Le textile dans la tourmente
Les difficultés économiques s’accumulent depuis le début de la crise politique à Madagascar. L’exclusion du pays de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) n’arrange rien.
«On limite les déplacements en voiture. On essaie aussi de diminuer notre consommation d’électricité… » Christian Andrianoelina, commercial chez A&W Madagascar, une entreprise textile installée à Tanjombato (périphérie sud d’Antananarivo), n’a que les mots de « restrictions budgétaires » à la bouche. « Nous devons économiser sur tous les postes de dépenses pour pouvoir travailler », dit-il.
La filière textile malgache est confrontée à une grave crise. Le 23 décembre dernier, le pays a été exclu de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), instauré en l’an 2000 par les Américains. Il s’agit d’un régime dérogatoire qui permet à une quarantaine de pays d’Afrique subsaharienne d’être exemptés de taxes pour certains de leurs produits entrant aux Etats-Unis. La sanction américaine fait suite au non-respect par Antananarivo des accords de Maputo (août 2009) et d’Addis-Abeba (novembre 2009), qui avaient pour but de sortir le pays de la crise politique qui le ronge depuis plus d’un an.
Missive à Obama
Le malaise est profond. « On a une baisse des commandes d’environ 40% », se désole Jocelyn Rajaonasoa, responsable administratif et financier de la société Initiatives, à Mahitsy (30 km au nord d’Antananarivo). « Mais on ne subira vraiment la crise qu’à partir de mars ou avril. Car les commandes que nous honorons actuellement datent de 2009… » Quant à la société JH Madagascar, avec 1500 salariés, elle est sur le point de faire faillite. Depuis le début de février, ses employés sont en grève. Et elle aurait déjà commencé le démontage de ses installations…
Le danger pour la filière est tel que le Groupement des Entreprises Franches et Partenaires (GEFP) a décidé de réagir. Le 5 janvier, cette association patronale a écrit directement à Barack Obama en lui rappelant sa qualité de premier président américain à avoir du « sang africain qui coule dans les veines. » Et d’ajouter qu’à ce titre, il ne devrait pas « pénaliser 500 000 pauvres travailleurs qui ne sont pour rien dans la crise politique ».
Méthode Coué
Pourtant, le ministre du Commerce, Jean-Claude Rakotonirina, se veut rassurant. « L’Agoa ne représente que 32 % des exportations de Madagascar. La plus grosse partie est destinée au marché européen, notamment français [70% des exportations malgaches, NDLR]. Dans l’UE, nous ne payons pas de taxe pour nos produits textiles », indique le ministre. Le gouvernement prévoit ainsi d’accroître ses débouchés vers l’Allemagne, notamment, qui ne reçoit que 0,6 % des exportations malgaches.
Jean-Claude Rakotonirina reste indéfectiblement optimiste. « La sortie de Madagascar de l’AGOA n’est pas une catastrophe, assure-t-il. La zone franche n’est qu’un appoint dans l’économie malgache, elle n’est pas essentielle. » Selon lui, si toutes les entreprises du secteur mettaient la clé sous la porte, il n’y aurait « que » 45 000 chômeurs. Mais ce n’est pas l’avis des associations patronales pour qui ce chiffre est dix fois inférieur à la réalité. Les exportations de textile vers les États-Unis représentent tout de même 12% du PIB de la Grande Île…
Sélim Ismail est président de la plus grande entreprise textile malgache, Cotona, qui produit en moyenne 60 millions de mètres de textile par an et emploie plus de 3 000 personnes. Entretien.
Quel est l’impact de l’exclusion de Madagascar de l’Agoa sur votre stratégie d’entreprise ?
Nos marchés de l’Agoa, tout en étant significatifs en pourcentage de nos ventes, ne représentent qu’une part minoritaire de nos exportations. Le redéploiement de nos ventes en direction de nos clients européens nous permet de préserver la pleine charge de nos ateliers. Cependant, les efforts de pénétration sur le marché américain que nous déployons depuis plusieurs années représentent pour nous un investissement extrêmement important. La croissance de nos ventes nous avait conduits à envisager en 2010 un doublement progressif de notre capacité de production avec la création d’environ 2 000 emplois supplémentaires. Nous avons dû différer la réalisation de ce plan d’expansion.
Que représentent les Etats-Unis dans vos exportations ?
On a connu une forte progression de nos ventes vers les Etats-Unis en 2008. Mais la crise politique nous a obligés à nous recentrer vers le marché européen l’année dernière. Nos commandes américaines sont estimées à 6% du total pour 2010.
Quel est le manque à gagner pour votre entreprise ?
La perte de l’Agoa va se traduire par une perte de chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 5 millions de dollars, sans compter le potentiel de croissance.
Quelles sont les solutions proposées par le gouvernement malgache?
Nous n’avons jusqu’ici aucune précision sur ce point.
Selon vous, quelles solutions doivent être envisagées?
Le problème est politique, Madagascar ne peut pas se développer sans reconnaissance internationale et par conséquent sans retour à l’Etat de droit.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?