Mehdi Ben Attia : « Il est plus subversif de montrer le bonheur dans l’homosexualité que de montrer l’entrave »

Le réalisateur tunisien Mehdi Ben Attia confie à jeuneafrique.com le message du « Fil »,  son premier long métrage. Il parle d’homosexualité dans les pays arabes, du tournage et de la difficulté de trouver des comédiens pour jouer des scènes d’amour entre hommes.

Salim Kechiouche et Antonin Stahly-Vishwanadan, dans « Le Fil ». © Pyramide Distribution

Salim Kechiouche et Antonin Stahly-Vishwanadan, dans « Le Fil ». © Pyramide Distribution

Publié le 14 mai 2010 Lecture : 5 minutes.

Malik est un architecte, issu d’une bonne famille tunisienne. Lorsqu’il  quitte la France pour retourner au pays, il ne pense qu’à une chose : révéler à sa mère qu’il aime les garçons. Et puis, quasiment au premier regard, il tombe sous le charme de Bilal, un jeune homme que sa mère héberge contre quelques services…
Avec Le Fil, film franco-belge sorti le 12 mai dans quelques salles françaises, l’acteur et scénariste tunisien Mehdi Ben Attia signe son premier long métrage en tant que réalisateur. S’il évoque des problématiques propres aux gays et lesbiennes, comme la clandestinité amoureuse et le désir d’enfant, le film ne se veut pas sociologique. Plutôt, il cherche à démontrer que l’homosexualité, aussi taboue soit-elle, n’est en réalité pas un problème.

jeuneafrique.com : Pour ce premier long métrage, pourquoi avoir choisi le thème de l’homosexualité ?
Mehdi Ben Attia : C’est un thème qui m’est cher, qui m’intéresse et qui ne me paraît pas avoir été beaucoup traité dans le cinéma arabe en général, et tunisien en particulier. Et quand il l’a été, il me semble qu’il ne l’a pas toujours été avec la finesse et la bienveillance requises. Mais je n’ai pas voulu parler de l’homosexualité avec un grand « H », de la situation des homosexuels en général en Tunisie, du « problème » de l’homosexualité. Si je dois être provoquant, je dirais que j’ai voulu en faire une solution pour Malik.

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Ce film est-il un coming out cinématographique ?
Le coming out, c’est aussi une prise de parole et j’espère que cette prise de parole pourra en favoriser d’autres. Parce que j’ai l’impression qu’en Tunisie – ou peut-être dans les pays arabes, ou peut-être dans les pays musulmans – la parole sur ce fait social n’existe pas. Les gens qui sont homosexuels ont tendance à ne pas le dire, et ceux qui ne le sont pas ont tendance à fermer les yeux sur le phénomène. [Avec Le Fil], j’ai voulu sortir d’un silence qui me semblait incompréhensible.

L’ex-ministre de la Culture ne vous a pas facilité la tâche pour le tournage…
Je crois qu’il s’agissait d’une position personnelle. Il était vraiment sincèrement choqué par le sujet et, surtout, par mon approche du sujet. L’idée qu’un Tunisien puisse accéder au bonheur par l’homosexualité, ça ne lui allait pas du tout. Il a fait ce qu’il a pu pour empêcher le film, mais nous étions dans notre bon droit. La Tunisie se veut accueillante pour les tournages étrangers, j’ai apporté un tournage étranger. Comme George Lucas quand il a fait StarWars et à qui, je pense, on ne demande pas le scénario…

Vous avez finalement obtenu l’autorisation de tourner, mais le film n’est pas projeté en Tunisie. L’autorisation était-elle un semi-gage d’ouverture des autorités ?
Je ne baisse pas les bras, je ne m’avoue pas vaincu. Mais je trouve cette position assez incohérente. Si on laisse des comédiens tunisiens jouer dans mon film, alors il faut les laisser le voir ! Je sais parfaitement que mon film peut choquer en Tunisie. Ils n’ont qu’à l’interdire aux moins de 18 ans ! Et puis, personne n’est obligé d’aller au cinéma. Ce n’est pas comme si je m’invitais dans le salon des gens, à la télé. J’espère qu’on arrivera, à force de persuasion, à montrer le film. Je reçois sur Facebook pas mal de messages de gens qui me demandent quand il sera possible de voir mon film à Tunis.

Malik transgresse deux interdits. L’homosexualité et le fait de choisir comme amant un homme qui n’est pas de sa classe sociale…
C’était important pour moi de montrer la bourgeoisie tunisienne parce qu’on parle assez rarement des pays arabes en montrant leur bourgeoise. Mais c’était aussi important pour moi de ne pas cantonner le film à ce milieu-là. De ne pas dire : « C’est des riches, c’est pour ça qu’ils sont homos. » J’avais vraiment besoin d’avoir une mixité sociale dans cette histoire d’amour. Je ne l’ai pas tellement envisagé en termes de transgression ou de tabou. En fait, Malik ne cherche pas un autre lui-même, il ne cherche pas à tomber amoureux d’un garçon qui lui ressemblerait trait pour trait… Il cherche plutôt une sorte d’enrichissement par le contact avec l’autre.

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Certaines scènes d’amour sont très explicites. Cela a-t-il été difficile de trouver des acteurs pour interpréter Malik et Bilal ?
Et comment ! Pour interpréter Bilal, Salim Kechiouche, que je connaissais, a eu des hésitations. Pas sur le fait de jouer des scènes d’amour, mais parce qu’il avait déjà joué des rôles gay et qu’il se demandait en quoi le rôle de Bilal se distinguerait de ceux qu’il a joués. On en a palé et on a trouvé un travail d’acteur qui serait différent. Pour Malik (Antonin Stahly-Vishwanadan, NDLR), ça a vraiment été très difficile. Les comédiens que je voyais avaient en général très peur du rôle. En particulier, de la première scène de sexe, une scène assez crue. Même si on ne leur demandait pas réellement de faire l’amour, mais de faire en sorte qu’on y croie un peu ! (rires)

Le film devient bien plus léger lorsque Sara, la mère de Malik, interprétée par Claudia Cardinale, découvre l’homosexualité de son fils…
C’était l’intention. Je pouvais faire une fiction, soit sur la dénonciation, soit sur la libération. Je me suis clairement positionné du côté de la libération. Avec la dénonciation, on aurait travaillé sur la culpabilité des personnages, le côté punitif de la société… Je ne voulais pas donner la parole à l’homophobie, ou presque pas. Je voulais plutôt trouver le chemin du bonheur pour mes personnages.

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N’y a-t-il pas un risque de nier l’importance de l’homophobie ?
J’ai l’impression que les gens savent parfaitement ce que c’est que l’homophobie, et ça ne m’intéressait pas de la représenter. Je trouve qu’il était beaucoup plus subversif de montrer le bonheur que de montrer l’entrave. Alors oui, il y a le risque qu’on se dise que c’est bien joli, mais que dans la vie ce n’est pas comme ça… Le pari, c’est que le spectateur fasse lui-même le boulot de se dire que cette idéalisation est une sorte d’acte politique.


Propos recueillis par Habibou Bangré.

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