Côte d’Ivoire : Jean-Louis Billon à l’heure des choix

Depuis qu’il s’est élevé contre le monopole du groupe Bolloré sur le port d’Abidjan, le ministre du Commerce est sur la sellette. Portrait d’un homme d’affaires qui rêve d’une carrière en politique.

A Genève, en novembre 2012. © Bruno Levy/JA

A Genève, en novembre 2012. © Bruno Levy/JA

Julien_Clemencot

Publié le 4 juillet 2013 Lecture : 5 minutes.

Dans une armée en campagne, Jean-Louis Billon, 48 ans, aurait sans doute été jugé pour haute trahison. Autre milieu, autres moeurs. Il n’a subi qu’un recadrage – certes sévère – de la part du Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, après l’interview critique donnée à l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur début juin. Le ministre ivoirien du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME y dénonçait sans détour l’attribution du second terminal à conteneurs (TC2) du port d’Abidjan au consortium mené par le groupe Bolloré. Une décision pourtant validée par le président, Alassane Dramane Ouattara (ADO). « Faites preuve de plus de solidarité gouvernementale lors de vos prises de parole », a dit Kablan Duncan, en substance, à celui qui n’est ministre que depuis quelques mois.

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Une position délicate pour cet homme d’affaires qui n’a jamais hésité à monter au créneau pour défendre les intérêts des milieux économiques. Isolé au sein du gouvernement, il pourrait faire les frais d’un prochain remaniement. « Jean-Louis n’a pas agi sur un coup de tête, et toutes les conséquences ont été envisagées. Soit il est finalement entendu et sort renforcé de ce bras de fer, soit il est amené à quitter ses fonctions, mais il partira la tête haute », explique un de ses proches.

« Avant de m’exprimer, j’ai été interpellé à de nombreuses reprises par des associations de consommateurs, des journalistes, la communauté portuaire, des chefs d’entreprise… Et j’ai largement consulté », avançait récemment le ministre. Il soutient même avoir informé ADO en personne, lors d’un voyage au Qatar, en mai, de son avis sur ce qu’il convient d’appeler l’« affaire Bolloré ». « En tant que ministre du Commerce, garant du respect du droit de la concurrence, il est légitime sur cette question, justifie l’un de ses conseillers. Le résultat de l’appel d’offres renforce, en contradiction avec la loi, le monopole portuaire de Bolloré, qui exploite déjà le premier terminal à conteneurs [TC1] d’Abidjan. »

Motivations

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Reste que nombre de patrons ivoiriens s’interrogent sur les véritables motivations de Jean-Louis Billon, du fait de son implication dans la sphère économique. Détenteur, avec ses frères, de plus de la moitié du capital de Sifca, le premier groupe privé de Côte d’Ivoire avec 30 000 employés (sur cinq pays) et environ 550 milliards de F CFA (840 millions d’euros) de chiffre d’affaires en 2012, l’homme – qui a pris les rênes de la firme à la mort de son père, en 2001 – est avec sa famille à la tête d’activités diversifiées : huile de palme, hévéa, sucre, logistique… « On a l’impression qu’il défend les intérêts des siens », réagit un industriel de la place. De fait, Movis International, l’opérateur logistique dirigé par son frère David Billon, faisait partie des candidats malheureux à l’appel d’offres…

Bio express

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1964 – Naissance à Bouaké
1995 – Rejoint Sifca et en devient très vite secrétaire général
2001 – À la mort de son père, il prend la tête de Sifca
2002 – Président de la Chambre de commerce et d’industrie
2012 – Ministre du Commerce, de l’Artisanat et la Promotion des PME

La réaction de l’ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Côte d’Ivoire n’a toutefois pas vraiment surpris. Après son accession à la tête de l’institution consulaire, en 2002, Jean-Louis Billon a milité activement pour améliorer l’environnement des affaires et lever les obstacles au développement du secteur privé. Dès 2003, il s’émancipe du pouvoir en limogeant le directeur général de la CCI, Roland Guibony Sinsin, proche de Laurent Gbagbo. En 2004, il s’élève publiquement contre l’attribution du TC1 à Bolloré – son frère est déjà candidat -, faisant sortir de ses gonds Antoine Bohoun Bouabré, le ministre de l’Économie de l’époque. En 2008, ses prises de position critiques à l’égard du gouvernement lui valent même d’être interrogé par la Direction de la surveillance du territoire (DST). Motif : sa possible implication dans une tentative de coup d’État.

Jean-Louis Billon est un franc-tireur. Sympathique aux yeux des investisseurs internationaux et des ambassadeurs, cet homme formé en France et aux États-Unis, détenteur des nationalités française et ivoirienne, s’est coupé d’une partie de l’establishment abidjanais. Désormais impliqué en politique, il est à la croisée des chemins. Ses sorties publiques ne sont guère appréciées d’Olam et Wilmar, les actionnaires singapouriens de Sifca, ainsi que du management d’un groupe qui entend se tenir loin des affaires publiques. Lui, au contraire, semble convaincu de son avenir politique. Certes, l’assassinat pendant la crise postélectorale d’Yves Lambelin, véritable patron opérationnel de Sifca pendant une décennie tandis que Jean-Louis Billon jouait plutôt un rôle d’ambassadeur, l’avait poussé à reprendre du service dans les affaires en tant que président du conseil d’administration, avant que son frère Pierre ne lui succède. Mais son entrée au gouvernement à la demande d’ADO, en novembre 2012, a révélé ses véritables aspirations.

Manoeuvre

« Avant d’accepter, il s’est assuré qu’il pourrait faire de la bonne gouvernance son cheval de bataille », confirme l’un de ses conseillers. Élu maire de Dabakala en 2001, il a renoncé à se représenter en avril pour décrocher la présidence du conseil régional du Hambol. Sans l’avouer publiquement, Billon se rêve en président de la République, dût-il attendre la fin du second mandat d’ADO. Pour l’heure, si sa victoire aux élections régionales sous les couleurs du Rassemblement des républicains (RDR, le parti de Ouattara) conforte ses ambitions, elle brouille aussi l’image d’un homme qui, paradoxalement, revendique son appartenance au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié). Au sein des deux formations, beaucoup se préparent déjà à lui barrer la route. C’est le cas de ses collègues du gouvernement Patrick Achi et Hamed Bakayoko, mais aussi de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale. En attendant, Billon manoeuvre pour placer ses proches à des postes clés. À commencer par Parfait Kouassi, patron du distributeur pharmaceutique Gompci-DPCI, qu’il verrait bien à la tête de la CCI.

Il lui faudra en tout cas faire preuve de la plus grande habileté pour se sortir de l’affaire Bolloré. Son capital sympathie et le poids économique de sa famille seront, à n’en pas douter, ses meilleurs atouts, comme sous le régime précédent. « Parce qu’il est très influent, l’entourage de Gbagbo avait longtemps maintenu le contact avec Billon, jusqu’à ce qu’il appelle les entreprises à ne plus payer leurs impôts en pleine crise postélectorale », rappelle un journaliste. Dans le cas où le vent tournerait malgré tout en sa défaveur, ira-t-il jusqu’à créer son propre parti politique ? S’il est limogé du gouvernement, Jean-Louis Billon sera alors plus que jamais à l’heure des choix.

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