Maroc : Tanger Med 2 contre vents et marées
En annonçant le démarrage des travaux titanesques de la deuxième tranche du mégacomplexe portuaire – la première est en service depuis 2007 -, les autorités misent sur la reprise économique du secteur maritime.
Au nord du Maroc, il a énormément plu ces derniers mois. Le sol est spongieux, mais, qu’il pleuve ou qu’il vente, le directeur de projet, un colosse à la poignée de main franche, n’en a cure : le chantier doit avancer pour tenir les délais serrés exigés par le Maroc. Même en ce vendredi 26 février, veille de la fête musulmane du Mawlid An-Nabi, l’heure n’est pas à la relâche. Des ouvriers s’appliquent à bétonner une voie d’accès au futur port passager, et des grutiers posent des dalles pour finaliser un quai.
« Fin 2003, il n’y avait ici qu’une plage et des roseaux. Regardez maintenant ! » s’enthousiasme Sylvain Gimenez, désignant les 1 600 mètres de quai de Tanger Med 1, auxquels sont amarrés des porte-conteneurs en train d’être chargés, et l’immense digue faite de 40 caissons de béton pesant chacun 7 500 tonnes et mesurant 35 mètres de haut. « Une solution respectueuse de l’environnement car elle nous évite de remblayer avec des enrochements provenant de carrières », précise-t-il.
Classe mondiale
Et l’ingénieur français d’évoquer les multiples défis auxquels ses équipes ont été confrontées depuis cinq ans pour faire jaillir sur cette côte escarpée et quasi déserte un port de marchandises de classe mondiale situé à 14 kilomètres de l’Espagne : « Nous avons dû draguer pas moins de 5 millions de m3 au fond de l’eau pour pouvoir accueillir les grands porte-conteneurs, naviguer avec nos chalands face aux courants marins puissants qui se croisent dans le détroit et installer une véritable ville pour les milliers d’ouvriers et leurs familles », égrène-t-il.
Exporter un nouveau savoir-faire
Avec les chantiers et l’exploitation du nouveau port, c’est tout un champ de compétences qui a été gagné par le Maroc. Ouvriers, mais aussi ingénieurs ou chefs de chantier ont acquis une expérience qu’ils pourront mettre à profit plus tard. Saïd Elhadi, président du directoire de l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA), explique que TMSA Ingénierie, la filiale en charge des études et du suivi de chantier, pourra se positionner à l’avenir comme un bureau d’études expert de l’aménagement portuaire. Sylvain Gimenez, directeur de projet pour la SRPTM, mentionne également que Bouygues fait maintenant travailler des bureaux d’études privés marocains sur ses autres projets de travaux publics ailleurs dans le monde. Jadis néophyte de la construction portuaire, le Maroc espère devenir ainsi un acteur important du secteur en capitalisant sur ses gigantesques chantiers de Tanger Med. C.L-B.
Les deux premiers terminaux, concédés au groupe Moller-Maersk et au consortium Eurogate, sont entrés en service en juillet 2007, mais les chantiers vont se poursuivre au moins jusqu’à 2015. D’ici à la fin de 2010, un port vraquier et céréalier, un débarcadère spécial pour l’exportation des véhicules de la future usine Renault, un terminal pour les hydrocarbures et un port passagers seront opérationnels et compléteront l’ensemble de Tanger Med 1. Et en avril prochain commenceront les travaux du nouveau complexe portuaire de Tanger Med 2, dont le lancement a été officialisé par Mohammed VI en juin dernier, après des mois de tergiversations.
D’une taille titanesque (ses digues sont trois fois plus longues que celles de Tanger Med 1), ce nouveau complexe portuaire sera situé juste à l’ouest du premier. Il ajoutera une capacité de 5 millions de conteneurs par an à la capacité initiale de 3 millions de conteneurs de Tanger Med 1. Le chantier devrait permettre le recrutement de 2 500 ouvriers (contre environ 1 800 pour Tanger Med 1).
Saïd Elhadi, président du directoire de l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA), maître d’œuvre délégué par l’État marocain, explique le long cheminement qui a poussé à lancer Tanger Med 2 : « Cette extension majeure était prévue dès le début. Nous voulions d’abord tester notre capacité à gérer des capacités prudentes dans Tanger Med 1, puis, une fois cette première étape passée avec succès, embrayer rapidement avec un second complexe portuaire, que nous prévoyions d’exploiter à partir de 2012. »
Mais ce planning idéal s’est heurté à la crise économique qui a durement frappé le transport maritime en 2008 et fait réfléchir les autorités marocaines. Le trafic à Tanger Med 1 s’est en effet limité à 1,2 million de conteneurs en 2009 (930 000 en 2008), même si cette performance – supérieure à celle du port de Marseille, par exemple – le place déjà sur les routes des grands porte-conteneurs.
« Sans la crise, explique Saïd Elhadi, nous aurions tenu sans problème notre objectif de 3 millions de conteneurs. Mais nous pouvons voir à ces difficultés un aspect positif : nous avons été obligés de monter en cadence plus doucement que prévu, ce qui n’est finalement pas si mal pour un port en phase de rodage », ajoute-t-il, philosophe.
Zones franches
Pour le président du directoire de TMSA, la crise ne remet pas en question la stratégie initiale : « Notre position sur le détroit de Gibraltar nous offre un potentiel extraordinaire auquel le port espagnol d’Algésiras seul ne peut pas répondre. Pour faire face à ce marché et permettre le développement de l’économie régionale, il ne fallait pas des demi-mesures, il nous fallait Tanger Med 2. » Ce sont en effet pas moins de 200 000 emplois que l’agence publique espère entraîner dans le sillage des infrastructures portuaires au moyen notamment des zones franches dédiées à l’industrie automobile, au textile, à l’électronique et à l’agroalimentaire. Tout l’arrière-pays est en chantier derrière le port.
TMSA, tenant compte du contexte économique, a néanmoins procédé à des aménagements par rapport aux plans initiaux. Tanger Med 2 a été décalé de quinze mois et scindé en deux phases. Une première tranche, d’un coût de 650 millions d’euros (similaire à celui de Tanger Med 1) ajoutera en 2014 une capacité de 2 millions de conteneurs. À cette date, les autorités marocaines et leurs partenaires estiment que la crise devrait être passée. Une seconde phase, optionnelle pour le moment, d’un coût d’environ 175 millions d’euros, ajouterait une capacité de 3 millions de conteneurs avec un second terminal.
Sur ces deux terminaux, seul le terminal 4 a trouvé un concessionnaire, Marsa Maroc, qui gère déjà le plus grand terminal du port de Casablanca. Le terminal 3 cherche encore preneur. Des négociations sont encore en cours, notamment avec Maersk et le singapourien PSA, mais ces derniers veulent prendre leur temps.
À l’issue de l’appel d’offres pour la première phase de Tanger Med 2, c’est encore Bouygues et ses alliés qui ont raflé la mise face à China Harbour. En sélectionnant le groupement formé par le géant français du BTP et sa filiale marocaine Bymaro, le belge Besix, l’italien Saipem et le marocain Somagex, tous impliqués dans Tanger Med 1, TMSA a opté pour une configuration qui a déjà fait ses preuves. Reste à convaincre les opérateurs portuaires et les armateurs.
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