La réforme agraire, « une obsession sud-africaine »
Les premiers transferts ont été faits dans le cadre de la redistribution des terres spoliées sous l’apartheid.
L’Afrique du Sud sera-t-elle le prochain Zimbabwe ? La question lancinante n’était pour le moment qu’une angoisse de fermiers blancs sud-africains, paniqués par le vent de réforme qui touche aussi leur pays. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui brandit la menace.
« Oui nous sommes obsédés, réellement. Il y a des gens ici qui parlent sérieusement de justice et de réparation, et à un certain moment, on va se rendre compte qu’il y a là une vaste place pour une polarisation de la société sud-africaine. On a vu ça arriver ailleurs. Juste à côté de chez nous », a lancé début novembre Gugile Nkwinti, ministre du développement rural et de la réforme agraire.
Pour lui, faire de la réforme une « obsession » est le meilleur moyen d’éviter le « land grab » et le chaos qui a ravagé l’économie zimbabwéenne. Alors il veut faire vite et mieux.
Réparer les injustices de l’Apartheid
Même si aucun des partenaires impliqués n’ose employer le mot, il faut bien le dire, jusqu’ici la redistribution des terres a été un échec. Le gouvernement démocratique élu en 1994 a hérité d’un système particulièrement injuste où la minorité blanche, soit 10% de la population, disposait de 90% des terres arables. Et bénéficiait, en plus, d’un système de soutien de l’Etat qui leur ouvrait les portes des banques ainsi que d’autres types de facilités. Ces fermiers avaient un autre avantage, une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci.
Personne, à part quelques extrémistes tout à fait minoritaires, ne remet en cause le bien fondé d’une réforme, dont le but serait de corriger les injustices du passé. Un programme a donc été lancé visant à confier d’ici à 2014 au moins 30% des terres arables à des exploitants noirs, soit quelque 24,6 millions d’hectares.
Les premiers transferts ont été faits dans le cadre de la redistribution des terres spoliées sous l’apartheid. Des centaines de communautés rurales ont pu déposer des réclamations. Examens de dossiers, litiges à régler, prix à définir… le processus est extrêmement long et empêtré dans les méandres d’une administration pas toujours efficace.
L’Etat reproche de son côté aux fermiers de gonfler le prix de leur propriété pour faire échouer les transactions. Les vendeurs, eux, réclament un juste prix pour leur terre, tenant compte des investissements réalisés.
Devant cet immobilisme, les autorités remettent désormais en cause le principe de base de cette réforme, celui du « willing buyer willing seller » et travaillent à une nouvelle législation sur l’expropriation.
Manque de leadership
Plus de 15 ans après la fin de l’apartheid, on est bien loin du compte. Selon les chiffres officiels, moins de 7% des terres ont changé de main, environ 5,5 millions d’hectares.
La moitié des fermes qui ont changé de propriétaire est aujourd’hui en faillite, inexploitée ou, dans finalement le meilleur des cas, le terrain a été découpé en une multitude de petits lopins de cultures vivrières.
Souvent les propriétés, qui faisaient vivre trois ou quatre familles de fermiers blancs et leurs ouvriers agricoles, ont été allouées à des groupements villageois, de plusieurs centaines, voire un millier de membre. Par manque de leadership, d’organisation ou de discipline, la gestion des fermes s’est revélée cahotique. On ne passe pas aisément de la culture vivière, relevant plus du jardinage à des cultures commerciales, nécessitant argent, technologie et savoir faire.
Autre obstacle : le manque de financement. Les « nouveaux fermiers » n’ont pas un accès facile au système bancaire, ou se retrouvent très rapidement en cessations de paiement. La Land Bank qui était sensée assurée aux nouveaux fermiers un accès au crédit est au centre d’un scandale de détournement de fonds et de corruption, qui pourrait éclabousser plusieurs personnalités connues du pays. La Land Bank est aussi victime des faillites en cascade de ses clients, pas moins de 283 « nouveaux fermiers » sont dans l’incapacité aujourd’hui de rembourser leur prêt.
Le Trésor public a dû renflouer les caisses de banque, débloquant 3,5 milliards de rands, dont la quasi-totalité sera consacrée au soutien des fermiers noirs, à la réforme agraire et à la création d’emploi dans l’agriculture.
Recherche de terre à l’étranger
A ce scandale autour de la land Bank s’ajoute selon le Sunday Times « la disparition de 100 millions de rands du fonds AgriBEE, qui auraient été employés à l’achat de luxueuses maisons et de véhicules pour des officiels ». L’AgriBEE est un système de financement des entrepeneurs noirs dans le cadre de l’aide au développement économique de cette communauté.
Selon le ministre Gugile Nkwinti, l’Etat a dépensé jusqu’ici 800 millions de dollars, près de 6 milliards de rands pour finalement un résultat très contestable. « Le plus gros problème c’est qu’il n’y a pas de réelle vision de ce que l’on veut faire, du but de cette réforme », explique Karen kleinbooi, membre du programme pour les études agraires. Si l’objectif du gouvernement est d’assurer la sécurité alimentaire du pays, la réforme agraire telle quelle est menée actuellement n’est pas adaptée.
Le gouvernement de Jacob Zuma, peut-être plus encore que celui de Thabo Mbeki, est sous la pression de son aile gauche et des syndicats qui militent pour une réforme plus rapide. En choississant de réparer les injustices du passé en revenant au statu quo-ante, le Congrès national africain a pris un énorme risque. Celui de détruire lentement et sûrement une industrie agricole plutôt performante sans pour autant pouvoir satisfaire la grande masse des laissés pour compte.
En attendant que la réforme avance, une épée de Damoclès pèse en permanence sur plus de 80% des fermiers commerciaux d’Afrique du Sud. Faute de savoir s’ils pourront encore exploiter leur terre dans les prochaines années, ils ont tendance à repenser leurs investissements. AgriSA, le plus important des syndicats d’agriculteurs s’est récemment lancé dans la recherche de terre à exploiter ailleurs, dans les pays voisins, comme le Mozambique, mais aussi plus loin, en Afrique francophone, notamment au Congo.
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