Le numérique dynamite la télévision francophone au Maghreb
Fin 2011, le satellite AB3 doit cesser de diffuser les chaînes de l’Hexagone qui passent à la télévision numérique terrestre (TNT). Un changement de technologie qui, couplé à l’essor des médias arabophones, risque de faire plonger l’audience de l’audiovisuel français au Maghreb.
La télévision française va-t-elle jouer un mauvais tour à la francophonie ? C’est en tout cas ce que laisse présager le passage complet à la télévision numérique terrestre (TNT), prévu dans l’Hexagone pour la fin 2011. Explication : en se modernisant, les chaînes françaises vont compliquer l’accès à leurs programmes depuis le Maghreb et risquent d’aggraver la chute de leur audience de l’autre côté de la Méditerranée…
Au cœur du problème, un satellite bien connu des bricoleurs maghrébins : Atlantic Bird 3 (AB3), propriété d’Eutelsat. Celui-ci alimente certains émetteurs analogiques en France, mais son signal couvre aussi une partie du Maghreb (voir carte ci-dessous), ce qui permet aux téléspectateurs équipés de paraboles suffisamment grandes de capter TF1, M6 ou encore France 2. Le tout gratuitement, bien sûr.
La zone de couverture "Superbeam" d’AB3 (Eutelsat)
Frontières audiovisuelles et droits de diffusion
Or, une fois la transition vers la TNT achevée en France, les chaînes nationales cesseront d’émettre en clair via AB3, devenu inutile. « C’est une quasi-obligation légale pour nous, assure Gilles Maugars, directeur général adjoint chargé des technologies chez TF1. La possibilité pour l’Afrique du Nord de recevoir notre chaîne n’était pas due à une volonté de notre part, même si elle pouvait être dans l’intérêt du ministère des Affaires étrangères et de la francophonie, assure-t-il. Nous achetons les droits des programmes que nous diffusons uniquement pour le marché français. »
Les puissants détenteurs des droits de diffusion ont d’ailleurs intérêt à une parfaite étanchéité des frontières audiovisuelles : cela leur permet de s’assurer que chaque pays passera à la caisse pour alimenter ses propres téléspectateurs. Exemple le plus emblématique de ce système : la Fédération internationale de football association (Fifa). Elle vend les droits du Mondial plusieurs dizaines de millions d’euros à chacun de ses clients. TF1 a, par exemple, dû débourser 120 millions d’euros pour diffuser l’intégralité des matchs du Mondial en France. Pour les pays du Maghreb, c’est Al-Jazira qui s’était porté acquéreur des droits, mais l’ENTV (Entreprise nationale de télévision algérienne) a pu récupérer, pour son pays, la retransmission de 22 rencontres de la compétition (dont celles qui concernent l’équipe nationale) moyennant quelque 12 millions d’euros, d’après El Watan.
Hors de question, donc, pour les fournisseurs de contenu de laisser les ondes françaises traverser librement la Méditerranée. Comme pour le Mondial 2006, la première chaîne française va donc abaisser la force de son signal dès le début de la compétition pour tenter de limiter le débordement vers le Maghreb. Cette intervention est surtout un « acte de bonne volonté » envers les détenteurs de droits, explique Gilles Maugars, conscient des faiblesses du procédé.
Rois de la débrouille
En effet, les téléspectateurs maghrébins équipés de paraboles suffisamment grandes ne seront pas affectés par la manœuvre. Les autres francophiles débrouillards devraient, comme par le passé, parvenir leurs fins sans trop de difficultés. Haythem, professeur d’informatique à Korba (Tunisie) et bricoleur à ses heures perdues, n’a aucun doute à ce sujet : « Les décodeurs TNT français [interdits à la vente au Maghreb, NDLR] vont traverser la Méditerranée », assure-t-il avec un brin d’amusement.
Conséquence de l’engouement des Maghrébins pour les chaînes hexagonales : M6 et TF1 font partie des chaînes françaises les plus regardées dans la région, alors qu’elles n’y disposent pas d’offre légale, contrairement à TV5 ou France 24 qui, elles, ont vocation à être diffusées hors de l’Hexagone. « TV5 Orient ne suffit pas à nous rassasier… Les Maghrébins ont une vraie culture francophone ! » explique Hassen Zargouni, le fondateur du cabinet d’études médias Sigma Conseil, à Tunis.
Pourtant, depuis plusieurs années, cet observateur assidu des médias constate, sondage après sondage, une chute de l’audience des chaînes françaises au Maghreb. Si celles-ci détenaient encore près du tiers des parts d’audience (PDA) en 2004, elles n’en obtenaient que 10 % en 2009. La chute a été particulièrement brutale en Tunisie et au Maroc, où de nouvelles chaînes nationales se sont rapidement développées. Seule l’Algérie, plus francophone, fait encore la part belle aux chaînes françaises qui réalisent 20 % de PDA.
Percée des chaînes arabophones
Au final, l’abandon d’AB3 devrait donc accélérer la tendance. D’autres groupes comme MBC (Middle-East Broadcasting Center) ou Al-Jazira, qui diffusent en arabe ou en anglais sous-titré, ne se sont pas contentés de profiter du déclin des chaînes françaises. Grâce à leurs journaux d’informations, à leurs séries télévisées ou à leurs retransmissions sportives, elles ont connu un succès fulgurant. Certes, l’obligation de s’acquitter des droits télévisés pèse aussi sur les chaînes panarabes. Elles ont dû mettre en place un cryptage de leurs retransmissions. Mais les Maghrébins peuvent y remédier grâce à l’utilisation de cartes à puce à insérer dans le décodeur.
À l’approche du Mondial, de nombreux téléspectateurs ont déjà fait leur choix, comme Haythem, le professeur d’informatique tunisien. En 2006, il avait apprécié les commentaires du défunt présentateur de TF1, Thierry Gilardi. Cette année, c’est décidé : il suivra la compétition sur Al-Jazira, « en arabe ».
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines