L’essentiel du rapport de l’ONU sur les massacres du 28 septembre à Conakry

Jeune Afrique s’est procuré la totalité du rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur les massacres du 28 septembre en Guinée. Voici l’essentiel d’un document accablant pour Moussa Dadis Camara et deux de ses lieutenants.    

ProfilAuteur_EliseColette

Publié le 22 décembre 2009 Lecture : 23 minutes.

Le document de 60 pages a été remis le 16 décembre au Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Les 60 pages accablent Moussa Dadis Camara, Aboubacar Chérif « Toumba » Diakité et Moussa Thégboro Camara, qui sont tous trois considérés comme ayant « une responsabilité pénale individuelle » dans les massacres qui ont eu lieu le 28 septembre, et dans les jours suivants, à Conakry. Mais d’autres noms apparaissent également. Ceux de Claude Pivi et du général Sékouba Konaté, entre autres.

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Pour rédiger ce document précis et accablant pour les principaux acteurs, les trois enquêteurs de l’ONU ont rencontré 687 personnes: témoins, victimes et proches des victimes ; forces de l’ordre et représentants du parquet et du barreau de Conakry ; responsables de cliniques et du personnel des hôpitaux. Mais aussi et surtout les plus hauts responsables guinéens, du Premier ministre au Président de la République, en passant par les ministres et les proches de Dadis Camara.

Leurs témoignages sont consignés au fil des chapitres du rapport, qui finit par détailler les « responsabilités individuelles pour violations du droit pénal international ». La Commission d’enquête définit ainsi trois groupes de personnalités :
1.    Ceux pour qui « il existe des motifs raisonnables de présumer une responsabilité pénale individuelle ». Il s’agit de Moussa Dadis Camara, « Toumba » Diakité et Moussa Thégboro Camara.
2.    Ceux qui « pourraient être considérés comme pénalement responsables pour leur implication dans les événements », mais dont le rôle et le degré exact d’implication devraient être examinés dans le cadre d’une enquête judiciaire. Il s’agit de Claude Pivi (dit Coplan), ministre de la Sécurité présidentielle, qui dément avoir été présent mais que des témoins ont pourtant vu aux abords du stade vers 11h, et du colonel Abdulaye Chérif Diaby, ministre de la Santé.
3.    Ceux dont l’implication présumée les désigne comme devant faire l’objet d’une enquête plus approfondie. Il s’agit en premier lieu du remplaçant de fait de Dadis Camara à la tête de la junte depuis le début de décembre, le général Sékouba Konaté, du sous-lieutenant Marcel Koivogui, du général Mamadouba Toto Camara, du ministre de la Jeunesse et des Sports, Fodéba Isto Keira (qui aurait détruit les preuves dans le stade), de la directrice de l’hôpital Donka, Fatou Sikhe Camara, et de quelques autres.

Après la lecture du rapport, on voit mal comme Moussa Dadis Camara, encore en convalescence au Maroc, pourrait échapper au jugement d’un tribunal – quel qu’il soit. Mais c’est probablement l’issue qui attend également ceux, autour de lui, qui ont dirigé la Guinée depuis la mort de Lansana Conté, il y a exactement un an.

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Nous vous proposons en exclusivité la lecture intégrale des faits qui pèsent sur ces hommes. Sept pages (sur les 60 que compte le rapport) qui retracent les liens entre eux, leur présence au stade lors des funestes événements, leur parcours dans les jours qui ont suivi et, comme le souligne le rapport, « l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens ». 

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Extraits du rapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des événements du 28 septembre 2009 en Guinée.

B.    Responsabilités individuelles pour violations du droit pénal international

1. Principes généraux

212. La détermination finale de la responsabilité pénale individuelle relève exclusivement de la compétence d’une cour de justice. Toutefois, le mandat de la Commission lui impose d’établir des responsabilités et, dans la mesure du possible, d’identifier les auteurs des crimes commis. Dans la présente section, la Commission présente son analyse de la responsabilité pénale individuelle des auteurs présumés cités au chapitre Il (par. 53 à 168 ci-dessus). Les informations contenues dans ce rapport peuvent servir à guider une éventuelle enquête pénale qui pourrait être menée sur les auteurs présumés des violations des droits de 1 ‘homme qui ont eu lieu au stade le 28 septembre 2009 et les jours suivants.

213. Il existe deux formes principales de responsabilités, alternatives, selon lesquelles un individu peut être rendu pénalement responsable de violations du droit pénal international : la responsabilité directe et la responsabilité indirecte ou responsabilité du chef militaire ou supérieur hiérarchique. La responsabilité directe prévaut lorsqu’un individu commet (individuellement, conjointement avec ou par l’intermédiaire d’une autre personne), ordonne, sollicite, favorise, aide et encourage ou alors assiste dans la commission ou fournit les moyens pour la commission de crimes, ou contribue intentionnellement à la commission d’un crime par un groupe de personnes ayant un objectif criminel commun. Cette contribution intentionnelle doit viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime international ou si cette contribution intentionnelle est faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre un tel crime.

214. La responsabilité indirecte ou de commandement prévaut quand un supérieur ou chef possède un contrôle effectif sur les individus ou les forces sous son commandement ou autorité, quand cet individu savait ou « aurait dû savoir » que les forces sous son contrôle « commettaient » ou « étaient sur le point de commettre de tels crimes » et quand ce chef ou supérieur « n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir pour prévenir ou empêcher leur commission ou pour soumettre le problème aux autorités compétentes pour enquête et poursuite» .

215. La Commission conclut qu’il existe des motifs raisonnables de présumer, en relation avec les événements du 28 septembre 2009 et des jours suivants, une responsabilité pénale individuelle des personnes suivantes:
a)    le Président, capitaine Moussa Dadis Camara ;
b)    le lieutenant Aboubacar Chérif Diakité (dit Toumba), aide de camp du Président et chef de sa garde rapprochée;
c)     le commandant Moussa Thégboro Camara, Ministre chargé des services spéciaux, de lutte anti-drogue et du grand banditisme.

2. Le capitaine Moussa Dadis Camara, Président de la République de Guinée

216. La Commission considère qu’il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du Président Moussa Dadis Carnara, voire une responsabilité de commandement, pour les faits qui se sont produits dans le contexte de l’attaque et les jours suivants.

217. Les unités principalement responsables des violations commises au stade sont les forces « d’élite» du CNDD et les plus loyales envers le Président Moussa Dadis Camara. Les bérets rouges, unité qui existait déjà sous le régime précédent, ont été réorganisés et placés sous l’autorité d’hommes très proches du Président, à savoir le capitaine Claude Pivi et le lieutenant Toumba (lequel a ensuite attenté à la vie du Président). Les Services spéciaux de lutte antidrogue et du grand banditisme ont quant à eux été créés par le CNDD immédiatement après sa prise de pouvoir, sous le commandement d’un autre haut dignitaire du parti, le commandant Moussa Thégboro Camara, Contrairement à J’armée régulière que le Président Camara a décrite comme indisciplinée, ces unités ont leur quartier-général au camp Alpha Yaya Diallo, où est installée la présidence.

218. Le commandant Thégboro a informé la Commission qu’il était avec le Président la nuit du 27 au 28 quand Sidya Touré a été appelé. Bien que le Président ait déclaré à la Commission que le commandant Thégboro « prend ses dispositions », ce dernier a expliqué à la Commission qu’ « il faut suivre la hiérarchie » et que ses seuls supérieurs sont le Premier Ministre et le Président de la République; il dispose d’ailleurs d’un numéro de téléphone réservé aux appels du Président. Dans ces circonstances, le commandant Thégboro n’aurait pas pu aller au stade ou décider de quelque action que ce soit en relation avec les événements sans avoir reçu des ordres du Président ou du moins l’autorité d’agir en son nom.

219. Le lieutenant Toumba a également assuré qu’il dépendait directement du Président et que, le jour des événements, le Président lui avait directement ordonné d’aller au stade pour protéger les leaders politiques et renvoyer tout militaire de l’armée régulière en caserne. Le lieutenant Toumba et le commandant Thégboro ont informé la Commission que, lorsque la violence a éclaté au stade, leur mission était de protéger les leaders politiques. Tous les deux ont déclaré avoir obéi de façon responsable aux ordres, comme en atteste le fait que les leaders politiques qu’ils ont personnellement évacués du stade n’ont pas été tués. Les leaders politiques n’ont toutefois pas été amenés à l’hôpital tout de suite, bien que certains d’entre eux fussent visiblement gravement blessés. Le commandant Thégboro et le lieutenant Toumba les ont amenés à l’état-major de la gendarmerie où le chef d’état-major de la gendarmerie, le commandant Balde, a appelé le Président pour lui dire qu’il fallait les emmener à l’hôpital. Le Président aurait consenti à cette requête.

220. La Commission a reçu de nombreux témoignages indiquant que les auteurs des violences exécutaient des ordres lorsqu’ils se trouvaient au stade. Une victime a rapporté qu’un béret rouge lui avait demandé « Pourquoi vous êtes venue au stade? Maintenant je ne peux rien faire pour vous aider », tandis qu’une autre, qui suppliait un militaire de ne pas la tuer lorsqu’elle a été découverte dans sa cachette au stade vers 15h00, a rapporté qu’il avait répondu « Bâtarde, c’est moi qui t’ai appelée. Dadis nous a dit de vous tuer tous ».

221. Lorsque le commandant Thégboro et le lieutenant Toumba sont allés au stade, leurs actions et celles de leurs subordonnés peuvent être directement attribuées au Président. Le commandant Thégboro et ses hommes, qui se trouvaient déjà aux abords du stade, se sont déployés vers le stade. Le lieutenant Toumba et ses hommes sont quant à eux venus directement du camp Alpha Yaya Diallo, voire du camp Kundara, pour investir le stade. En dépit d’une arrivée indépendante au stade, la mission des deux chefs était identique et leur hiérarchie mène au Président – celle du lieutenant Toumba à travers le Ministre Pivi (même si le premier a déclaré à la Commission qu’il dépendait directement du Président) et celle du commandant Thégboro à travers le Premier Ministre.

222. La Commission conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens. Un policier a rapporté avoir vu des hommes en civil, accompagnés de deux pick-up de bérets rouges, partir dans des bus « Soguitrans » du camp Alpha Yaya Diallo. Plusieurs témoins ont vu de tels bus arriver au stade et débarquer des hommes en civil qui ont ensuite participé directement aux violences, avec des armes blanches, en coordination avec des groupes de bérets rouges et de gendarmes de Thégboro. Il faut rappeler que les quartiers-généraux du Président Moussa Dadis Camara, du commandant Thegboro, du capitaine Pivi et du lieutenant Toumba se trouvent tous au camp Alpha Yaya Diallo, dans un rayon de quelques centaines de mètres.

223. Le lendemain des événements du stade, le Président a déclaré en public: « L’aspect le plus choquant est que j’ai essayé de moraliser et de sensibiliser les leaders politiques, leur disant qu’il y a eu des cas similaires dans le passé et que je ne veux pas que la même chose se reproduise À plusieurs reprises, le Président a attribué la responsabilité des événements aux leaders politiques qui ont organisé une « manifestation subversive », «préméditée» ou une « insurrection ». Il a déclaré que les leaders politiques étaient « responsables d’avoir envoyé les enfants des autres à l’abattoir ». Le Président a déclaré à la Commission que les leaders politiques avaient déjà vu la réaction de l’armée en 2007 et que, par conséquent, « ils savaient que cette armée allait répondre ». Ses propos indiquent qu’il est convaincu que de telles manifestations mènent nécessairement et inévitablement à la violence telle que celle qui a été observé le 28 septembre et les jours suivants et témoignent de son intention d’apporter une réponse aux manifestations de 2009 similaire à celle de 2007.
 
224. La Commission estime par conséquent qu’il pourrait y avoir des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du Président Camara dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.
 
225. En tant que commandant en chef des forces armées, le Président Camara a l’ultime pouvoir de commandement sur toutes les forces de sécurité engagées dans l’attaque et les jours suivants. La Guinée est présentement sous le contrôle d’un Gouvernement militaire qui a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Le Gouvernement est intégré dans une structure hiérarchique militaire, avec le Président en position de commandant suprême. Le lieutenant Toumba luimême, quand la question lui a été posée au sujet de la hiérarchie, a répondu à la Commission que « l’institution militaire obéit au commandement et aux ordres et ne doit pas être traitée comme une institution civile »,

226. Après les événements au stade et pendant les jours suivants, le Président Moussa Dadis Camara n’a rien fait pour faire cesser la commission de crimes ou punir leurs auteurs. Au contraire, quand des officiers supérieurs ont tenté d’arrêter le lieutenant Toumba pour le rôle qu’il avait joué dans les événements du 28 septembre, le Président, selon les dires du capitaine Pivi, les en a empêchés. Le 2 octobre 2009, au moment où l’implication présumée du lieutenant Toumba dans les attaques était déjà publiquement connue, le Président et son lieutenant sont apparus côte-à-côte lors de la célébration de la fête de l’indépendance de la Guinée, qui avait été largement médiatisée. Peu de temps après les événements, le Président s’est plaint de son armée indisciplinée. Toutefois, il a également démontré un haut degré de contrôle sur les militaires puisque l’armée régulière a obéi à ses ordres, transmis par l’intermédiaire du chef de l’état-major général des armées, de rester dans les casernes toute la journée malgré la gravité des événements qui se déroulaient dans la ville. De plus, la décision du Président de promouvoir, en date du 2 novembre 2009, tous les sous-officiers supérieurs et sous-officiers de l’armée au grade supérieur – une telle promotion étant prévue pour les officiers le 23 décembre -, y compris ceux qui font partie des services qui ont participé aux événements du 28 septembre, tend à démontrer que leurs actions ont été commises avec l’accord du Président.

227. Enfin, la Commission a recueilli de nombreuses informations relatives aux efforts organisés et coordonnés en vue de dissimuler les preuves des crimes commis, des efforts dirigés par les mêmes forces de l’ordre que celles qui sont responsables des crimes. Le Président n’a rien fait pour prévenir ou arrêter ces démarches.

228. La Commission estime, par conséquent, qu’il pourrait y avoir également des motifs suffisants de présumer la responsabilité de chef militaire et supérieur hiérarchique du Président Moussa Dadis Camara dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.

3. Le lieutenant Aboubacar Cbérif Diakité (dit Toumba)

229. La Commission dispose d’éléments suffisants engageant la responsabilité pénale directe du lieutenant Aboubacar Chérif Diakité (dit Toumba), voire une responsabilité de commandement, pour les faits qui se sont produits dans le contexte de l’attaque du 28 septembre et les jours suivants.

230. Le lieutenant Toumba est le commandant de la garde rapprochée du Président et l’aide de camp de celui-ci. II a confirmé devant la Commission avoir reçu directement du Président l’ordre de se rendre au stade, afin de protéger les leaders politiques, de vérifier si des militaires se trouvaient là-bas en dépit des ordres donnés et, le cas échéant, de les faire rentrer au camp. Il a affirmé être parti au stade avec huit hommes uniquement et avoir sauvé les leaders politiques de leurs assaillants, qu’il n’a pu identifier. Il n’a pas entendu de tirs au stade, n’a vu aucun cadavre et affirme n’avoir été témoin d’aucune violence sexuelle, précisant que « personne n’aurait pensé à toucher une femme».

231. La Commission a toutefois reçu des centaines de témoignages selon lesquels le lieutenant Toumba était présent au stade et que la plupart des violations les plus sérieuses ont été commises par les bérets rouges en la présence et sous le commandement du lieutenant Toumba. Plusieurs témoins ont constaté que la violence au stade a commencé au moment où le lieutenant Toumba est arrivé. La Commission a aussi confirmé que ce dernier a personnellement participé à certaines attaques, notamment à celles dirigées contre certains leaders politiques, et a tiré à bout portant sur des manifestants. Un témoin a aussi rapporté que le lieutenant Toumba a dit « Personne ne sort vivant. Il faut les tuer tous. Ils pensent que c’est la démocratie ici », tandis qu’il tirait sur des manifestants dans le stade. Un témoin a par exemple décrit que, lorsque le lieutenant Toumba faisait un signe de la main, ses hommes commençaient à tirer et qu’après une communication (par téléphone ou par radio) il a ordonné à ses subordonnés de ne pas tirer. L’aide de camp du lieutenant Toumba qui fait office d’adjoint, le sous-lieutenant Marcel Koivogui, a été vu par plusieurs personnes en train de tirer sur la foule, tandis que des témoins affirment que le lieutenant Toumba contrôlait ses hommes dans le stade. De même, en présence du lieutenant Toumba, le chauffeur du Président, Sankara Kaba, a tiré en direction de Cellou Dalein Diallo et blessé son garde du corps qui s’est interposé.

232. La Commission estime ainsi qu’il existe une présomption suffisante de responsabilité pénale directe du lieutenant Toumba dans les crimes commis lors des événements du 28 septembre et des jours suivants.

233. La Commission a pu confirmer que le lieutenant Toumba est entré dans le stade au même moment que les hommes sous son contrôle. L’organisation et la coordination entre les forces de sécurité durant l’attaque, décrites aux paragraphes 180 à 200 ci-dessus, démontrent le degré de

234. La présence du lieutenant Toumba au stade et en différents endroits après les événements survenus dans l’enceinte du stade indique qu’il savait ou, du moins, pouvait savoir que ses subordonnés étaient responsables des crimes décrits dans le rapport. Non seulement le lieutenant Toumba n’a rien fait pour empêcher la perpétration de ces crimes, mais il a même directement participé à leur exécution.

235. La Commission conclut dès lors de ce qui précède qu’il existe de sérieux motifs de présumer également, en sus de la responsabilité individuelle et personnelle du lieutenant Toumba, une responsabilité subsidiaire en sa qualité de chef militaire.

236. La Commission estime qu’il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du commandant Moussa Thégboro Camara, voire une responsabilité de commandement, pour les actes commis en relation avec les événements du 28 septembre 2009 et des jours suivants.

237. La Commission est en possession d’éléments confirmant la participation directe et personnelle du commandant Thégboro ainsi -que de celle des hommes placés sous son commandement dans l’attaque du stade, ce qui place cette unité au centre de l’attaque organisée et cordonnée contre des manifestants civils. Le commandant et Ministre Thégboro était au stade tôt le matin et, pendant tous les événements, il était l’officier le plus gradé sur le terrain. Selon le témoignage d’un policier, c’est lui qui a donné l’ordre à la CMIS de dégager la voie publique des barrages installés par les manifestants, avant qu’il ne quitte les lieux. Le fait qu’il se soit personnellement adressé aux manifestants et ait essayé d’empêcher les leaders politiques d’entrer dans le stade a semblé indiquer qu’il était en définitive en charge de l’opération. Il se trouvait avec le Président lorsque ce dernier a appelé Sidya Touré la nuit précédant les événements.

4. Le commandant Moussa Tbégboro Camara

238. Le commandant Thégboro est présumé responsable du meurtre de deux manifestants par ses gendarmes sur la terrasse du stade pendant la matinée. Pendant et après l’attaque du stade, ses
gendarmes ont été responsables de meurtres, de violences sexuelles, d’actes de torture et d’arrestations et détentions arbitraires, ainsi que de disparitions forcées. Les hommes sous son commandement ont été directement impliqués dans les opérations de dissimulation dans les hôpitaux et morgues. De l’ensemble de ces éléments, la Commission conclut à une implication directe du commandant Thégboro, pour ses actes et ceux de ses subordonnés.

239. Le commandant Thégboro a déclaré à la Commission qu’il était entré dans le stade avec seulement deux de ses subordonnés – un adjoint du nom de Blaise et un autre individu – et qu’il n’y était resté que dix minutes seulement, le temps d’accomplir sa mission d’aide aux leaders politiques blessés. Il a déclaré qu’il n’avait, pendant ce temps, été témoin d’aucune tuerie, violence sexuelle ou blessure, excepté les blessures des leaders politiques. En ce qui conceme les viols, le commandant Thégboro a déclaré : « Dans des conditions comme ça, comment une telle chose peut-elle se passer? Cela se prépare. Violer une femme pendant une manifestation, il faut être fou! fi faut préparer cela dans la tête à l’avance. Ça ne peut pas se  concevoir en 10 minutes». La Commission ne s’explique pas comment le commandant Thégboro n’a pas pu voir les viols commis au stade, sachant que les leaders politiques qu’il accompagnait ont remarqué des femmes en train d’être violées.

240. La Commission est d’avis, par conséquent, qu’il pourrait y avoir des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du commandant Thégboro dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.

241. Le commandant Thégboro est l’un des hommes forts de la junte et assume un commandement ainsi qu’un contrôle effectif sur ses subordonnés. À aucun moment il n’a suggéré que ses hommes aient pu agir en dehors de son commandement; il a simplement déclaré que ses hommes n’étaient pas présents au stade, ce qu’ont confirmé deux de ses subordonnés contrairement à la majorité des témoignages recueillis par la Commission. Par conséquent, le commandant Thégboro savait, ou aurait dû savoir en tout cas, que ses subordonnés commettaient ou avaient commis ces actes, et il ne les a pas empêchés d’agir et n’a pas mené d’enquêtes sur les faits.

242. La Commission est d’avis, par conséquent, qu’il pourrait y avoir égaJement des motifs suffisants de présumer la responsabilité de chef militaire et supérieur hiérarchique du commandant Thégboro dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.

5. Les autres responsables

243. La Commission considère que d’autres personnes pourraient être considérées comme pénalement responsables pour leur implication dans les événements du 28 septembre et des jours suivants. Parmi celles-ci figurent notamment le capitaine Claude Pivi (dit Coplan), Ministre de la sécurité présidentielle, et le colonel Abdulaye Chérif Diaby, Ministre de la santé. Leur rôle et leur degré exact d’implication dans les événements du 28 septembre et des jours suivants devraient être examinés dans le cadre d’une enquête judiciaire.

244. Le capitaine Claude Pivi (dit Copi an) a informé la Commission que « le commandant du régiment [commando] est le Président de la République, qui en a pris la tête après le limogeage de l’ancien commandement. Après le Président, je coordonne personnellement le commandement au niveau de la Présidence ». Le matin du 28 septembre, il est resté au camp Alpha Yaya DialJo « parce que la sécurité au stade était assurée par les policiers et les gendarmes. Le Président ne m’a pas donné d’ordres, donc je ne suis pas parti là-bas. Ensuite, on s’est demandé quel groupe avait bien pu faire ça ». Suivant la hiérarchie officielle et conformément à ce qui a été rapporté à la Commission, le capitaine Pivi est le supérieur hiérarchique du lieutenant Toumba dont les subordonnés font partie de la sécurité présidentielle, placée sous le commandement de Pivi. Le lieutenant Toumba s’est toutefois montré fort agacé quand la Commission lui a demandé s’il était subordonné au capitaine Pivi et il a rappelé à la Commission qu’il prenait ses ordres directement du Président. Le capitaine Pivi réfute totalement le départ d’un seul béret rouge du camp le jour des événements, indiquant que « non, à ma connaissance, personne n’a quitté le camp ce jour-là. Tous mes hommes, y compris ceux du lieutenant Toumba, sont restés au camp toute la journée. S’ils sont allés au stade, ils ont agi sans ordre et sans mon autorisation. Je n’ai pas fait de réunion avec mes subordonnés le 28 septembre avant 20h00 et je ne sais pas quel était l’emploi du temps du lieutenant Toumba durant la journée »,

245. La Commission a toutefois reçu des informations concernant la présence du capitaine Pivi, en compagnie de ses hommes, dans les environs du stade à partir de 11h00. Selon d’autres informations, le capitaine Pivi aurait donné l’ordre à ses hommes de tirer. [J aurait également été vu sur la terrasse avec des bérets rouges, en train d’agresser des manifestants. Certains témoins des forces de l’ordre, qui sont allés rapporter la situation au Président durant la journée du 28 septembre, vers midi et en milieu d’après-midi, indiquent n’avoir pas vu le capitaine Pivi au camp Alpha Yaya Dialo. Un policier déclare avoir vu en tout cas le capitaine Pivi et ses hommes sur leurs pick-up, en compagnie de miliciens en civil, qui passaient dans son secteur de Ratoma, en provenance de la ville, le 28 septembre vers 17h00. Quelques témoins déclarent également avoir vu le capitaine Pivi et ses hommes tirer sur des gens dans la rue, du côté d’Hamdallaye, dans l’après-midi. Le capitaine Pivi aurait en outre arrêté un véhicule de la Croix-Rouge guinéenne pour empêcher le personnel soignant d’amener des blessés à l’hôpital Donka.

246. Selon d’autres sources, le capitaine Pivi a été directement impliqué dans la recherche de manifestants civils dans les alentours du stade en fin de journée, le 28 septembre. Ces divers témoignages constituent de fortes indications de sa participation directe et de l’implication de ses subordonnés dans les événements du 28 septembre.

247. Après les événements du 28 septembre, le capitaine Pi vi a tenté d’arrêter le lieutenant Toumba pour son rôle présumé dans l’attaque du stade, mais le Président l’en a empêché: « C’est moi qui ai dit au Président que, si tout le monde parlait de quelqu’un impliqué dans les événements, il fallait mettre cette personne aux arrêts. Que ceci concerne le stade ou non. Le lieutenant Toumba relève de moi puisqu’il est de la Présidence. J’ai donc dit que je devais convoquer Toumba pour lui demander s’il s’était trouvé au stade ou non, mais on m’a fait comprendre que ce n’était pas le cas ».

248. La déclaration du capitaine Pivi disant que personne n’a quitté le camp Alpha Yaya Diallo le 28 septembre est, en soi, difficilement crédible compte tenu des éléments en possession de la Commission. Cela jette également le doute sur les déclarations du capitaine Pivi concernant ses activités durant la journée du 28 septembre et sur son degré d’implication et de participation dans les événements et sur celui de ses subordonnés.

249. Le colonel Abdulaye Chérif Diaby mérite d’être mentionné dans le présent rapport, en relation avec une éventuelle responsabilité pénale directe, voire aussi une responsabilité de commandement, compte tenu des faits décrits aux paragraphes 136 à 146 et 166 à 168 cidessus. La Commission constate qu’il existe des raisons suffisantes de croire que les traitements médicaux et l’accès aux soins ont été refusés aux victimes blessées, et qu’il a y eu de surcroît manipulation de la documentation médicale pour dissimuler l’origine des blessures et des décès. Par ailleurs, il est manifeste qu’une absence volontairement coordonnée des processus habituels de conservation des corps, associée à une prise de contrôle sur les morgues par les forces de l’ordre, a contribué à la dissimulation des traces de l’événement, voire à leur disparition. Le Ministre de la santé a été vu à l’hôpital alors qu’il agressait verbalement le personnel soignant, leur demandant « qui vous a donné l’ordre de soigner ces gens? », donnant un coup de pied à un blessé, fermant la pharmacie et confisquant les médicaments sur les patients qui en ressortaient.

250. La Commission constate aussi que le personnel de l’hôpital était terrifié à l’idée de lui communiquer des informations, plusieurs personnes disant qu’elles avaient reçu la consigne de ne pas parler. Certaines, conscientes des risques qui pouvaient en découler, ont toutefois accepté de partager discrètement de nombreux éléments d’information.

251. Le Ministre de la santé a nié toute prise de contrôle militaire sur les hôpitaux, indiquant que les forces de l’ordre ne s’étaient trouvées sur place qu’à partir du mercredi. Une telle déclaration est en contradiction flagrante avec les nombreux éléments obtenus par la Commission et figurant dans le présent rapport. Le Ministre de la santé n’a par ailleurs rien entrepris pour minimiser l’impact de la prise de contrôle militaire des hôpitaux sur les patients ou sur les cadavres qui y avaient été amenés. Il n’a en outre sanctionné aucun de ses subordonnés, de quelque manière que ce soit, pour sa participation directe au refus de dispenser un traitement médical ou pour ses manquements dans la préservation des corps en vue de leur identification.


6. Autres responsabilités à déterminer

252. En plus des personnes citées plus haut, la Commission a des motifs raisonnables d’en identifier d’autres dont l’implication présumée dans les événements les désigne comme devant faire l’objet d’une enquête plus approfondie. La Commission estime qu’il existe des éléments établissant l’implication de ces personnes, au moins, dans les événements survenus au stade et les jours qui ont suivi. La Commission pense toutefois qu’une enquête approfondie sera nécessaire pour déterminer le degré de leur implication et d’envisager une responsabilité individuelle découlant de leurs actions.

253. Au nombre de ces personnes pourraient figurer:
–    le sous-lieutenant Marcel Koivogui, aide de camp du lieutenant Toumba, et le chauffeur du Président, Sankara Kaba, en particulier en relation avec leur implication directe dans les événements où ils ont été identifiés personnellement par de nombreux témoins
–    le Ministre de la sécurité publique, le général de division Mamadouba Toto Camara, ainsi que les cadres de la Police nationale, en particulier en ce qui concerne l’implication de la police dans les événements
–    le général de brigade Sékouba Konaté, Ministre en charge de la défense, ainsi que les cadres de l’armée, y compris ceux de la Gendarmerie nationale, et les responsables des camps militaires, en particulier en ce qui concerne l’implication des gendarmes dans les événements et l’implication des gendarmes et des militaires dans le déplacement des cadavres et dans les autres événements qui ont eu lieu dans les camps de Samory Touré et de Kundara
–    les responsables des milices, en particulier en relation avec leur rôle dans les événements du 28 septembre et des jours suivants
–    Fodéba Isto Keira, Ministre de la jeunesse et du sport et le Directeur du stade en particulier en relation avec le nettoyage du stade et la destruction subséquente des preuves
–    la doctoresse Fatou Sikhe Carnara, Directrice de l’hôpital Donka, en particulier en relation avec la prise de contrôle militaire de son hôpital et les diverses dissimulations des faits médicaux  des cadres civils du CNDD en particulier en relation avec la dissimulation des faits.
 

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