Dossier Djibouti : sur les traces de Dubaï
Fort d’une croissance continue et d’un déficit budgétaire sous contrôle, le pays multiplie les projets. Objectif : devenir le hub est-africain de la logistique, des télécoms et de la finance.
Djibouti : grandes manoeuvres
Au coeur d’une région troublée et pauvre, Djibouti apparaît comme un îlot de stabilité, voire de prospérité, même si la population, dans sa très large majorité, peine encore à en profiter, avec un taux de chômage compris entre 40 % et 60 %. Tiré par une économie éthiopienne en plein boom qui lui permet d’attirer les investissements et profitant de la présence d’importants contingents militaires étrangers qui contribuent chaque année à hauteur de 100 millions de dollars (environ 75 millions d’euros) au budget de l’État, Djibouti aligne depuis dix ans une croissance moyenne de 4,5 % par an. Avec une hausse du PIB de 4,9 % selon le Fonds monétaire international (FMI), 2012 confirme la tendance.
La parité du franc djiboutien avec le dollar permet de contenir l’inflation à 3,7 %, tandis que la connexion au réseau électrique éthiopien contribue au rééquilibrage de la balance commerciale (- 12,3 %, contre – 14,1 % en 2011). Grâce à une politique prudente du gouvernement en matière de dépenses publiques et à l’amélioration du recouvrement des recettes fiscales, le déficit budgétaire est resté sous contrôle, à 2,7 % du PIB en 2012. Fort de ces fondamentaux, Djibouti peut se concentrer sur son principal objectif : suivre l’exemple de Dubaï pour devenir à terme un hub sous-régional dans les secteurs de la logistique, des télécoms et de la finance.
BANQUES
Nouvelles arrivées
Jusqu’en 2006, le secteur financier local se limitait à deux banques, filiales de groupes français, pendant que les dames assises avenue Clemenceau, au coeur de la capitale, servaient de bureau de change. Elles sont toujours là, mais le secteur s’est singulièrement développé – il compte aujourd’hui onze établissements -, donnant un peu plus de poids aux ambitions du pays. « Djibouti dispose de tous les atouts pour devenir la place financière de la Corne de l’Afrique », confirme Saleh Karman, directeur général de Saba Islamic Bank. Le pays sert déjà de plateforme vers la Somalie et le Yémen, où le secteur bancaire est encore balbutiant, ainsi qu’en direction de l’Éthiopie, où il reste sous contrôle de l’État.
Le marché intérieur est lui aussi prometteur : le taux de bancarisation est passé en quelques années de 5 % à 12 %. L’arrivée de nouveaux acteurs facilite en outre l’obtention des crédits nécessaires à la constitution d’un secteur privé digne de ce nom, même si les deux institutions historiques, Banque pour le commerce et l’industrie-Mer Rouge (BCIMR) et Bank of Africa (BOA), conservent 85 % de part de marché. La nouvelle concurrence, composée d’établissements suisses, malaisiens ou tanzaniens et de banques islamiques yéménites ou égyptiennes, peut s’appuyer sur « un cadre légal très favorable », selon Ahmed Osman, le directeur de la Banque centrale.
PORTS
Chantiers tous azimuts
Entre les ports et la zone franche, le secteur des transports et de la logistique est de loin le premier contributeur au PIB et le principal employeur du pays. La proximité du canal de Suez et la réussite du terminal à conteneurs de Doraleh encouragent aujourd’hui le pays à poursuivre dans la voie tracée par les Dubaïotes depuis 2003, en prévoyant l’ouverture ou l’agrandissement dans les prochaines années de six ports, pour un investissement global de 5,8 milliards de dollars.
Djibouti s’apprête ainsi à étendre les capacités de son terminal pétrolier, inauguré en 2006 et exploité par Horizon Terminals, filiale d’Emirates National Oil Company. Dans le nord du pays, les travaux du port minéralier de Tadjourah ont démarré fin 2012 pour exporter chaque année 4 millions de tonnes de potasse éthiopienne dès 2015. Il sera connecté à une ligne ferroviaire de 780 km tirée depuis Mekele, en Éthiopie, pour 600 millions de dollars. Le terminal d’exportation de sel du Goubet est attendu pour la même date, tout comme le port de Damerjog, qui doit exporter annuellement 5 millions de têtes de bétail éthiopien vers la péninsule arabe. Un port pétrolier est attendu au même endroit dès 2014 pour exporter la production du Soudan du Sud, estimée à 500 000 barils par jour.
Les chantiers les plus importants concernent la capitale elle-même. Le port historique va tourner une page en se voyant transformé en centre d’affaires et commercial, avec hôtels et marinas. Cinq quais seront conservés, trois pour les marines militaires qui font escale dans la région et deux pour un futur terminal de croisière. Enfin, la direction portuaire et Dubai Ports World, opérateur de Doraleh, préparent l’extension de l’actuel terminal, où ont été manutentionnés en 2012 près de 800 000 conteneurs. Doraleh II pourra traiter 3 millions de boîtes pour un investissement de 400 millions de dollars.
« L’ensemble de ces projets va avoir un impact énorme sur l’économie de la sous-région », affirme Aboubaker Omar Hadi, président de l’Autorité des ports et des zones franches. Pour cela, il peut compter sur deux autres investissements de taille : le futur terminal à gaz naturel liquéfié destiné à valoriser les gisements éthiopiens ; et la réhabilitation d’ici à deux ans des 730 km de voie ferrée en provenance d’Addis-Abeba. Autant de projets qui doivent conforter China Merchants Holdings dans sa décision prise en décembre 2012 de devenir actionnaire de l’autorité portuaire, à hauteur de 23,5 %, pour 185 millions de dollars.
TÉLÉCOMS
Ultraconnecté
De par sa situation géographique, Djibouti a été l’un des premiers pays câblés d’Afrique. « Situé au carrefour de trois continents, le pays a été branché au câble Sea-Me-We 1 dès 1984 », précise Abdourahman Mohamed Hassan, directeur général de Djibouti Télécom. Aujourd’hui, il est connecté à cinq câbles sous-marins, tirés entre l’Asie et l’Europe via le Moyen-Orient et la côte est-africaine, en attendant l’arrivée prévue pour 2013 de Sea-Me-We 5 et d’AAE-1. L’opérateur unique et public du pays dispose également de deux câbles terrestres en fibre optique le reliant à l’Éthiopie et au Somaliland, alors qu’une troisième connexion a été ajoutée depuis Addis-Abeba en même temps que la ligne électrique.
Grâce à ces équipements, Djibouti Télécom est en mesure de proposer toute une gamme de services exclusifs dans cette région d’Afrique, à commencer par l’internet haut débit. La société en a profité pour installer un data center, utilisé par d’autres opérateurs comme MTN, Belgacom ou Telkom pour servir leurs propres clients. Djibouti Télécom vient enfin de réceptionner le premier téléport de la zone, qui permet de « diffuser par satellite des données auprès de clients que le câble ne touche pas », explique Abdourahman Mohamed Hassan. Cette installation intéresse grandement le gouvernement américain : il pourrait ainsi localiser ses soldats lors de missions terrestres.
Une porte pour l’Éthiopie
« Si ce n’était que pour nous, un cargo de farine et un autre de sucre suffiraient à l’année », plaisante Aboubaker Omar Hadi, président de l’Autorité des ports et des zones franches. Heureusement pour Djibouti, il y a l’Éthiopie et son marché de 88 millions de consommateurs qui reste à désenclaver. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller à la sortie de la capitale. Sous la ligne électrique qui relie depuis 2011 les deux pays, le long de la RN1 encombrée de camions, une vaste zone logistique dont les panneaux sont en amharique et où le birr remplace le franc djiboutien. L’Éthiopie pèse 90 % des échanges commerciaux de Djibouti et la valeur du trafic entre les deux pays, multipliée par six en cinq ans, devrait continuer à croître à mesure que liaisons ferroviaires et pipelines seront inaugurés pour acheminer les matières premières éthiopiennes. Addis-Abeba, qui fournit de l’eau et de l’électricité à Djibouti, lui prête aussi d’importantes surfaces agricoles. Sans oublier le qat livré chaque jour par avion. OC.
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