hydratent moins que les autres, ils peuvent aussi ne pas être au même niveau que leurs coéquipiers », poursuit-il.
Un manque de dynamisme qui peut porter préjudice aux clubs qui emploient les joueurs souvent à des tarifs élevés. Ces derniers sont d’ailleurs les premiers à reconnaître que le respect du jeûne du ramadan pendant la compétition constitue un frein pour la performance, sinon pour la carrière. Mais ils sont encore nombreux à placer la spiritualité avant l’exploit sportif. Regragui et Ba admettent ainsi que le jeûne n’est physiologiquement « pas idéal ». Et ils sont également conscients des risques de blessures. « Surtout la dernière semaine, et quinze jours après, précise Regragui. Mais nous tenons grâce à la foi. »
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