Corruption : la partie immergée de l’iceberg

Le rapport sur les indicateurs de développement en Afrique de la Banque mondiale vient de paraître, lundi 15 mars. Il se concentre sur l’évaluation de l’impact négatif de la « petite » corruption au quotidien sur le développement du continent. Une sorte de réponse à la polémique née du dernier livre de l’économiste zambienne Dembisa Moyo, Dead Aid, qui accusait les bailleurs de fonds d’être responsables de la pauvreté africaine.

Manifestation au Kenya, le 17 février, après un scandale qui a éclaboussé deux ministres © AFP

Manifestation au Kenya, le 17 février, après un scandale qui a éclaboussé deux ministres © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 15 mars 2010 Lecture : 3 minutes.

Il y a des rapports qui savent jeter des froids… revigorants. C’est le cas de celui sur les indicateurs de développement en Afrique que la Banque mondiale (BM) a publié lundi 15 mars. Intitulé « Silencieuse et fatale, la corruption discrète entrave les efforts de développement en Afrique », le document de 44 pages illustre son propos dès la couverture par une image d’iceberg.
Les experts de la BM s’attachent en effet à analyser la partie immergée de la corruption, non celle « de haut vol » – qui fait régulièrement les gros titres des journaux – mais celle, plus « discrète » et répandue, qui mine la vie quotidienne de dizaines de millions d’Africains.
L’institution de Bretton Woods évalue l’ampleur du manque à gagner pour l’économie formelle à 1 000 milliards de dollars par an dans le monde, dont 200 milliards en Afrique – soit environ 25 % du PIB continental… Un montant d’autant plus important que l’impact social du phénomène est fort. De fait, ce sont souvent les entreprises les plus fragiles qui en paient le plus lourd tribu. Les chauffeurs de taxi, notamment, en savent quelque chose…

Pouvoir et corruption

L’originalité du rapport consiste cependant à souligner le lien entre corruption, pratique du pouvoir et pauvreté. Car ce sont les personnes vulnérables qui dépendent le plus des services publics « pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires ».
« La corruption, explique la BM, fait partie intégrante de l’économie politique africaine… Elle est intrinsèquement liée à l’exercice du pouvoir ». En d’autres termes, clientélisme et corruption font bon ménage. Et de citer quelques exemples édifiants, dont le premier concerne le secteur essentiel de l’agriculture.
« Une des principales raisons de la faible utilisation d’engrais parmi les agriculteurs africains est la médiocre qualité des engrais disponibles sur le marché. Les fabricants sont capables de produire des engrais de qualité, mais la faiblesse des contrôles exercés au niveau de la production et de la vente en gros a fait que 43 % des engrais analysés vendus en Afrique de l’Ouest dans les années 90 ne contenaient pas les substances nutritives escomptées, ce qui les privait quasiment de toute efficacité », expliquent les experts de la BM.
Le second exemple, tout aussi édifiant, s’applique à la lutte contre le paludisme. Selon une enquête menée dans les zones rurales de Tanzanie, près de quatre enfants sur cinq morts de la maladie avaient cherché à se faire soigner dans des établissements de santé modernes. « Diverses formes de corruption discrète — notamment le manque de matériel de diagnostic, le vol de médicaments, l’absentéisme des professionnels et de très faibles activités de diagnostic — ont contribué à cette statistique catastrophique », dénonce le rapport.

Solutions évidentes
Mais l’impact de la corruption discrète est également très important dans l’industrie des médicaments (taux très important de contrefaçon, parfois plus de 50 % en pharmacie au Nigeria, dans les années 1990), dans l’éducation (fort absentéisme des professeurs), dans le transport (jusqu’à 27 % des coûts d’exploitation sur certains corridors d’Afrique de l’Ouest contre 1 % dans le Sud et l’Est du continent)…
Précis sur le constat, les experts de la BM le sont en revanche beaucoup moins quand il s’agit d’émettre des recommandations. Pour stopper le mal, la BM préconise de s’appuyer sur « des dirigeants résolus et très motivés » ; sur la mise en œuvre de « politiques efficaces du point de vue opérationnel au niveau des secteurs » ; et sur « des politiques et institutions de qualité. » Rien de bien neuf. En tout cas pas de quoi perturber de si tôt la danse perverse des corrompus et des corrupteurs.

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Retrouver l’analyse complète du rapport de la Banque Mondiale dans le numéro 2566 de Jeune Afrique, en kiosques du 14 au 20 mars 2010

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