Le grand essor des cliniques privées
Face aux carences de l’offre publique de soins en Afrique, les établissements privés se multiplient. Objectif : répondre aux exigences accrues des patients.
Fin avril, l’hospitalisation d’Abdelaziz Bouteflika au Val-de-Grâce, à Paris, a remis en lumière la propension des chefs d’État africains à venir se faire soigner en Europe. Un phénomène qui, au-delà de la controverse, souligne les carences de l’offre publique de soins. La grande majorité des pays du continent consacrent de 5 % à 10 % de leur PIB à la santé, malgré l’engagement de leurs dirigeants à porter cette part à 15 % d’ici à 2015. Résultat : l’Afrique comptait, à la fin de la dernière décennie, neuf lits pour 10 000 habitants, selon l’Organisation mondiale de la santé. Contre 27 en moyenne dans le monde. Avec, de surcroît, des problèmes de sous-équipement et de maintenance.
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Une situation propice au développement des cliniques. Ces dernières années, elles ont fleuri un peu partout en Afrique. En Tunisie, leur nombre a ainsi été multiplié par six en vingt ans (environ 120 aujourd’hui). Au Maroc, il avoisine les 150. Un boom qu’alimente notamment le tourisme médical pour Occidentaux fortunés : l’économie réalisée par rapport à une prise en charge en Europe est de l’ordre de 50 %. En Tunisie, le nombre de ces visiteurs est ainsi passé de 40 000 à plus de 200 000 entre 2003 et 2009. Au Maroc, en 2011, 15 % des touristes étaient des touristes médicaux, contre 5 % deux ans auparavant. Et ceux-ci viennent de plus en plus, aussi, de pays africains. « On observe une augmentation du flux Sud-Sud depuis cinq ans », confirme Saad Zemmouri, chirurgien-dentiste et promoteur du projet Clinic Malo Casablanca, vaste centre médicochirurgical nécessitant un investissement de 9,6 millions d’euros.
Mais cela n’explique pas tout. « Miser sur la clientèle aisée est un mirage, prévient Pierre-Marie Vincent, fondateur du cabinet de conseil Denos Health Management. En termes de solvabilité, je ne crois pas au marché du VIP. Il faut viser large. » Salariés assurés, fonctionnaires et patients bénéficiant du tarif social figurent parmi les cibles des établissements privés. Et les transitions sociales, démographiques et épidémiologiques jouent en leur faveur. Avec l’émergence d’une classe moyenne, le vieillissement de la population et l’essor des pathologies non transmissibles comme le cancer, l’aspiration à une meilleure prise en charge sanitaire se fait de plus en plus pressante.
« L’offre de soins privée, tant en matière de services hospitaliers que pour ce qui est des centres de diagnostic, se développe de manière continue, constate Farid Fezoua, directeur général pour l’Afrique de GE Healthcare. Côté francophone, cette tendance est particulièrement marquée au Sénégal, au Rwanda, au Cameroun et, plus récemment, en Côte d’Ivoire. » Un nombre croissant de financiers ont saisi le potentiel de rentabilité de certaines activités de soin. « Le contexte est favorable pour les investisseurs, car la santé se privatise », affirme Kodjo Aziagbe, associé pour l’Afrique de l’Ouest francophone d’Abraaj Capital, qui gère le fonds dévolu à la santé Africa Health Fund. Un acteur parmi d’autres : Investment Fund for Health in Africa, XSML, Tuninvest et Development Partners International ont eux aussi misé, ces dernières années, sur des cliniques en Afrique.
Sans surprise, les établissements privés ciblent les secteurs les plus rémunérateurs : l’ophtalmologie, l’orthopédie, la cancérologie, l’obstétrique ou l’imagerie médicale. « La dermatologie, l’infectiologie, la pédiatrie et les urgences restent dans le giron du secteur public, note Pierre-Marie Vincent. Les cliniques, elles, se concentrent plutôt sur la chirurgie. » En misant bien souvent sur un positionnement de niche. Ouverte il y a quatre ans à Dakar, la clinique Imodsen (lire ci-dessous) envisage ainsi, après avoir joué la carte de la prise en charge ambulatoire (hospitalisation inférieure à une journée), de développer la chirurgie cardiaque – « le grand manque dans toute l’Afrique de l’Ouest », souligne Khalil Bahsoun, son directeur administratif et financier. La clinique Biasa, au Togo, et la clinique de l’Aéroport, au Cameroun, se sont quant à elles positionnées comme des centres de référence régionaux en matière d’aide à la procréation.
Éparpillement
Le succès aidant, des projets plus ambitieux voient le jour, notamment en Afrique du Nord. Le tunisien Amen Santé (13 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010) dispose déjà de quatre établissements et s’apprête à en ouvrir deux autres, à Bizerte et à Nabeul, nécessitant chacun un investissement de 11,5 millions d’euros. Sans compter son futur hôpital privé El-Amen, à Tunis : un projet de 300 lits, d’un coût de plus de 25 millions d’euros et dont les travaux doivent commencer dans quelques mois. Amen Santé vise ensuite un développement à l’international, en commençant par l’Algérie, dès l’an prochain, puis la Libye et la Mauritanie.
Au sud du Sahara aussi, la dynamique est en marche. À Lomé, la clinique Biasa veut ainsi investir 3,8 millions d’euros pour tripler son nombre de lits et se doter d’une unité de soins intensifs et d’un plateau chirurgical aux normes internationales. Mais attention à l’éparpillement. « On a tendance à multiplier les petites structures au lieu de se regrouper, ce qui limite les investissements », déplore Guy Sandjon, directeur de la clinique de l’Aéroport, à Douala. Entrepreneurs comme investisseurs attendent désormais l’extension en Afrique subsaharienne de l’assurance maladie obligatoire, encore rare dans la région. C’est alors que le business des cliniques décollera véritablement.
À Dakar, des soins pour tous
La clinique Imodsen pratique des tarifs comparables à ceux du secteur public et attire des patients de toute la sous-région.
Quartier huppé près de l’océan Atlantique, 4×4 rutilants garés sur le parking… L’arrivée au complexe médical Imodsen (pour Imagerie moderne du Sénégal), sur la corniche ouest de Dakar, a tout du cliché. Pourtant, cet ensemble né en mai 2009 et qui regroupe un centre médical, un laboratoire d’analyses, un centre de radiologie et un centre paramédical n’entend pas réserver ses soins à la seule clientèle aisée.
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