Comment le cinéma peut-il « certifier le réel » ?
S’approcher au plus près de la vérité du réel : voilà l’objectif que se donnent plusieurs films récents. L’un de ceux qui y parviennent le mieux : Au loin des villages, du Suisse Olivier Zuchuat, sur les réfugiés de la guerre du Darfour dans des camps au Tchad.
« Le cinéma sert à certifier le réel », disait le réalisateur Jacques Audiard lors de la sortie de son dernier long-métrage Un prophète, évoquant l’univers de la prison et celui de l’islamisme. Toute une série de longs-métrages qui sortent actuellement montrent à quel point cette remarque sur la fonction du cinéma est juste. Mais à condition, bien sûr, de différencier les façons de « certifier le réel ».
Du côté de la fiction, nombreux sont les films qui démontrent, à l’instar d’Un prophète, qu’il n’est pas nécessaire de tenter de reproduire au plus près la simple réalité pour « certifier le réel ». Recréer un univers ou raconter une histoire en s’inspirant librement de faits authentiques constitue souvent le meilleur moyen d’y arriver.
Le dernier film de Lucas Belvaux, Le Rapt, récit sous forme de fiction du célèbre enlèvement du Baron Empain par des gangsters chevronés il y a un quart de siècle, s’avère ainsi une réussite en permettant au spectateur de ressentir ce que peut être la vie d’un otage, comme aucun film réaliste n’aurait sans doute pu le faire.
Il en est de même, à un moindre degré, pour A l’origine, de Xavier Giannoli, reconstituant sous forme romancée l’incroyable histoire d’un petit malfrat qui, pris dans un engrenage en voulant monter une escroquerie, fit un jour revivre et espérer toute une région du centre de la France en se muant en entrepreneur providentiel, construisant une autoroute parfaitement inutile dans un lieu improbable.
Certains pensent cependant que, « la réalité dépassant souvent la fiction », la meilleure façon de « certifier le réel » consiste tout simplement à choisir le documentaire pour donner à voir ce réel à l’état brut, avec ou sans commentaire. Un film comme D’une seule voix, de Xavier de Lauzanne, raconte ainsi chronologiquement et sur le vif comment un ancien rocker français devenu pacifiste militant, Jean-Yves Labat, a réussi à regrouper des artistes juifs et arabes d’Israël et d’autres Palestiniens des territoires occupés de la Cisjordanie et de Gaza pour effectuer ensemble en 2006 une tournée de concerts en Europe.
De même, à la manière d’une contre-enquête parfois commentée par Catherine Deneuve, Eric Bergkraut évoque dans Lettre à Anna, avec de nombreux témoignages à l’appui, l’assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa. Les autorités, à Moscou comme à Grozny, ne supportaient plus depuis longtemps ses enquêtes sur la guerre en Tchétchénie et les énormes « bavures » et autres atrocités qui l’ont accompagnée. Enfin, sous une forme plus classique, La Pluie du diable, de Philippe Cosson, traite, à partir du cas du Laos, de la véritable tragédie que représente l’existence des bombes à sous munition, ces armes qui continuent à faire des victimes – le plus souvent des enfants ou des paysans atteints en jouant ou en travaillant dans des zones bombardés – longtemps après la fin des guerres. Un fléau qui concerne toute l’Indochine mais aussi de nombreux pays africains.
Trois films qui ont le mérite d’informer sans ennui sur un événement ou une situation contemporaine et d’éviter tout pathos. Mais qui, en prenant le parti d’enregistrer aussi objectivement que possible le réel, ont du mal à se distinguer des reportages ou documentaires réalisés pour les télévisions.
Ce que réussit en revanche fort bien Au loin des villages, du Suisse Olivier Zuchuat, qui filme la vie quotidienne de Tchadiens ayant fui la guerre du Darfour dans un camp de réfugiés. Avec une économie de moyens, il prouve que, même dans un documentaire, le plus sûr moyen d’enregistrer le réel, ce n’est pas de le reproduire ou de le raconter tel quel mais de le créer grâce à la sensibilité du cinéaste.
Par exemple en ayant l’idée de filmer un homme réchappé de l’assaut meurtrier de son village par des miliciens soudanais qui, pour dire ce qu’il a vécu, égrène pendant de longues minutes les noms des membres de sa famille morts lors de cette attaque. Ce long-métrage est tout simplement très beau, très émouvant.
Pour faire surgir des « effets de réel », il est parfois judicieux de refuser les effets que nous propose la réalité.
La critique complète d’Au loin des villages, dans le n°2549 de JA, en kiosque à partir du 8 novembre.
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