Abdullah Abdullah : « Il est trop tôt pour un retrait d’Afghanistan »

Candidat malheureux à l’élection présidentielle afghane de 2009, le docteur Abdullah Abdullah s’est retiré du processus électoral en novembre dernier, en pointant du doigt les fraudes massives dans le scrutin. Il s’est depuis imposé comme l’opposant le plus déterminé au gouvernement de Hamid Karzaï. Influent et écouté, l’homme se prépare pour les échéances futures.

Abdullah Abdullah a demandé aux Américains et aux Européens de rester encore en Afghanistan © Reuters

Abdullah Abdullah a demandé aux Américains et aux Européens de rester encore en Afghanistan © Reuters

Publié le 2 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

De père pachtoune et de mère tadjik, Abdullah Abdullah est médecin ophtalmologiste de formation. Né en 1960, il a surtout été conseiller politique du commandant Massoud, le héros national assassiné par les talibans le 9 septembre 2001. Après l’invasion occidentale qui a suivi les attentats du 11 septembre, Abdullah a rejoint le premier gouvernement Karzaï dont il a été le ministre des affaires étrangères, entre 2002 et 2006. Ecarté du pouvoir, il n’a eu cesse de dénoncer la corruption et l’incompétence qui minent le régime.
À la mi-février, lors de sa tournée sur le Vieux continent – où la question afghane perturbe plus que jamais la politique intérieure des États (le dernier exemple en date étant celui des Pays-Bas où le gouvernement est récemment tombé après une polémique sur la présence militaire en Afghanistan) -, Abdullah a plaidé à l’Assemblée nationale française pour le maintien des troupes européennes et américaines. Il a également demandé que l’Occident fasse pression sur le gouvernement Karzaï pour qu’il tienne ses promesses en matière de gouvernance et de justice sociale. Entretien.

Jeuneafrique.com : Il y a neuf ans la coalition conduite par les États-Unis a envahi l’Afghanistan pour déloger les talibans. Comment peut-on expliquer que les armées occidentales soient encore présentes sur le sol afghan ?
Abdullah Abdullah : Malheureusement, l’engagement militaire occidental, qui a commencé en octobre 2001, n’a pas encore porté ses fruits. Le fondamentalisme musulman et le terrorisme ont installé leur quartier général dans mon pays et c’est de là qu’ils lancent des attaques contre les intérêts occidentaux dans le monde. Tant qu’ils ne seront pas mis hors d’état de nuire, le monde sera un endroit dangereux.

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Qui sont les vrais ennemis ? Les talibans ou Al-Qaïda ?
Les deux. Ce sont des réseaux qui sont si étroitement mêlés qu’il est difficile de les distinguer les uns des autres. Les armées afghanes et occidentales combattent un ennemi commun qui a commis les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et qui lancent quotidiennement des attaques sanglantes tuant de milliers d’hommes et de femmes innocents dans mon pays. Les talibans avaient transformé l’Afghanistan en un pays moyen-âgeux. 1996-2001 a été le moment le plus sombre de notre histoire. Tous les Afghans s’en souviennent. C’est pourquoi ils étaient si nombreux à accueillir à bras ouverts les soldats étrangers, dans l’espoir de voir s’installer un Etat de droit et de meilleures conditions économiques et sociales. Cela ne s’est pas produit. Quant aux talibans, ils ont trouvé des sanctuaires au Pakistan, pays qui continue de les soutenir. Les talibans font régner la terreur jusque dans la capitale afghane. Toutes ces raisons me conduisent à dire que l’Afghanistan aura besoin de la présence militaire occidentale pendant encore plusieurs années.

Sauf que les militaires occidentaux n’ont pas réussi à se faire aimer par la population locale. Ils ne sont plus perçus comme des libérateurs !

La responsabilité en incombe en grande partie au gouvernement afghan qui n’a pas su répondre aux attentes populaires en matière de justice sociale. Par ailleurs, le haut niveau de corruption qui règne dans l’administration a fini par détourner la population de ses représentants. Elle est convaincue que la fraude est cautionnée par les Occidentaux qui soutiennent le régime à bout de bras. Et puis, il faut dire que la guerre de type colonial menée en Irak a dévalorisé l’image de l’Occident dans le monde. Enfin, il est vrai aussi que les armées alliées ont multiplié des bévues tragiques en bombardant des villages et en causant des pertes importantes parmi la population civile.

Vous avez soutenu la décision du président Obama d’envoyer des renforts. Croyez-vous que l’offensive menée par le général Stanley McChrystal dans la région de Marjah peut apporter la paix ?
Je crois que ces renforts étaient indispensables pour transformer la situation militaire qui a été ces dernières années favorable aux talibans. L’offensive menée à Marjah pourrait les affaiblir et stabiliser la région. A condition bien sûr qu’il y ait un suivi en terme de gouvernance, de création d’institutions. Ce suivi relève du gouvernement. J’ai toujours dit que l’action militaire en soi n’est pas suffisante pour regagner la confiance de la population. Or je crains que le gouvernement de M. Karzaï ne soit pas en mesure d’assurer ce suivi car il est profondément discrédité par les affaires de corruption et la fraude électorale.

À Londres, le président Karzaï s’est engagé à combattre la corruption en mettant en place un tribunal chargé de juger les personnalités impliquées dans des affaires de corruption. Vous le croyez ?
Compte tenu des antécédents de cette administration en la matière, je ne suis pas très optimiste. Mais les Occidentaux ont un rôle à jouer. Ils peuvent très bien conditionner l’aide financière qu’ils apportent au gouvernement Karzaï. Ils devraient demander un droit de regard sur l’utilisation qui est faite de cette aide dans la mesure où il s’agit de l’argent des contribuables européens et américains.

Les pays occidentaux vous en ont beaucoup voulu quand vous vous êtes retiré de la présidentielle en novembre dernier. Vous le regrettez, aujourd’hui ?
Non, mais c’était une décision douloureuse. Compte tenu du niveau élevé de la fraude électorale, il aurait été difficile de rester en lice sans cautionner ces pratiques.

Quel est votre agenda politique aujourd’hui ?

C’est très simple. Je reste dans l’opposition et j’œuvre pour la transformation en profondeur de la vie politique. Le système présidentiel devrait céder la place à un système parlementaire. Aujourd’hui, toutes les décisions importantes et moins importantes sont prises à Kaboul, dans un seul bureau. Il faudrait que demain chaque province puisse élire un gouverneur qui soit responsable devant ses électeurs. Il faudrait aussi nommer une nouvelle commission électorale qui puisse veiller au déroulement transparent des élections législatives prévues en septembre. Enfin, je viens également de jeter les bases d’un nouveau parti politique qui s’appelle la Coalition pour le changement et l’espoir qui réunit une cinquantaine de députés au Parlement. Nous espérons avoir plus de représentants lors de la prochaine législature.

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Est-ce que l’Afghanistan sera prêt à assurer sa propre sécurité dès 2011, comme le souhaitent les Américains ?
Il faudrait au moins cinq ans pour que la situation se stabilise. Nous aurons besoin de troupes occidentales au moins jusqu’à cette date et peut-être au delà. Il me semble que la date de l’été 2011 a été avancée pour fixer un cadre. Les réductions d’effectifs commenceront dès l’année en cours, si j’ai bien compris. Je suis conscient que la présence militaire occidentale ne peut pas être une solution permanente, mais c’est encore trop tôt, à mon avis, pour parler du retrait total des troupes.

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