Casamance : pour les déplacés, la guerre continue

Des centaines de déplacés casamançais vivent dans la crainte des attaques, et des mines antipersonnelles.

Publié le 8 décembre 2009 Lecture : 3 minutes.

A la tombée du jour, ils quittent leur village pour aller passer la nuit à Ziguinchor, la principale ville de Casamance (Sénégal). Dans le passé, des "bandes armées" ont attaqué, pillé, tué. Et depuis, ces villageois vivent dans la peur.

"On ne peut pas dire que c’est la guerre. Pour le moment, il y a la paix, mais les esprits ne sont pas tranquilles", explique Idrissa Sagna, le chef du village de Djifangor, qui chaque soir part à Ziguinchor, à 7 km de là, avec une trentaine de familles.

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La Casamance, région enclavée du sud du Sénégal, est en proie depuis 1982 à la rebellion indépendantiste du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). L’accord de paix signé en 2004 a apaisé les tensions sans toutefois régler définitivement le conflit.

Depuis quelques mois, les violences ont repris. L’armée a réinvesti la zone. Regain de banditisme ou retour des revendications indépendantistes ? Les deux, probablement, même si le mouvement séparatiste est très affaibli par ses divisions.

La peur des éléments "armés"

Le nombre de tués (civils, militaires et combattants) est inconnu, mais ils seraient des centaines. En 1998, l’organisation de défense des droits humains Amnesty International, dans un ouvrage intitulé Sénégal, la terreur en Casamance, avait sérieusement mis en cause l’armée dans les exactions contre des civils.

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En 2009, selon l’ONG Apran (Association pour la promotion rurale de l’arrondissement de Nyassia), on compte encore 10 700 déplacés à Ziguinchor.

"Ils (les villageois) viennent cultiver, et le soir, ils repartent. Ils ont peur car des "éléments armés" prennent la population en otage, prennent leurs biens", poursuit le chef de village. "Avec mon frère, on avait 254 têtes de boeuf. Aujourd’hui, on n’a rien" à la suite d’une attaque d’"éléments armés" en 2001. "Depuis cette date, je n’ai jamais dormi dans le village", insiste-t-il.

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Le village d’un millier d’habitants est coupé en deux par une route nationale en mauvais état. D’un côté, la vie s’écoule paisiblement. De l’autre, le climat est tout autre, plusieurs maisons en banco (terre séchée) ont été abandonnées et s’écroulent, les champs sont gagnés par les mauvaises herbes.

"Ici, j’ai pas confiance"

Victor Tendeng, torse nu, jean déchiré, vient de quitter la rizière et revient dans sa maison délabrée: "je ne passe pas la nuit ici car il n’y a pas de sécurité. Je rentre le soir à Ziguinchor. Ici, j’ai pas confiance, toutes les maisons sont inhabitées".

Il y a quelques années, "des "éléments armés" sont venus. Ils ont tué mes enfants, les enfants de mon grand frère. Ils sont enterrés là", dit-il en montrant un terrain en friche derrière l’habitation.

A l’insécurité s’ajoute la présence de mines antipersonnel dans les champs, qui perturbent l’activité agricole, principale richesse de la région. Des chiffres officiels révèlent que les mines antipersonnel, posées par le MFDC, ont fait 751 victimes, handicapées ou tuées.

Au début des années 2000, Elizabeth était partie "en brousse chercher quelque chose à manger". "Et là, je suis tombée sur une mine. Les militaires m’ont amené à l’hôpital, j’avais 39 ans", dit-elle d’une voix basse mais déterminée. Elle a été amputée des deux jambes. "Mais mon mari ne voulait pas que je retourne chez lui" car il voulait "épouser une autre femme".

Amputations

Jérôme a été amputé au dessous du genou gauche: "il faut déminer pour que les paysans rentrent chez eux. Nous, les paysans, on souffre. On ne peut rien faire".

Et il ajoute: "pendant la nuit, mon esprit ne reste pas tranquille. Quand un chien aboie, on dit que nos ennemis sont revenus et on prie Dieu pour que le jour vienne vite".

A Kenia, dans un quartier périphérique au sud de Ziguinchor, plusieurs déplacés évoquent leur village, situé près de la frontière avec la Guinée-Bissau et des bases présumées des rebelles, qu’ils ont dû quitter depuis plus de 20 ans.

"Si on pouvait repartir, on le ferait. Mais il n’est pas sûr que ceux qui nous ont fait quitter la zone soient partis", explique un déplacé souhaitant garder l’anonymat. "C’est là que je suis né, que j’ai grandi, que j’ai pris femme, renchérit son voisin. Je ne pourrai jamais l’oublier même si c’est devenu un village fantôme".

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