1960 : les indépendances (presque) pacifiques
Au cours de l’année 2010, Jeune Afrique accompagne les célébrations du cinquantenaire des indépendances dans dix-sept pays africains, dont quinze francophones . Cette semaine, nous vous proposons une petite sélection – non exhaustive, bien-sûr – de vidéos d’archives.
Après coup, il est toujours facile de refaire le match. Et ce qui est valable pour le sport l’est également pour l’Histoire. Qui n’a jamais eu envie de dire, par exemple, que les conditions incertaines dans lesquelles dix-sept pays africains accédèrent à l’indépendance en 1960 expliquaient bien des désillusions futures? Au moment où l’on s’apprète à dresser le bilan de cinquante années "post-coloniales", la théorie du ver dans le fruit est – il faut le reconnaître – bien tentante…
Mais pour les historiens, dont le travail consiste à se replacer dans le contexte d’une époque pour l’éclairer à la lecture d’événements antérieurs – et non postérieurs, bien sûr – le questionnement est radicalement différent. Il permet notamment de dégager certains points communs aux indépendances de 1960, et d’essayer de les expliquer. Or dans l’histoire des décolonisations, celles qui se concrétisent cette année-là présentent en général une particularité assez singulière pour être soulignée : leur relative non-violence. La sanglante répression du soulèvement malgache de 1947-1948 et la guerre d’Algérie de 1954-1962 – sans parler de la guerre d’Indochine – sont là pour en témoigner : les indépendances de « l’Afrique noire » francophone auraient pu être beaucoup plus brutales.
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Pour faire simple, deux explications s’imposent. La première, la plus évidente, se rapporte au fameux « vent de l’Histoire » dont l’une des manifestations les plus évidentes a lieu en 1955, à Bandoeng, lors de la Conférence des pays non-alignés. Les métropoles coloniales que sont encore la Grande-Bretagne et la France ne prennent vraiment conscience du phénomène qu’en 1956 avec l’échec de leur intervention militaire dans l’Égypte de Nasser, qui a nationalisé le canal de Suez. Et c’est tout à l’honneur du général de Gaulle d’avoir eu l’intelligence de ne pas s’opposer aux indépendances africaines après son retour aux affaires en 1958. Fait notable : lors du référendum du 28 septembre de la même année, seule la Guinée de Sékou Touré rejette la nouvelle Constitution française qui dresse le cadre d’une Communauté "franco-africaine" aux bords flous. Laquelle cessera d’exister avant même d’avoir commencé à fonctionner…
Inflexion de la politique coloniale
La deuxième explication de la transition pacifique vers l’indépendance de nombreux pays africains à la fin des années 1950 est moins connue, mais sans doute plus pertinente pour comprendre la patience dont nombre de nationalistes africains ont su faire preuve à l’égard de la France. À la différence de ce qui se passe en Algérie, vraie colonie de peuplement, les députés « nègres » participent activement depuis 1945 – et sur un pied d’égalité avec leurs homologues métropolitains – à l’élaboration des lois au sein du Parlement, et même aux nombreux gouvernements de la quatrième République. Neuf d’entre eux en seront membres: Lamine Guèye, Joseph Conombo, Fily Dabo Sissoko, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Hamadoun Dicko, Modibo Keïta, Hubert Maga et Diori Hamani.
A cet égard, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), mais surtout l’Union démocratique des forces de résistance (UDSR), dirigée depuis 1953 par François Mitterrand, jouent un rôle capital dans l’inflexion libérale de la politique coloniale de la France dans les années 1950. "La compréhension de l’UDSR, le sens politique dont elle fait preuve et la confiance qu’elle nous témoigne ont décidé du cours des événements de l »Afrique noire française", dit Senghor – proche de la SFIO avec les Indépendants d’outre-mer (IOM) – en 1955.
Plusieurs fois ministre d’État, Félix Houphouët Boigny, fondateur du Rassemblement démocratique africain (RDA, associé à l’UDSR), témoigne aussi de sa proximité avec la politique suivie par la France. «Nous préférons l’indépendance dans la coopération, dans l’amitié et dans la fraternité à l’indépendance dans la haine », dit-il en 1959.
Mais la concorde avec la métropole n’est pas toujours de mise. Deux cas particuliers l’illustrent bien. Le Cameroun, d’abord, dont la vie politique était dominée dès 1948 par l’Union des peuples du Cameroun (UPC) de V.M. Nyobé. L’impatience nationaliste s’exprima en 1955 par de graves émeutes qui aboutirent à l’interdiction de l’UPC et au basculement de ce parti vers le terrorisme et l’insurrection armée jusqu’en 1960. La France s’appuya sur les partis modérés, animés par un musulman du Nord: Ahmadou Ahidjo, qui obtint la levée de la tutelle française par l’ONU en 1958, avec la connivence de Paris. L’indépendance fut alors perçue comme une trahison. Et ranima de violents affrontements inter-camerounais qui durèrent plusieurs années.
Autre cas particulièrement violent: celui du Congo-Léopoldville (RD Congo), où l’année 1959 est marquée par de violentes émeutes suite à l’interdiction par les autorités belges d’une réunion de l’Association des Bakongos (Abako) de Joseph Kasa-Vubu, qui réclame la restauration du royaume kongo. Le seul parti unitaire et interethnique est alors le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Emery Lumumba, qui reçoit un moment l’aval de la couronne belge. L’indépendance est finalement proclamée le 30 juin 1960, mais Lumumba, Premier ministre, est placé en résidence surveillée après le coup d’Etat de Mobutu Sese Seko, le 14 septembre. Il sera executé par la sûreté belge, le 17 janvier 1961.
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En 1960, il n’y avait plus d’Etat congolais – les Belges continuant de régner depuis Bruxelles – et rien n’avait été mis en place pour le remplacer. L’assassinat de Lumumba ouvrait la voie à des guerres civiles d’une violence inouïe.
Voir aussi le dossier spécial sur les indépendances de 1960 dans le numéro 2558 de Jeune Afrique en kiosques du 17 au 28 janvier 2010.
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