Driss Benhima, PDG de la RAM : « Nous revenons de loin »

Après avoir subi des pertes colossales en 2011, la compagnie relève la tête. Son dirigeant espère atteindre l’équilibre financier à la fin de l’année.

Le polytechnicien dirige l’entreprise depuis près de sept ans. © Hassan Ouazzani/JA

Le polytechnicien dirige l’entreprise depuis près de sept ans. © Hassan Ouazzani/JA

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 8 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

A la tête de la compagnie depuis 2006, le PDG de Royal Air Maroc (RAM) est en plein milieu d’une manoeuvre complexe : redresser une entreprise qui partait en piqué. Confronté à des pertes de 1,7 milliard de dirhams (155,7 millions d’euros) en 2011, le transporteur poursuit sa restructuration entamée il y a deux ans. Plan de départs volontaires, réduction des coûts, désengagement des métiers ne relevant pas directement de l’aérien… La potion est amère. Mais les premiers résultats se font sentir, avec un retour à l’équilibre prévu pour la fin de 2013. Rencontré au Salon international de l’aéronautique et de l’espace, au Bourget, près de Paris, Driss Benhima, 59 ans, polytechnicien boulimique de travail, nous livre son analyse des bouleversements du secteur et les perspectives qu’il envisage pour sa compagnie.

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Jeune Afrique : Qu’êtes-vous venu faire au salon du Bourget ?

Driss Benhima : D’abord promouvoir la filière aéronautique marocaine, dans laquelle la RAM a joué un rôle de pionnière. Ma compagnie a créé deux coentreprises dans le domaine de la maintenance d’avions. La première, créée il y a plus de dix ans avec le français Snecma, est active dans l’entretien des moteurs ; son chiffre d’affaires n’a cessé de croître. La seconde, Aerotechnic Industries (ATI), réalise la maintenance des habitacles de Boeing 737 NG et d’Airbus A320. Elle a été fondée plus récemment, en 2009, avec Air France Industries. Nous y avons transféré l’ensemble des équipes de la RAM de ce secteur, qui étaient jusqu’alors sous-employées. Aujourd’hui, grâce à la force commerciale d’Air France combinée avec la productivité marocaine, ATI ne chôme jamais.

Et dans le domaine de la peinture d’avions, nous sommes en train de finaliser un troisième partenariat, encore confidentiel, avec une autre société française, leader de ce secteur. Là encore, cette opération nous permettra d’externaliser une activité déficitaire, exclusivement tournée vers les appareils de la RAM, pour en faire une coentreprise rentable. Désormais, les avions africains, européens et même asiatiques viennent à Casablanca, devenu un pôle de maintenance !

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Ces externalisations font partie du plan de restructuration, qui prévoit aussi un rajeunissement de votre flotte. Avez-vous conclu à ce salon l’achat de nouveaux appareils ?

Nous prévoyons de doubler notre flotte de long-courriers, de 5 à 10 appareils, et de nous équiper d’une dizaine de moyen-courriers de 100 sièges. Mais contrairement à ce que le grand public peut croire, on ne vient pas au Bourget pour faire ses emplettes ! Quand elle achète des avions, la RAM, compagnie publique, procède par appel d’offres. Nous avons pris contact avec tous les constructeurs, européens et américains, mais aussi chinois.

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Pour faire des économies d’exploitation, la RAM a décidé de conserver moins de types d’avions différents et s’est séparée de ses Airbus. Boeing est-il donc le favori pour vos prochains achats ?

Nous avons choisi d’utiliser des appareils de même type : des Boeing 737 et 747 sur les long-courriers et moyen-courriers, et des ATR pour les plus petites capacités. À l’avenir, nous continuerons de privilégier un seul constructeur par catégorie d’avion. Pour les long-courriers, Boeing dispose d’un avantage sur Airbus puisque nos équipes sont habituées à ses procédures. Mais nous ne nous interdisons pas de changer, si cela nous permet de réaliser des économies considérables.

Nous assistons à une véritable révolution aéronautique. Les nouveaux modèles d’avion, avec leurs habitacles en matériaux composites et leurs moteurs ultraéconomiques, sont révolutionnaires. Ils ont rendu obsolètes les anciens modèles. C’est vrai pour l’A350 d’Airbus et le Dreamliner de Boeing comme pour les plus petits modèles de 100 places de Bombardier et d’Embraer, que nous étudions attentivement.

Si l’industrie aéronautique a le vent en poupe, les compagnies aériennes, elles, souffrent. Comment l’expliquez-vous ?

Toutes les compagnies vivent des temps difficiles… Sauf celles qui ont un puits de pétrole derrière chacun de leurs avions ! La libéralisation a été violente, en particulier au Maroc. Au moins, dans les télécoms, il y a un régulateur qui ne laisse pas entrer n’importe qui [sur le marché] ! En plus de la concurrence sauvage, nous subissons l’explosion du prix du carburant et l’augmentation des taxes aéroportuaires en Europe. Nous devons aussi nous conformer aux règles de protection des passagers, qui pèsent uniquement sur les compagnies. La diminution drastique des quotas accordés au Maroc [par l’Arabie saoudite] pour le pèlerinage à La Mecque illustre bien ce point : nous avons dû rembourser les pèlerins éconduits, mais supporter seuls les frais que nous avions engagés pour ce voyage !

Dans ce contexte morose, quel est l’état des finances de la RAM ? Votre résultat d’exploitation est de nouveau positif, mais votre résultat net reste déficitaire de 43,3 millions de dirhams en 2012.

Nous revenons de loin. La RAM est passée d’une situation semi-monopolistique confortable à une mise en concurrence débridée. Nous avons fait un effort d’adaptation impressionnant pour comprimer nos coûts d’exploitation tout en améliorant notre qualité de service et en étendant notre réseau. L’augmentation de 7,1 % de notre chiffre d’affaires et la baisse de nos charges [de 4,8 %] prouvent que nous sommes sur la bonne voie. Nous sommes soutenus par notre actionnaire, l’État, qui a clarifié ses attentes en matière de service public. Il a notamment mis en place un mécanisme de soutien financier pour les lignes intérieures déficitaires. L’adhésion du personnel est également essentielle. Pas moins d’un tiers des salariés ont accepté de quitter la compagnie pour aller vers des activités externalisées ou pour se lancer dans d’autres projets.

Quels objectifs financiers vous êtes-vous fixés ?

Nous visons l’équilibre à la fin de 2013 et nous continuons notre restructuration, notamment avec l’achat d’une vingtaine d’avions d’ici à quatre ans.

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L’offensive des compagnies low cost au Maroc est intensive. Comment la RAM peut-elle résister ?

Nous faisons face à une véritable invasion. Les compagnies à bas coûts ont débarqué avec des prix cassés. Certaines d’entre elles ont carrément détruit le marché, en continuant de voler malgré les pertes. Nous n’avons eu d’autre choix que de recentrer nos vols vers les destinations non touristiques, principalement Casablanca et Rabat. Mais aujourd’hui, les compagnies low cost ont réduit la voilure en direction des villes touristiques… et changent de cible : elles s’attaquent à la clientèle marocaine de Casa et de Rabat. C’est une menace extrêmement sérieuse, j’espère que notre personnel en est conscient.

Quelle est la rentabilité de votre réseau africain, qui compte 29 destinations hors du Maroc ?

En Afrique, nos destinations les plus intéressantes sont les petits pays mal desservis et enclavés. La Gambie en est un exemple emblématique : grâce à nos fréquences quotidiennes vers Banjul, nous offrons aux passagers de ce pays les meilleures liaisons vers l’Europe et l’Amérique du Nord via notre hub de Casablanca. Et demain, avec l’ouverture de vols vers le Brésil, ils pourront même rallier l’Amérique du Sud !

L’Afrique de l’Ouest, où la RAM est très présente, est peu ouverte à la concurrence. Pensez-vous que les gouvernements vont libéraliser le marché ?

Les États de cette région doivent changer d’approche. Ils ont le choix entre ouvrir l’accès au secteur aérien ou protéger leur compagnie nationale. Dans l’intérêt de leur population, ils doivent opter pour la première solution. L’exemple de la RAM prouve que l’ouverture des marchés ne rime pas forcément avec la disparition de la compagnie nationale, à condition que cette dernière s’adapte pour encaisser les chocs. À l’inverse, les conséquences des choix du Sénégal sont à méditer : Karim Wade [ministre d’État chargé des Transports aériens de 2009 à 2012] a réussi le double et triste exploit de créer une compagnie nationale deux fois plus petite qu’Air Sénégal International [ancienne filiale de la RAM] et de diminuer de 47 % le trafic vers l’aéroport de Dakar !

Aérien : pourquoi le low cost fait peur

La libéralisation du secteur au Maroc et en Égypte a attiré une nuée de transporteurs à bas prix. Un exemple qui inquiète Tunisair et Air Algérie.

En 2004, année de signature de l’accord avec l’UE, on comptait 22 transporteurs aériens dans le pays. Six ans plus tard, ils étaient 44, dont 18 compagnies low cost assurant 35 % des vols. En tête de l’offensive, Ryanair (42 lignes vers le Maroc), suivi de Jetairfly (35), d’EasyJet (18), et de l’émirati Air Arabia (13). Résultat : la confortable part de marché de Royal Air Maroc (RAM) a fondu comme neige au soleil, passant de 62 % en 2003 à moins de 50 % aujourd’hui, malgré les baisses de prix consenties.

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