Elle grossit, grossit, grossit…
Exode rural, arrivée massive de réfugiés… La capitale ne cesse de s’étendre. Une croissance aussi exponentielle qu’anarchique.
Djibouti : grandes manoeuvres
Au commencement était un port en eau profonde, niché à l’entrée de la mer Rouge. Aujourd’hui, c’est l’une des capitales les plus dynamiques de la Corne de l’Afrique. Née à la fin du XIXe siècle, la ville de Djibouti a connu une extension continue. Celle-ci s’est traduite par un développement sur un axe Nord-Sud, avec pour point de départ le port autonome, puis les quartiers dits européens, le centre-ville, les faubourgs populaires et enfin les aires de service, essentiellement l’aéroport et les casernements militaires. Ce système « presqu’île et extensions » baignait alors dans la cohérence. Occupée par des maraîchers yéménites, la vallée de l’Ambouli, oued se jetant dans le golfe de Tadjourah, formait à l’époque une barrière naturelle qu’il n’était pas question de franchir.
Cette belle harmonie a été mise à mal au milieu des années 1960. Les événements politiques de la sous-région et les sécheresses à répétition ont provoqué un afflux massif de réfugiés et une forte sédentarisation des populations nomades ayant perdu leur cheptel. Un quartier spontané a alors vu le jour : Balbala, du nom d’une colline trônant majestueusement sur la rive gauche de l’Ambouli, devenu un immense bidonville.
En 1983, un schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) est adopté. Les urbanistes décident d’intégrer Balbala dans la ville et d’en faire le territoire de croissance de la capitale. Des parcelles sont distribuées par milliers au profit des nouveaux arrivants, produits de l’exode rural pour les nationaux, et réfugiés des pays voisins en conflit pour les étrangers.
Accident
Dans un premier temps, cette stratégie s’avère payante : elle épargne le centre-ville d’un scénario catastrophe étant donné l’ampleur du phénomène migratoire. Mais très vite, cet « accident urbanistique » qu’est Balbala connaît une croissance exponentielle. Peuplé de 10 000 habitants à l’origine, il en compte aujourd’hui 300 000 et a fini par devenir une ville dans la ville… commodités et qualité des services en moins. Son expansion spatiale se fait dans l’anarchie, et Balbala se transforme en repoussoir pour tout projet d’investissement, comme en témoigne l’échec de l’installation d’une zone industrielle qui promettait des milliers d’emplois. Malgré son peu d’attractivité économique, Balbala est pourtant devenu l’unique réponse à l’urgence de l’accueil des migrants, mais aussi des habitants des villes secondaires – Ali Sabieh, Dikhil, Obock et Tadjourah – en butte à un fort ralentissement économique et à un stress hydrique intense.
Cohérence
Si le développement peu harmonieux de Balbala a eu le mérite de pérenniser la fonction d’accueil de populations en situation précaire (réfugiés et déplacés) tout en évitant une rapide dégradation de la qualité de vie des autres quartiers de la capitale, il a néanmoins montré les limites de la stratégie choisie par les concepteurs du SDAU de 1983, dont les prévisions ont été dépassées par le rythme de croissance démographique et économique.
Ces dix dernières années, des efforts ont été consentis pour améliorer les conditions de vie des populations. Plus de 1 000 logements sociaux, dont 600 pour le seul Balbala, ont été réalisés. De nouveaux quartiers résidentiels, à l’instar de Haramous, ont vu le jour. Les capacités de production de la station de traitement des eaux usées de Douada ont été doublées.
Cependant, les experts nationaux et étrangers en conviennent : le SDAU a vécu. Trente ans après son adoption, le gouvernement a lancé, en décembre 2012, une réflexion autour d’un nouveau schéma directeur, dont l’étude a été confiée au cabinet de conseil italien Keios. « Il s’agit d’opérer des choix judicieux pour favoriser la croissance de notre capitale dans une logique de compétition régionale, voire internationale, des grandes agglomérations, et d’identifier les voies et moyens pour l’implantation des grands projets structurants, tout en respectant une cohérence d’ensemble, explique Mohamed Moussa Ibrahim Balala, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Environnement. Notre objectif est de dessiner l’avenir de Djibouti en termes d’habitat et de développement des activités économiques, tout en rationalisant la gestion de nos ressources foncières. »
Émulation
Quatre paramètres définissent la problématique de l’urbanisme à Djibouti-Ville : la démographie, l’économie, la structure sociétale et l’écologie. S’agissant de la démographie, en l’absence de recensement, certaines estimations évaluent le nombre d’habitants de la capitale à 600 000 (dont la moitié dans le seul Balbala), soit un triplement de la population depuis l’indépendance du pays, en 1977. Sur la même période, le parc de logements a crû d’à peine 10 000 unités… C’est dire l’importance du taux d’occupation par habitation.
Le paramètre économique a quant à lui très peu évolué. Malgré une croissance annuelle située entre 4 % et 5 %, la structure de l’activité demeure fortement tributaire de la chaîne logistique fondée sur deux couples : port-rail et port-route. En ce qui concerne la structure sociétale, l’apaisement des tensions entre communautés ethniques est palpable. Les violents affrontements passés ont laissé place à une concurrence économique canalisant les tensions dans le sens d’une émulation productive.
Enfin, le paramètre écologique est de loin le plus sensible, l’enjeu majeur tournant autour des faibles ressources hydriques. Selon une étude gouvernementale, la consommation annuelle en eau de la capitale frise les 30 millions de mètres cubes, soit 5 millions de plus que les capacités de renouvellement de la nappe de l’Ambouli. Du fait de la faible pluviométrie à Djibouti-Ville (150 mm par an, contre 250 dans son hinterland fait de contrées désertiques), le gouvernement envisage un transfert d’eau de la région éthiopienne voisine de Hagala, la réalisation d’une usine de dessalement d’eau de mer ainsi que la construction de dizaines de barrages dans le plateau du Day, véritable château d’eau du pays, avec ses 450 mm de pluie par an.
Scénarios
C’est en fonction de ces quatre paramètres que sera conçu le SDAU 2013. Le cabinet Keios a soumis au gouvernement trois scénarios, pour l’heure restés confidentiels. Mais une première réunion regroupant plusieurs départements ministériels, le 15 mai, avec pour objectif de trancher sur les propositions, a dévoilé de nombreuses divergences entre les responsables des différents secteurs. Les protagonistes se sont séparés sans avoir retenu l’un des trois scénarios du cabinet de conseil.
L’élaboration du SDAU est donc toujours en cours. Nul doute qu’un arbitrage présidentiel sera nécessaire avant la rentrée sociale, en septembre.
Petit tour des villes
Outre Djibouti-Ville, le pays est subdivisé en quatre chefs-lieux de district, Ali Sabieh, Dikhil, Obock et Tadjourah, qui, malgré différentes fortunes, vivent des situations difficiles. Les villes secondaires de Djibouti se répartissent en deux catégories. D’un côté, les agglomérations dotées d’un potentiel de croissance. Comme Tadjourah, ancienne capitale royale, où un projet de terminal minéralier pour exporter la potasse éthiopienne doit générer près de 1 000 emplois directs et 3 000 indirects, et d’Ali Sabieh, forte de sa zone industrielle et de sa proximité avec la route vers le sud, qui dessert l’Éthiopie. D’un autre côté, les villes ne bénéficiant pas d’un tel potentiel. Dikhil, ancien caravansérail du Sud, a perdu de sa superbe et fait les frais du développement d’Ali Sabieh. Quant à Obock, il est fortement pénalisé par l’absence d’activité économique. Résultat : un phénomène de dépeuplement. Nul doute que le projet de chantier naval pourra redynamiser l’activité et fixer les populations par la création d’emplois. Reste que les quatre villes secondaires de Djibouti connaissent un même problème : le stress hydrique.
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