Dépigmentation : les enfants aussi
Certains parents africains utilisent des crèmes pour éclaircir la peau de leurs enfants. La pratique est motivée par un souci esthétique. Une coquetterie que l’on tait jusqu’à ce que des complications surviennent.
« Enfant, j’étais très noire, se souvient Nathalie*, une Gabonaise de 34 ans installée depuis quelques années en France. Ma mère s’éclaircissait la peau et je contrastais beaucoup avec elle. Dans la rue, on lui disait même : "On dirait que ce n’est pas toi sa mère." Alors quand j’ai eu environ 8 ans, elle a commencé à verser un peu de crème éclaircissante dans mon lait corporel. »
Même rituel pour sa cousine du même âge qui vivait avec elle. « Ma mère ne supportait pas de voir quelqu’un trop noir, poursuit Nathalie, qui ne s’éclaircit plus la peau depuis cinq ans. Elle ne pouvait pas dormir tant qu’elle ne nous avait pas mis sur le corps le lait qu’elle avait coupé avec Halog ! » Une crème à base de corticostéroïdes utilisée pour traiter les inflammations et les prurits.
L’histoire de Nathalie, Isabelle Mananga-Ossey l’a entendue maintes fois. « Plusieurs jeunes filles m’ont dit que c’est leur mère qui leur a donné la première crème, indique la présidente-fondatrice de l’association française Label Beauté Noire. Mais ces mères ne veulent pas faire du mal : elles n’ont pas conscience que les produits contiennent des choses qui peuvent rendre malade. »
Pratique opaque
Combien d’enfants sont dépigmentés artificiellement ? Difficile d’obtenir ne serait-ce qu’une estimation. En France, la plupart des spécialistes interrogés parlent d’un phénomène « marginal », alors que d’autres confessent n’avoir jamais entendu parler de la pratique.
En Afrique de l’Ouest, en revanche, les cas sont à la hausse, affirme le Dr Fatimata Ly, dermatologue et présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (Sénégal). Quant à Isabelle Mananga-Ossey, elle se montre catégorique : « Le Gabon, les deux Congos, le Cameroun et la Centrafrique sont gangrénés par ce fléau ! »
Principalement en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, beaucoup d’adultes utilisent de dangereux mélanges (javel, mercure, hydroquinone, corticoïde, verre pillé…) et souffrent de brûlures, vergetures et autres irruptions cutanées qui peuvent les défigurer. Les enfants sont-ils sujets à des complications ? Elles seraient très rares. Pour exemple, le Dr Khadi Sy Bizet, spécialiste des peaux noires à Paris, n’a reçu qu’un seul cas de complication cutanée chez l’enfant en vingt-deux ans de carrière.
Lait corporel « spécial enfant »
« Les problèmes dermatologiques sont moins sévères parce que la quantité de dépigmentant utilisée est moins importante », commente le Dr Fatimata Ly. Elle souligne cependant que l’abus de cortisone peut dérégler les glandes endocrines, qui sécrètent des hormones. Or « les effets secondaires sont plus rapides chez l’enfant que chez l’adulte parce que la peau n’est pas mature », avertit le Dr Khadi Sy Bizet.
Pour éviter le pire, certains parents utilisent des produits « haut de gamme », supposés moins dosés en agents éclaircissant agressifs. Une tendance à laquelle se sont adaptées des marques comme HT26. Nathalie confie en effet qu’elle déboursait entre 15 000 et 22 000 FCFA (entre 23 et 30 euros environ) pour acheter, en pharmacie ou en grande surface, la grande bouteille de lait corporel HT26 « spécial enfant ».
Autre stratégie : masser son ventre de femme enceinte avec des produits dépigmentants. « Les dermocorticoïdes passent la barrière cutanée et vont dans le sang. Les futures mères se disent donc qu’en les utilisant leur enfant sera plus clair à la naissance », confie Isabelle Mananga-Ossey. C’est compter sans le risque de fausse couche. Ou le retentissement sur la taille de l’enfant à la naissance, note le Dr Antoine Mahé, dermatologue au centre hospitalier de Meaux et auteur du livre Dermatologie sur peau noire.
Sélection biologique
Une chose est sûre, si la dépigmentation des adultes est un secret bien gardé, celle des enfants est carrément taboue. En Afrique mais également en France, où la mairie de Paris a lancé le 5 novembre une campagne sur les dangers de la dépigmentation. « J’ai reçu il y a quelques années un couple de Congolais [Brazzaville] qui s’éclaircissaient la peau et mettaient un peu de produit à leur bébé. Je leur ai dit d’arrêter, et je ne les ai plus revus », raconte le Dr Antoine Petit, dermatologue à l’hôpital Saint-Louis de Paris.
Il faut dire que, si en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest la clarté du teint est signe de beauté ou de réussite sociale, dans l’Hexagone, c’est, pense-t-on, un levier d’intégration. « Il y a une grande pression à la conformité pour échapper au racisme, à la discrimination », analyse Ferdinand Ezembe, docteur en psychologie.
Pour que l’enfant ait de meilleures chances, des parents se ravitaillent donc en crèmes éclaircissantes. Notamment à Strasbourg-Saint-Denis et à Château-Rouge, deux quartiers parisiens à forte concentration africaine. Des femmes vont même plus loin. « Elles pratiquent la sélection biologique, révèle Ferdinand Ezembe. Elles cherchent des partenaires clairs de peau, en se disant que leur enfant aura 50 % de chances en plus de réussir dans la vie. »
*Le prénom a été changé.
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