Philippe Vasseur : « La future PAC peut être dévastatrice pour l’Afrique »
L’ancien ministre français de l’Agriculture (1995-1997) et fondateur du World Forum Lille pour l’économie responsable revient sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) que l’Union européenne engagera en 2013. Les lignes directrices de ce vaste chantier seront présentées dès le second trimestre 2010. Mais elles sont déjà en partie connues et une question cruciale se pose : quelles en seront les conséquences sur le secteur agricole africain ? Philippe Vasseur fait part de son inquiétude à jeuneafrique.com. Entretien.
Vers quelle PAC s’achemine-t-on ?
La réforme de la PAC sera marquée par une triple contrainte. La première est liée aux règles de libéralisation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la fin des subventions à l’exportation. La deuxième concerne l’évolution budgétaire de l’Union européenne : quel sera son montant global ? Quelles seront les contributions des États ? Et surtout, quelles seront les priorités ? Sur ce point, l’agriculture, qui a été très longtemps le secteur le plus financé, n’est plus la priorité numéro un. Je doute cependant que la coopération figure en tête de liste… Enfin, la troisième contrainte est l’évolution de l’opinion publique. En Europe aujourd’hui, les gens n’admettent plus que la PAC ne bénéficie qu’aux seuls agriculteurs, qui ne représentent plus que 4% de la population.
Quelles seront les conséquences pour l’agriculture du continent africain ?
Certaines seront positives. L’OMC exige que nous supprimions les subventions à l’exportation, ce qui sera fait le 1er janvier 2014. C’est une bonne nouvelle pour l’Afrique car ces subventions ont été dévastatrices pour certains marchés africains. D’autre part, le soutien interne aux producteurs sera modifié. Les subventions ne seront plus liées à la production. Elles encourageront donc moins à produire le plus possible, mais seront menées selon de nouveaux critères, comme le respect de l’environnement. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour l’Afrique, même si les producteurs européens resteront privilégiés. En revanche, l’ouverture des marchés pourrait avoir des effets néfastes pour le continent. La libéralisation est souvent profitable aux grands pays exportateurs, comme le Brésil, mais très négative pour les pays importateurs, et ils sont nombreux en Afrique. En ce sens, je comprends les pays africains qui hésitent ou rechignent à signer les accords APE.
Pourquoi ?
Il s’agit d’un choc brutal. En plus, ces pays font souvent l’objet de pressions européennes parfois anormales, comme celle consistant à conditionner l’aide au développement à la signature de ces accords. Ce n’est pas correct ! La mise en concurrence des agriculteurs européens et africains pourrait être terrible car elle n’est pas loyale. Il y a les écarts de rendement. Il y a aussi les normes sanitaires de plus en plus strictes qui constituent de véritables barrières. D’autre part, la libéralisation va priver les États africains des rentrées d’argent liées aux taxes douanières.
La déréglementation pose un autre problème : la spéculation…
Lors des émeutes de la faim en 2008, l’on a pu se rendre compte de l’extrême volatilité des cours. Le cours du blé est aujourd’hui trois fois moindre qu’il y a 18 mois ! La contradiction consiste à envisager la régulation de l’économie, alors qu’on continue à vouloir libéraliser le secteur agricole.
Lors des négociations sur la future PAC qui seront certainement très dures, notamment avec les agriculteurs européens, peut-on imaginer – rêver – que les conséquences des décisions sur l’Afrique seront prises en compte ?
Je n’ai pas le sentiment que cela soit la préoccupation première… Regardez l’Aide publique au développement : entre 1970 et 2000, la part de l’aide à l’agriculture est passée de 20% à 4%. Longtemps, l’Union européenne et la Banque mondiale ont estimé que l’agriculture n’était pas une priorité en Afrique. C’était une erreur et la Banque mondiale l’a reconnue.
Quelles pistes faut-il suivre ?
Aider l’investissement et surtout ne pas calquer le modèle européen sur l’Afrique. L’expérience de la PAC ne peut pas servir au continent. Il nous reste deux ans pour boucler cette PAC. Pour l’instant, elle peut avoir des conséquences positives comme être dévastatrice pour l’Afrique.
Retrouvez notre dossier spécial sur la sécurité alimentaire dans le numéro 2564 de Jeune Afrique en kiosques du 28 février au 6 mars 2010.
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