France-Sénégal : l’épineuse affaire des frères Guissé
Peut-on défendre les couleurs de la France et se voir refuser la nationalité de ce pays ? Cette question est actuellement soulevée par le cas des frères Guissé, deux jeunes militaires sénégalais dont la citoyenneté fait débat.
Ounoussou Guissé, 29 ans, est brigadier au 1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes, dans le sud-ouest de la France. Son frère aîné Amara, 31 ans, est, quant à lui intégré, au 12e régiment d’artillerie d’Oberhoffen (Est). Ils ont combattu pour le compte de la France au Tchad, en Afghanistan ou en Bosnie.
D’origine sénégalaise, ces deux militaires de carrière espéraient faire jouer leur filiation via leur père pour devenir français. Mais cette demande ne va pas de soi. Cette naturalisation est même impossible souligne-t-on au ministère français de l’Immigration. « Ce choix se heurte à l’absence de la nationalité française de leur père, qui n’a pas fixé son domicile en France ce qui a empêché de lui reconnaître la nationalité de plein droit, et dont la situation matrimoniale a empêché d’enregistrer la déclaration de nationalité », explique le ministère dirigé par Eric Besson. De fait, les Sénégalais ont été déboutés de leur demande.
Hervé Morin à la rescousse
Ounoussou Guissé avait obtenu gain de cause pour cette demande en première instance devant le tribunal de grande instance de Rouen mais le parquet a interjeté appel. Le verdict sera rendu le 18 novembre prochain par la cour d’appel de Rouen. En mars 2007, Amara avait pour sa part reçu « un courrier du tribunal de grande instance de Strasbourg contestant sa nationalité », indique le communiqué de la Défense.
« Dans l’hypothèse où la justice viendrait à refuser la nationalité française à nos deux soldats, une nouvelle procédure serait engagée pour leur permettre de voir leurs droits reconnus très rapidement », a réagi Hervé Morin après avoir reçu les deux militaires le 12 octobre. Le ministre de la Défense a ajouté que sa collègue de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui s’est dit « extrêmement sensible » à sa démarche « prendra des mesures pour que de telles situations, complètement incongrues et saugrenues, ne se reproduisent plus ».
Services rendus à la France
Quels éventuels recours reste-il aux soldats ? « Ils peuvent faire une demande de naturalisation ou, comme le prévoit le code civil, justifier de dix ans de présence en France », explique-t-on au ministère de la Justice, resté discret sur cette affaire. Au ministère de l’Immigration, on souligne qu’Ounoussou et Amaré Guissé peuvent demander leur naturalisation « compte tenu des services accomplis dans l’armée française » et « s’ils peuvent attester de services exceptionnels rendus à la France ». Et de conclure que si les frères Guissé souhaitaient s’engager dans une telle démarche, Eric Besson demanderait « un examen attentif et bienveillant » de leur requête.
« Bienveillant ? Ça veut dire quoi ? Qu’on leur fait l’aumône pour qu’ils soient français alors qu’ils le sont de plein droit ? », s’insurge Gaspard Mbaye, président de l’Association mémoire du tirailleur sénégalais, basée à Nice (Sud).
Les frères Guissé, tirailleurs des temps modernes ?
Saluant la fermeté d’Hervé Morin sur cette affaire, Gaspard Mbaye et Sékou Diabaté de la Coordination des associations des Sénégalais de l’extérieur (Case), estiment que le fond du problème ressort d’une « discrimination ».
« En vérité, la politique française de restriction de l’immigration est telle qu’il faut toujours moins de ressortissants en provenance d’Afrique. Si les deux frères étaient originaires d’un autre continent, il n’y aurait pas eu de problème », estime Sékou Diabaté, président de cette association. Et aux deux militants de rappeler le cas des tirailleurs sénégalais, qui bataillent toujours pour aligner leur pension sur celles de leur frères d’armes français « de souche ».
Toujours est-il que l’affaire Guissé soulève bien des questions : le ministre de la Défense aura-t-il les moyens de sa politique ? D’autres soldats d’origine étrangère ont-ils été déboutés de leur nationalité depuis la jurisprudence de la cour de cassation ? Enfin, quels métiers autres que ceux de l’armée peuvent ouvrir à une naturalisation pour « services rendus à la France » ? Aux ministères de la Défense, de la Justice et de l’Immigration, on ne dispose pour l’heure d’aucune réponse.
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