Le Gabon reprend en main le secteur pétrolier
Alors qu’Addax Petroleum se voit privé de ses droits au profit de la compagnie nationale GOC, l’inquiétude grandit chez les opérateurs étrangers. Leur lune de miel avec Libreville est-elle finie ?
C’est une première au Gabon : un opérateur étranger se voit retirer le droit d’exploitation d’un gisement pétrolier. Addax Petroleum, quatrième producteur du pays avec environ 23 000 barils par jour, soit 9 % du brut gabonais. Après l’avoir éjectée du champ d’Obangué fin 2012, les autorités ont signifié à la filiale du géant chinois Sinopec, début juin, que la licence d’exploitation de Tsiengui, son principal bloc, ne sera pas renouvelée après son expiration, en 2015. Les raisons de cette décision inédite ? Des cas de corruption, le non-respect des normes environnementales et des fraudes fiscales dans l’exportation de l’or noir, affirme-t-on au ministère du Pétrole.
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Dans un secteur pétrolier déjà confronté aux mouvements sociaux récurrents des syndicats, c’est l’incompréhension qui prévaut. « J’ai du mal à suivre la logique des autorités, qui créent une situation conflictuelle avec l’un des principaux investisseurs dans le pays, explique un consultant gabonais. Habituellement, les contrats qui s’achèvent sont renégociés en exclusivité avec l’opérateur du champ et reconduits en sa faveur. Si besoin, des aménagements peuvent être apportés… C’est ce qui, pendant longtemps, a rassuré les investisseurs et favorisé une intense activité pétrolière. »
Collimateur
Incompréhension donc, mais aussi inquiétude. Car Sinopec, présent dans le pays depuis le rachat, en 2009, d’Addax Petroleum au groupe suisse du même nom, n’est pas le seul à être visé. Deux autres compagnies sont dans le collimateur du gouvernement, d’après Étienne Ngoubou, le ministre du Pétrole, interrogé par le quotidien britannique Financial Times. « Il y aura une reprise partielle des actifs des entreprises concernées. Ces dernières ont compris que nous avons la preuve des irrégularités commises et ont reconnu leur faute », a-t-il affirmé sans citer de nom parmi les six autres opérateurs étrangers (Shell Gabon, Total Gabon, Perenco, Maurel & Prom, Vaalco Energy et Tullow Oil).
En fait, l’audit du secteur, commandé il y a près de deux ans par le Gabon au cabinet Alex Stewart International et dont les résultats officiels seront communiqués prochainement, semble faire ses premières victimes. Le travail du cabinet a porté sur les pratiques des opérateurs dans plusieurs domaines, dont la fiscalité et la commercialisation du pétrole. Et nombreuses sont les compagnies qui redoutent un redressement sur plusieurs années ainsi qu’un durcissement des conditions d’investissement à travers le nouveau code minier, en cours de finition. « Nous avons le sentiment que le gouvernement veut changer unilatéralement les règles du jeu », confie un cadre du secteur, qui soupçonne les autorités de vouloir favoriser à travers ces réquisitions l’émergence de la société pétrolière nationale, la Gabon Oil Company (GOC), créée en 2010.
Tensions
De fait, le champ d’Obangué est désormais exploité par la GOC. Et les salariés de la filiale de Sinopec sont sur le point d’être embauchés par la compagnie publique. Explication d’Étienne Ngoubou : « Addax Petroleum ayant refusé de remplir ses obligations, nous avons décidé de prendre en charge les salaires et d’utiliser la GOC, compétente en matière d’exploitation pétrolière, pour que les employés puissent continuer d’opérer sur le champ d’Obangué », a en substance déclaré le ministre dans la presse locale.
Mais d’après un responsable de la direction des hydrocarbures, il n’est pas question de favoriser la GOC. « Bien que publique, la compagnie nationale fonctionne comme une société privée et est soumise aux mêmes règles que tous les autres acteurs du secteur », indique-t-il. Ces tensions, assure le fonctionnaire, marquent simplement la fin d’une relation de complaisance, le gouvernement ayant longtemps fermé les yeux sur les violations de contrat et sur certaines pratiques douteuses.
Cap désicif
La lune de miel entre le Gabon et les pétroliers arriverait-elle à son terme ? Une chose est certaine : l’ancien petit « émirat » d’Afrique centrale, dont la production est en baisse depuis quelques années (245 000 b/j en 2012), franchit un cap décisif dans sa reprise en main de l’exploitation des ressources naturelles. Le gouvernement s’est fixé l’objectif de porter à 40 % la part des revenus pétroliers restant sur le territoire national, contre 20 % actuellement.
« Certes, il s’agit là d’une démarche louable. Mais la méthode reste discutable, car ces conflits avec les groupes étrangers, largement relayés dans la presse internationale, constituent une mauvaise publicité pour le pays », estime notre consultant gabonais. D’autant que Libreville s’apprête à vendre des licences d’exploration sur plus de 110 000 km² dans son bassin situé en mer profonde et très profonde. Les résultats du forage réalisé par Total Gabon devront confirmer le potentiel d’un sous-sol maritime particulièrement prometteur, puisque les formations géologiques y sont similaires à celles du Brésil, où l’une des plus grandes découvertes au monde a été réalisée en 2007.
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