Pierre Lellouche : « Il n’y a pas d’alternative à l’UPM. Sauf la guerre »

Le secrétaire d’État français aux affaires européennes a confié à « Jeune Afrique » son point de vue sur les relations israélo-palestiniennes, l’affaire Ben Brik ou le Sahara occidental… Entretien avec un agitateur d’idées.

Pierre Lellouche dans son bureau du Quai d’Orsay, le 28 avril 2010. © Vincent Fournier pour J.A.

Pierre Lellouche dans son bureau du Quai d’Orsay, le 28 avril 2010. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 18 mai 2010 Lecture : 11 minutes.

Son rêve secret ? Occuper un jour le fauteuil de ministre des Affaires étrangères.  Pour l’heure, il n’en dit mot, mais le parcours de l’avocat Pierre Lellouche parle pour lui. Né à Tunis il y a cinquante-neuf ans, dans une famille de confession juive, le jeune diplômé de Sciences-Po et de Harvard s’est formé auprès d’un grand maître, Raymond Aron. Député UMP de Paris de 1997 à 2009, l’ancien éditorialiste de Newsweek et du Point aime bousculer les idées reçues. Israël, le Polisario, l’Union pour la Méditerranée (UPM), ses relations avec Bernard Kouchner… Aucun sujet n’est tabou aux yeux de cet iconoclaste.

Il y a deux ans, l’UPM a été lancée en grande pompe par Nicolas Sarkozy. Mais n’est-elle pas déjà morte ?

la suite après cette publicité

Je vais vous dire franchement les choses. La maison commune qui unit les deux rives de la Méditerranée a du mal à se construire. Incontestablement, car elle fait l’objet de très fortes tensions entre les copropriétaires. Mais en même temps, je suis convaincu que sa construction est irréversible, car elle est inscrite dans l’histoire. De quoi parle-t-on en fait ? De la relation entre l’islam et l’Europe. Or, cette relation, elle est ancrée dans quinze siècles de conflits certes, mais aussi d’échanges et d’intimité culturelle. Cette construction me paraît aussi incontournable que l’ONU ou l’OSCE en Europe. Même si l’ONU ou l’OSCE sont parfois jugées sévèrement quant à leur efficacité.

Le 14 avril, à Barcelone, le rejet par Israël de toute référence aux « territoires occupés » a fait échouer une conférence de l’UPM sur l’eau. Le secrétaire général de l’UPM, le Jordanien Ahmad Massa’deh, a même déclaré que ce fiasco « fait planer des doutes sur l’avenir de l’UPM »…

L’UPM, il faut y croire ! Le secrétaire général a fait des déclarations que je trouve regrettables. S’il n’y croit plus, il ne faut pas qu’il reste ! J’ai représenté la France à Barcelone. Jusqu’au bout, au vu des projets très concrets présentés et de l’intérêt de tous, nous avons espéré contourner le politique. Mais en ce moment, la tension politique est très forte entre Israéliens et Palestiniens. À Barcelone, j’ai espéré que l’eau diluerait la tension. Mais en réalité, c’est la tension qui a pollué l’eau ! Est-ce que ça veut dire qu’il n’y aura jamais d’accord sur l’eau entre Israéliens et Palestiniens ? La réponse est non.

Après l’échec de cette réunion, ne craignez-vous pas que les chefs d’État arabes boycottent le sommet de Barcelone, le 7 juin prochain ?

la suite après cette publicité

C’est vrai que le climat pourrait être plus propice. Le président Nicolas Sarkozy a dit clairement les choses à Benjamin Netanyahou [le Premier ministre israélien]. Et moi-même, en termes beaucoup moins diplomatiques que le président, j’ai dit qu’Israël devait « arrêter le bétonnage » de Jérusalem. Si l’on continue sur ce chemin, on n’aboutira à rien, sinon à une troisième Intifada. Le fond de ma pensée, c’est que les deux peuples sont fatigués de la guerre. Cette affaire est en train de polluer, non seulement l’UPM, mais nombre d’autres dossiers, y compris celui de l’Iran, et de faciliter le jeu des plus extrémistes. Ceux-ci l’utilisent pour promouvoir leur propre agenda politique contre l’Occident, qu’ils soient chiites ou radicaux sunnites. Paradoxalement, l’une des solutions dont on ne parle jamais, c’est le changement du mode de scrutin en Israël. Je suis convaincu que le peuple israélien veut la paix. Les sondages le montrent. Mais tant que vous aurez un système électoral basé sur la proportionnelle intégrale, vous fabriquerez des gouvernements structurellement incapables de prendre des décisions fortes et courageuses, car arithmétiquement ces gouvernements demeurent instables, voire otages des groupuscules les plus extrêmes. En France par exemple, sous la IVe République, pendant la guerre d’Algérie, nous avons bien connu cette instabilité et cette faiblesse…

Si Benjamin Netanyahou ne fait pas un geste politique avant le 7 juin, les chefs d’État arabes accepteront-ils de venir à Barcelone pour lui serrer la main ?

la suite après cette publicité

Je ne sais pas. Mais si on ne peut pas trouver une solution politique pour le mois de juin, et si on arrive à cette solution au mois de septembre ou d’octobre, eh bien, on tiendra le sommet en octobre. Ce qu’il faut, c’est un déblocage de la situation qui rende possible la poignée de mains. Pour l’instant, il est clair que le sommet comme la poursuite de la construction de cette maison commune sont les otages d’une situation très tendue.

On s’achemine donc vers un report ?

Je le répète, je n’en sais rien. Pour l’instant, les tractations se poursuivent au niveau des chefs d’État. Si le sommet ne se tient pas en juin, il se tiendra un peu plus tard, quand les conditions politiques seront réunies. Et je pense qu’elles finiront par l’être, car il n’y a pas d’alternative, sauf la guerre ! Ce qui provoquerait des milliers de morts et faciliterait la tâche de l’Iran dans ses ambitions nucléaires.    

Y a-t-il déjà des réalisations de la part de l’UPM ?

À ce stade, seuls des projets existent. Et ils sont nombreux. Notamment sur l’eau et le solaire. Mais on n’a pas encore pu lancer le financement de ces programmes, pour deux raisons. D’abord, les blocages politiques que je viens de rappeler. Ensuite, la pénurie de crédits consécutive à la crise financière. En dehors même de l’UPM, voyez les projets que les Émirats du Golfe ont gelés au Maghreb… La crise est passée par là !

Au Maghreb, deux pays, le Maroc et la Tunisie, n’ont pas attendu l’UPM pour se rapprocher de l’Europe. En 2008, le Maroc a obtenu de la part de l’UE un « statut avancé ». Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Le statut avancé est au cœur de notre politique de voisinage vis-à-vis de ces pays du Sud qui n’ont pas vocation à être membres de l’Union, mais à s’en rapprocher le plus possible. Et j’ajoute : à leur rythme et « à la carte ». Vu de l’extérieur, l’UE est un paquet législatif et réglementaire extrêmement complexe, avec des milliers de normes juridiques, sociales, industrielles, environnementales, etc. Nous disons à nos amis marocains et tunisiens : « Si vous voulez vous rapprocher de l’Europe, adopter les normes européennes dans les domaines, par exemple, de la banque, des assurances ou de l’industrie pour devenir plus compétitifs, voici le cadre juridique qui le permettra : le statut avancé. Et nous sommes, bien sûr, disposés à vous aider ».

Le Maroc soutient que tout cela coûte cher et que l’Europe ne se montre pas assez généreuse…

Je vais être très franc avec vous. L’Union européenne, ce n’est pas uniquement un guichet bancaire. Avec la crise financière, il ne vous a pas échappé qu’il y a de moins en moins d’argent dans l’Union. Je m’efforce de maintenir la règle des deux-tiers en faveur des pays de la façade méditerranéenne contre un tiers en faveur de nos voisins de l’Est. Ce n’est pas sans mal, car il y a d’autres États européens pour qui la priorité n’est pas le Maroc, mais la Moldavie ou la Transnistrie ! J’ajoute que, si les États européens aident le Maghreb à hisser son niveau et à se moderniser, d’autres ne s’y intéressent que pour ses matières premières.

Les Marocains disent simplement que vous pourriez faire un effort financier, au moment où ils font un effort de modernisation…

Écoutez, je passe une partie de mon temps à aller dans différents pays à la périphérie de l’Union. Et que j’aille au Sud, dans les Balkans ou à l’Est, j’entends toujours le même refrain : « Des visas et de l’argent. » Quand je suis allé à Rabat, en février dernier, j’ai dit à mes interlocuteurs que le statut avancé était un partenariat, pas une relation d’assistance. Au gouvernement marocain souverain de faire ses choix. Il y aura des financements en fonction des programmes concrets que lui-même aura désignés. Au Maroc, il ne s’agit pas d’attendre l’ouverture d’un guichet de l’autre coté de la Méditerranée, il existe déjà. Il s’agit de commencer à mettre en œuvre les structures politiques et administratives nécessaires pour bâtir concrètement des coopérations dans les domaines choisis par les Marocains eux-mêmes. Le cas échéant, là où il faut aider, l’Europe aidera au plan financier.

Voulez-vous dire que l’État marocain n’a pas encore fait les réformes nécessaires dans son organisation interne ?

Ce n’est pas à moi de porter de tels jugements. Simplement, pour que les choses fonctionnent bien, il faut des structures interministérielles.

En 1987, le roi Hassan II a demandé l’adhésion du Maroc à l’Europe. Cela sera-t-il possible un jour ?

Honnêtement, non. Je ne crois pas que nous soyons dans une telle perspective. Une grande zone de partenariat, oui. L’adhésion, non.

Depuis trente-cinq ans, aucune solution n’a été trouvée au Sahara occidental. Plusieurs propositions sont sur la table, notamment un référendum d’autodétermination et un plan d’autonomie au sein du royaume marocain. Où va votre préférence ?

La solution proposée par les Marocains depuis avril 2007, c’est-à-dire l’autonomie du Sahara occidental, me paraît une bonne base de négociation pour avancer sur un dossier qui bloque l’intégration maghrébine depuis trente-cinq ans. Le Conseil de sécurité ne dit pas autre chose, comme vient de le montrer le renouvellement du mandat de la Minurso, qui a été voté à l’unanimité par le Conseil le 30 avril. Nous allons donc continuer d’appuyer les efforts de l’ONU pour trouver une solution à ce conflit, solution qui ne peut être que politique. Pour remettre les choses dans leur contexte, il faut rappeler que l’idée d’autonomie était impensable au Maroc il y a seulement quelques années. Les Marocains ont fait un mouvement très important par rapport à leur position initiale.

Le 30 avril, lors de ce vote au Conseil, plusieurs États africains et le Front Polisario ont demandé, en vain, qu’une mission de surveillance des droits de l’homme au Sahara soit confiée à la Minurso. Et aujourd’hui, le Front Polisario accuse la France d’être responsable de ce blocage. Que répondez-vous ?

Je vous rappelle que c’est une ligne rouge pour le Maroc, et qu’il est impossible de ne pas en tenir compte, puisque l’indispensable travail de la Minurso suppose l’accord du Maroc. Le suivi des droits de l’homme peut d’ailleurs être assuré dans d’autres cadres, comme le Haut-Commissariat pour les droits de l’homme. L’essentiel est de maintenir le processus politique en cours. Je relève en outre que les deux dernières résolutions du Conseil de sécurité sur la Minurso, en 2009 et 2010, soulignent la nécessité de progresser sur la dimension humaine du conflit, ce qui va bien dans le sens d’un renforcement de la protection des droits de l’homme. Ce que nous soutenons, bien entendu. Au Sahara occidental, comme partout ailleurs.

N’y a-t-il pas de sérieux problèmes de droits de l’homme pour les militants sahraouis au Sahara occidental, comme l’a montré l’affaire Aminatou Haidar ?

Laissez-moi vous dire qu’en matière de droits de l’homme, le Maroc a beaucoup progressé et reste, de loin, le meilleur élève de la région. Je regrette qu’il ne mette pas davantage en avant son bilan dans ce domaine, dont il n’a pas à rougir. Il peut certes y avoir des cas individuels de mauvais traitement de militants sahraouis mais, à ma connaissance, ils ne sont pas nombreux et sont d’ailleurs, trop souvent, instrumentalisés.

Dans quelques mois, la Tunisie espère obtenir à son tour le statut avancé. Où en est-on ?

Au stade des préliminaires. La Tunisie a déjà déposé un document auprès de la Commission européenne, et celui-ci est en cours d’examen. Je me rendrai à Tunis quand les choses seront plus avancées. Nos amis tunisiens savent que nous sommes à leur disposition pour les encourager. Une fois que l’accord-cadre sera signé, il leur appartiendra, comme aujourd’hui au Maroc, de nourrir cet accord.

L’un des volets de ce statut avancé, c’est le dialogue politique. Avec la Tunisie, ne risque-t-il pas de buter sur la question des droits de l’homme ?

Les Tunisiens savent qu’ils ont quelques difficultés de présentation de leur image en Europe, et en particulier en France. Je le regrette, d’ailleurs. Je trouve que nombre de procès qui leur sont faits sont très exagérés. Beaucoup de choses qui ont été réalisées en Tunisie méritent l’estime. En matière de droits de la femme et de contrôle des naissances, la Tunisie a plusieurs décennies d’avance sur bien d’autres pays arabes. Le développement économique y est réel, y compris dans les technologies de pointe, même s’il y a des diplômés au chômage et même si le pays est impacté par la crise. Résumer la Tunisie à l’affaire du journaliste Taoufik Ben Brik est un peu caricatural. Il y a bien une affaire Ben Brik, et c’est notre droit de ne pas toujours être d’accord, mais de là à dresser un procès en sorcellerie contre la Tunisie, non ! C’est complètement déplacé.

Pourtant, Bernard Kouchner, votre ministre de tutelle, a suivi le dossier Ben Brik de très près. Il s’est dit « déçu » quand celui-ci a été condamné, et « soulagé » quand il a été libéré…

Vous savez, Bernard et moi travaillons ensemble en bonne intelligence. Simplement, lui, c’est lui, et moi, c’est moi, ce qui ne nous empêche pas d’être très amis. Il a sa sensibilité et je la respecte. Pour ma part, je viens de vous dire ce que je pense de la Tunisie.

Vous savez que le Parlement européen est très attentif à la situation des droits de l’homme en Tunisie. Ne peut-il pas freiner les négociations sur le statut avancé ?

Les eurodéputés de Strasbourg sont libres. Avec le Traité de Lisbonne, ils vont disposer d’un pouvoir de contrôle sur la politique étrangère de l’Union. Les États membres eux-mêmes et leurs parlements nationaux doivent travailler avec le Parlement européen. Il en va de même pour la Tunisie et bien d’autres États hors Union européenne.

Pourquoi le Maroc et la Tunisie se voient-ils accorder un statut avancé, et pas l’Algérie ?

Posez la question aux Algériens ! Il faut être deux pour danser un tango. Et personne ne va forc

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires