Peter Erlinder, l’homme qui agace Kigali
Malgré les pressions américaines, la justice rwandaise est restée ferme. Lundi 7 juin, le tribunal de Kigali a rejeté la demande de remise en liberté de l’Américain Peter Erlinder. Avocat de l’opposante Victoire Ingabire, il est accusé de négation du génocide et d’atteinte à la sécurité nationale.
Lorsque Peter Erlinder est arrivé au Rwanda, le mois dernier, il ne se doutait probablement pas du sort qui lui serait réservé. Habitué à défendre des accusés impopulaires, il était venu assister l’opposante Victoire Ingabire, accusée, entre autres, de négationnisme. Et il avait ignoré les conseils de ses collègues du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui lui recommandaient de ne pas se mêler à cette affaire.
Arrêté le 28 mai, celui qui préside l’Association des avocats de la défense du TPIR – laquelle regroupe certains conseils des responsables présumés du génocide – risque jusqu’à 25 ans de prison pour négation du génocide et atteinte à la sécurité nationale. En cause : certains des ses écrits et déclarations.
Irritations de Kigali
Ce professeur de droit de l’université américaine William-Mitchell, dans le Minnesota, avait déjà sérieusement irrité Paul Kagamé en contribuant à monter une action en justice contre ce dernier devant un tribunal de l’Oklahoma, rappelle le New York Times. Il avait également fait part de sa conviction que le Front patriotique rwandais (FPR, ex-rébellion dirigée par l’actuel président Paul Kagamé) était responsable de l’attentat qui avait causé la mort de l’ancien président, Juvénal Habyarimana, à l’aube du génocide de 1994.
Une allégation qui ne passe pas à Kigali : c’est cette même hypothèse, un temps suivie par le juge d’instruction français Jean-Louis Bruguière dans l’enquête sur l’attentat, qui avait provoqué la rupture diplomatique entre le Rwanda et la France pendant trois ans.
« Acte de justice »
Peter Erlinder est désormais au centre d’un bras de fer diplomatique entre le Rwanda et les États-Unis, alliés et bailleurs de fonds traditionnel de Kigali. Trois jours avant l’interpellation de l’avocat, l’administration américaine avait critiqué le gouvernement rwandais, responsable, selon elle, d’une « série d’actions inquiétantes […] qui constituent des tentatives de restreindre la liberté d’expression » à l’approche de la présidentielle d’août prochain.
Le gouvernement nie pourtant tout caractère politique à ce dossier. Il s’agit d’un « acte de justice », a martelé la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. « Peut-être que M. Erlinder pensait que sa nationalité, sa stature académique, son profil dans les médias le protégeraient », ajoute-t-elle dans un communiqué. « Ceux qui nient le génocide – qu’ils soient riches ou puissants – sont considérés par les Rwandais comme de grands criminels. »
Mystérieuse « tentative de suicide »
« Je réalise pour la première fois combien mes vagues écrits publiés en Amérique étaient graves et pouvaient correspondre à une négation du génocide », a déclaré Erlinder devant le tribunal de Kigali, vendredi.
Deux jours plus tôt, il avait été retrouvé affaibli dans sa cellule, conséquence d’une « tentative de suicide », selon la police rwandaise. Une version que ses proches – avec qui il dit n’avoir pas pu communiquer depuis son arrestation – contestent vivement.
Peter Erlinder a demandé une remise en liberté sous caution pour pouvoir retourner se soigner dans son pays, promettant de se plier à toutes ses obligations devant la justice rwandaise. « Je croyais que ce pays avait progressé démocratiquement. Mais si je suis détenu et poursuivi, mon procès confirmera ce qu’on en dit à l’étranger », avait-il déclaré, selon l’agence américaine Associated Press. Un couplet qui n’a visiblement pas convaincu le tribunal. Si son appel est à nouveau rejeté, il attendra son audience, prévue début juillet, au Rwanda, dans sa cellule de prison.
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