Sidi Sosso Diarra : « Mon prochain rapport va faire du bruit »

Le vérificateur général du Mali, chargé d’auditer en toute indépendance les comptes des projets et agences du gouvernement, s’apprête à rendre son dernier rapport au président, Amadou Toumani Touré. Un baroud d’honneur que Sidi Sosso Diarra, après plus de six années de mission, promet explosif. Interview.

Sidi Sosso Diarra, le « monsieur anticorruption » du Mali. © Vincent Fournier, pour J.A.

Sidi Sosso Diarra, le « monsieur anticorruption » du Mali. © Vincent Fournier, pour J.A.

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 6 juillet 2010 Lecture : 7 minutes.

Jeuneafrique.com : C’est votre septième année en tant de vérificateur général du Mali et votre mandat s’achèvera fin mars 2011. Quel bilan tirez-vous de votre expérience ?

Sidi Sosso Diarra : C’est assez positif. Le Bureau du vérificateur général [BVG, NDLR] est parti de rien. Il a fallu recruter du personnel compétent, établir des procédures écrites et ancrer dans les mentalités l’indépendance de l’institution. Cela a demandé beaucoup de travail, mais je crois que nous y sommes parvenus.

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Vous faites désormais partie du paysage ?

Oui, même s’il y a encore, ici ou là, quelques poches de résistance… Et ce, jusqu’au plus haut niveau de certains ministères. Mais dans l’ensemble, les progrès sont remarquables. Au début, nous étions confrontés à l’hostilité de presque toute l’administration.

En sept ans, y a-t-il eu une amélioration de la gestion des finances publiques au Mali ?

Globalement, oui, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le devoir de suivi de nos propres recommandations nous incombe. Ensuite, parce que nos partenaires techniques et financiers ont fait de nos rapports un de leurs points de repère. Certains conditionnent la signature de leurs accords au taux de mise en œuvre de nos recommandations. Par conséquent, le Premier ministre lui-même suit de près notre travail. Nous sommes à un taux de mise en oeuvre de nos recomandations de plus de 70 % dans les entités que nous avons visitées.

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Quelles proportions du manque à gagner lié aux anomalies dans les comptes publics peut-on imputer à la mauvaise gestion, et à la délinquance financière ?

Environ 60 % pour la première. Et 40 % pour la seconde. Nous avons jusqu’à présent constaté 250 milliards de francs CFA de manque à gagner cumulé, dont 50 milliards ont pu être récupérés.

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La délinquance financière diminue-t-elle ?

C’est difficile à dire. Pour se prononcer, il faudrait revenir dans les entités plusieurs années de suite. Or, le champ d’investigation est tellement vaste que cela n’a pas été possible. En revanche, je peux assurer de façon catégorique qu’aux impôts et à la douane, les comportements ont changé. Mais pour avoir une vision d’ensemble, il faudrait que l’État lui-même s’attelle à ce travail.

Ce n’est pas le cas ?

Pas suffisamment, en tout cas.

Vous avez été assigné en justice par d’anciens employés du BVG pour « entrave à la liberté de travail ». Puis – ce qui est plus sérieux – pour « emploi illégal de la force publique ». Vous aviez en effet appelé la police lorsque ceux-ci s’étaient présentés, malgré leur licenciement. Où en est la procédure ?

Tout est parti d’un problème de statut des employés issus de la fonction publique. Les fonctionnaires qui nous rejoignaient devaient se mettre en disponibilité, et non en détachement. J’ai été obligé de remercier ceux qui n’ont pas tenu parole, et ce sont ceux-là qui m’ont accusé de licenciement abusif. Mais aujourd’hui, ils ne font plus partie des effectifs. Et le juge en charge de l’affaire a été récemment dessaisi, ce qui me laisse espérer un classement sans suite très prochainement.

Quelle est la part de manipulation et de déstabilisation dans cette affaire ?

Il y a au moins 99 % de manipulation ! Au départ, il s’agissait d’un banal conflit entre un employeur et des employés. Mais ce conflit a été criminalisé avec le chef d’accusation « d’emploi illégal de la force publique », pour que je risque cinq à dix ans de prison. Heureusement, la réaction populaire a été très vive et je crois que c’est ça qui a fait reculer les instigateurs de cette cabale.

Quel était leur but ?

Si la population avait accepté que je passe une seule nuit en prison, on m’en aurait fait passer quelques-unes de plus et l’on aurait créé une vacance de fait à la tête du BVG. Comme on ne peut pas me limoger, mon mandat de sept ans étant irrévocable, on aurait donc nommé quelqu’un d’autre pour me remplacer – un suppléant ou un intérimaire -, et j’aurais été mis sur la touche.

Votre adjoint n’est pas resté neutre dans cette affaire…

En effet, il a même été très actif, en se rangeant du côté des fonctionnaires avec qui je suis en procès.

Il est toujours en poste ?

Oui, mais il ne vient plus au bureau, tout en continuant à percevoir son salaire. Et comme l’État, qui nous paie, a l’air de s’accommoder de cette situation, je ne peux rien dire…

Le BVG ne se contrôle donc pas lui-même ?

Effectivement ! (Rires) C’est pour cela que le poste d’adjoint est supprimé dans la réforme de modernisation de l’État proposée par la Commission Daba Diawara.

La Commission Daba Diawara propose aussi la création d’une Cour des comptes au Mali. Qu’en pensez-vous ?

C’est une réforme très importante, même si on met un peu la charrue avant les bœufs. Je m’explique. Pour juger les comptes publics, il faut une comptabilité qui soit dans un état auditable. En France, il a fallu pas moins de dix années pour atteindre ce niveau… Nous avons donc besoin de ce travail en priorité. À terme, l’avantage de la Cour des comptes, c’est qu’elle pourra donner des suites juridiques aux constats faits par le BVG. Cela rendra plus efficace la lutte contre la corruption.

Comment peut-on encore améliorer cette lutte contre la corruption au Mali ?

Il faut que la justice soit modernisée. Un grand projet de développement de la justice (Prodej, NDLR) est en cours mais il est trop morcelé en sous-commissions, avec une multitude de centres de décisions. Le Commissariat au développement institutionnel, qui le pilote, n’a pas les moyens de sa politique : les directeurs des sous-projets du Prodej sont sous la tutelle de différents ministères, ils ne peuvent donc pas imposer leurs vues aux ministres. Le Mali reçoit beaucoup d’aide internationale. C’est très bien, mais nous devons encore faire beaucoup d’efforts dans la gestion de cette manne financière.

Que va-t-on trouver dans le rapport 2009, qui sera remis le 19 juillet au président Amadou Toumani Touré ?

Nous avons notamment ausculté « l’initiative riz », un projet de la Primature qui a été très critiqué. Un gros problème que nous avons rencontré, c’est la non-comptabilité des fonds de la Primature, contrairement à ce qui se passe au Burkina Faso, par exemple, où il est question de la justification de certains fonds. Autre dossier sensible, comportant de nombreuses zones d’ombres et sur lequel les députés eux-mêmes nous ont demandé d’enquêter : la privatisation ratée des huileries cotonnières du Mali (Huicoma). Vous le voyez, ce rapport risque d’être iconoclaste et de faire du bruit !

Nous avons aussi audité les agences du Trésor public dans tout le Mali – excepté celles de Bamako que nous avons traitées l’année dernière – et il y a eu beaucoup de mauvaises surprises…. Le gros problème c’est que le côté « dépenses » est informatisé, alors que le côté « recettes » en est encore à l’âge de pierre.

Ce sera votre dernier rapport ?

Ce sera le dernier rapport annuel. Un cadeau de départ, en somme. Mais je compte en rendre un tout dernier en mars 2011, qui fera le bilan de mes sept années au BVG.

D’autres pays de la sous-région sont-ils intéressés par l’expérience malienne du BVG ?

Oui, beaucoup. Quand je les rencontre des hauts dirigeants de ces États, ils sont très enthousiastes et admiratifs. Mais très vite, quelque chose les fait reculer : l’indépendance du bureau ! En y réfléchissant, ils se disent que c’est peut-être un peu tôt pour eux… (Rires) Au Mali, le BVG a totalement échappé aux pouvoirs, son ancrage est très fort.

Avez-vous fait des erreurs au cours de votre mission ?

Oui, au début, beaucoup de gens contestaient nos rapports a posteriori, même si personne ne répondait à mes invitations pour en débattre publiquement. Désormais, nous incluons toutes les preuves du respect de la procédure contradictoire dans le rapport – pas seulement dans le dossier qui l’accompagne -, et il n’y a plus de critiques.

Autre erreur : les premiers rapports étaient très polémiques, car nous traduisions le manque à gagner en nombre de maternités, en kilomètres de routes, etc. Ça avait beaucoup choqué les pouvoirs publics ! Mais depuis trois ans, nous travaillons beaucoup avec le Canada sur la forme des rapports, pour dépassionner le débat et gommer l’aspect émotionnel des choses.

Vous avez des projets politiques pour l’après-BVG ?

Oui, je ne peux plus rester indifférent à la vie politique du pays. Mais comme j’ai un devoir de réserve jusqu’au 31 mars 2011, je ne peux pas vous en dire plus. Je sais ce qu’il faut faire pour améliorer la gestion des finances publiques. Il y a de gros chantiers à initier, dans l’informatisation des services, dans les douanes… Le matériel est abordable, il ne manque que la volonté politique.

Si l’on vous proposait un ministère, lequel aurait votre préférence ?

Étant financier, je serais naturellement tenté par les Finances. Mais ce qui me plairait davantage, ce serait l’Agriculture ou l’Éducation. Des ministères certes difficiles, mais où l’on peut faire du bon travail. Avec des moyens limités, c’est d’abord une question d’organisation et de priorités.

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