Adebayor : « Si Drogba avait été victime d’une fusillade, la CAN aurait été annulée »
Le capitaine de l’équipe togolaise de football est très remonté contre la Confédération africaine de football (CAF). L’attaquant de Manchester City accuse l’instance de laxisme et de « manque de respect » envers les Eperviers après la fusillade meurtrière du vendredi 8 janvier au Cabinda, province angolaise où le Onze devait disputer un match pour la CAN.
« Ce n’est pas dans les bons moments qu’on voit un leader ». Emmanuel Adebayor le dit et le répète, non sans fierté : il est resté jusqu’au bout avec les footballeurs de l’équipe togolaise de football, endeuillée par une attaque de rebelles cabindais, le vendredi 8 janvier. « J’étais à la morgue pour voir les confrères qui sont morts. J’ai été le dernier joueur à porter les cercueils dans l’avion et à ramener nos combattants au pays », explique le capitaine des Eperviers à jeuneafrique.com. Toujours sous le choc, l’attaquant de Manchester City est aussi très en colère. En particulier contre le président de la Confédération africaine de football (CAF), Issa Hayatou… Confidences, recueillies par téléphone, d’Emmanuel Adebayor, rentré depuis le 10 janvier à Lomé.
Jeuneafrique.com : Comment s’est déroulée l’attaque ?
Emmanuel Adebayor : Nous étions dans le bus, on a traversé la frontière, on était fatigués… Et puis une roquette est tombée sur le bus de bagages, qui était derrière. Tout le monde a pensé que c’était une petite crevaison. Mais avec l’attaque de mitraillettes qui a suivi, on s’est rendu compte qu’on était comme dans un film. [Les hommes armés nous ont] tiré dessus. Je n’ai envie d’accuser personne. Je ne sais pas si c’est le Flec (Front de libération de l’enclave du Cabinda, ndlr) ou pas, mais c’étaient des gens très bien entraînés, qui étaient prêts à nous éliminer. Ils n’étaient manifestement pas là pour nous faire de cadeau !
Après la fusillade, l’équipe a décidé de rentrer au pays. Puis ils ont voulu participer à la CAN en hommage aux morts, avant de finalement repartir au Togo à la demande des autorités…
C’était très difficile. Vingt-quatre heures après la fusillade, tout le monde était encore sous le choc. J’ai été le premier à dire que tout ce que je voulais c’était retrouver ma famille. Mais au fur et à mesure que le temps passait, on se disait que si on avait été morts, ça aurait été du pareil au même. Alors à la fin de la journée, j’ai dit : « Quel hommage peut-on rendre à nos deux confrères qui nous ont quittés ? Jouer pour eux ! Défendre les couleurs de la nation ! » On a donc tous décidé de faire une bonne CAN pour eux. Mais on est quand même les enfants d’un pays où il y a un chef de l’Etat et un gouvernement, qui en ont décidé autrement. S’ils nous demandent de rentrer, cela veut dire que la menace n’est peut-être pas encore écartée. On est obligés de leur obéir. Franchement, je suis rentré au pays sans regret. Je suis très content. Mais si le gouvernement ou le chef de l’Etat m’avaient dit de continuer la Coupe d’Afrique des nations, j’aurais été prêt à le faire avec plaisir.
L’Angola et la CAF ont, semble-t-il, fait pression pour vous faire jouer coûte que coûte…
Nous n’avons reçu aucune pression. De qui que ce soit. Mais la CAF et le gouvernement angolais veulent étouffer l’affaire. C’est-à-dire qu’ils sont prêts à tout pour dire que tout va bien alors qu’ils savent que ça ne va pas. Par ailleurs, on s’est senti trahi. La CAF nous a manqué de respect. [Issa Hayatou] nous a dit : « Ecoutez, je sais que c’est difficile pour vous. Si vous voulez rester, restez. Si voulez partir, vous pouvez partir. » On a perdu des amis, des gens très chers, des gens prêts à faire la CAN. La moindre des choses, c’est de nous donner le temps de faire notre deuil. Mais cela n’a pas été fait. Je me rends compte qu’en Afrique c’est du n’importe quoi. On a deux morts sur la conscience. Moralement c’est difficile. Et lui (Issa Hayatou, ndlr) va dire à la presse qu’on nous a interdit de prendre la route. Mais si vous savez qu’un pays est menacé ou qu’il n’est pas en mesure de sécuriser la zone où il y aura une compétition de haut niveau comme la CAN, il ne faut pas organiser la CAN là-bas ! En tant que porte-parole de la Fédération togolaise de football, en tant que capitaine des Eperviers, je vous dit qu’on est très tristes et qu’on est très dégoûtés par rapport au comportement des membres de la CAF.
En parlant du trajet, pourquoi êtes-vous arrivés en bus ?
Tout le monde avait décidé que nous devions faire un stage à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) : le gouvernement, les membres de la Fédération et moi. Il se trouve que le trajet entre Pointe-Noire et Cabinda ne dure qu’une heure et demi par la route. On ne va pas nous accuser de décider d’aller de Pointe-Noire à Cabinda en bus… C’est un manque de respect !
Juste après la fusillade, les dirigeants de Manchester City vous ont-ils appelé pour vous demander de rentrer de peur qu’il y ait d’autres incidents ?
Oui, les dirigeants m’ont demandé si je pouvais rentrer à Manchester et je leur ai dit que je n’étais pas prêt à abandonner mon pays. Je leur ai dit que j’étais togolais, que n’importe quoi pouvait m’arriver, je retournerai un jour dans mon pays. Ils m’ont compris, m’ont dit de prendre le temps qu’il fallait, de prendre soin de moi, qu’ils étaient de tout cœur avec moi, qu’ils seront avec moi dans leurs prières pour que je rentre sain et sauf.
Qu’attendez-vous du Togo, de l’Angola et de la CAF ?
J’attends que le gouvernement soutienne les joueurs. Quant à l’Angola, je suis très déçu de leur comportement. Ils ne nous ont même pas présenté leurs condoléances. Et la CAF, c’est du n’importe quoi ! Si un gardien du Cameroun se retrouvait à l’hôpital ou dans un état critique, la CAN aurait été annulée. Mais aujourd’hui, comme c’est un petit pays comme le Togo…
Vous pensez vraiment que c’est parce que le Togo est un petit pays ?
Si Drogba ou [le bus de] la Côte d’Ivoire avait été victime d’une fusillade pendant 20 minutes, je pense que la CAN aurait été annulée. Mais comme c’est le Togo, Hayatou s’en fout carrément. Il a dit : la CAN va continuer. Et c’est tout !
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