Soudan : Plaidoyer pour un vrai changement
Cette semaine, je vais comparaître devant un tribunal soudanais, aux côtés de douze autres femmes accusées comme moi d’avoir commis un « acte d’indécence » pour s’êtremontrées vêtues d’un pantalon dans un lieu public. J’encours jusqu’à quarante coups de fouet et une amende d’un montant illimité si je suis reconnue coupable d’infraction à l’article 152 du code pénal soudanais, lequel interdit le port de tenues indécentes en public.
En tant qu’employée des Nations unies, on m’a offert l’immunité. Mais j’ai choisi dedémissionner afin de faire face aux autorités soudanaises et demontrer ainsi au monde ce qu’elles entendent par « justice ». Beaucoup trouveront absurde qu’une femme puisse se trouver dans une telle situation dans un pays se revendiquant le « Dubaï du Nil ». Ces dernières années, mon pays a récolté des millions en revenus pétroliers, des gratte-ciel ont émergé dans Khartoum et, bien que les conditions de vie de la plupart des gens ne se soient pas améliorées, notre gouvernement promet que nous sommes sur la voie de la prospérité. Les lois qui nous régissent ne se sont pas modernisées avec notre économie. En dépit d’une nouvelle Constitution en 2005, d’un accord de paix global et du protocole sur les droits humains, elles continuent de réprimer lemode de vie des femmes – notamment leur liberté de travailler –,empêchent les journalistes de s’exprimer et autorisent les détentions arbitraires.
LES HOMMES ET FEMMES COURAGEUX qui ont marqué l’histoire du Soudan en combattant contre des lois répressives m’ont enseigné que nous ne devions pas nous abriter derrière le privilège, mais prêter notre voix à ceux qui ne peuvent être entendus. Si mon procès attire un moment l’attention internationale sur la justice soudanaise, j’espère que les regards ne se détourneront pas dès le verdict rendu, car d’autres défis bien plus importants nous attendent.
Lorsque le Nord-Soudan et le Sud-Soudan ont signé un accord de paix global après vingt ans de guerre civile, les deux parties se sont engagées à respecter le droit international relatif aux droits humains. Cela impliquait un engagement à réviser quantité de lois répressives, dont le fameux « acte d’ordre public » utilisé pour persécuter des citoyens ordinaires. Mais la censure, le harcèlement et la détention de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme se poursuivent et les femmes continuent d’être harcelées. Au printemps prochain, notre pays devra relever le défi des élections. Les partis d’opposition ne seront pas en mesure d’entrer en compétition à moins que les lois ne soient rendues compatibles avec notre nouvelle Constitution. Ces élections sont une étape vers un référendumqui verra nos frères et soeurs du Sud prendre la décision de rester partie d’un Soudan unifié ou de créer leur propre pays. Ces choix sont douloureux et difficiles, ils décideront de l’avenir de nos enfants et des générations futures.
JE RESSENS COLÈRE ET FRUSTRATION en voyant que notre gouvernement n’a toujours pas honoré sa promesse de révoquer ces lois répressives,empêchant la population de débattre librement de notre avenir. Le Soudan est un grand pays, riche en diversité de croyances et de moeurs, et dispose de suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins de sa population. Mais nous ne pourrons jamais tirer parti de ce potentiel à moins de pouvoir contribuer à construire notre futur sans peur ni pression. En pensant àmon procès, je prie pour quemes filles ne vivent jamais dans la peur. Nous ne serons en sécurité que lorsque la police nous protégera et que ces lois seront révoquées. Je prie aussi pour que la prochaine génération voie comme nous avons eu le courage de nous battre pour son avenir. Nous avons besoin que les dirigeants arabes, africains, américains et européens nous aident à faire en sorte que le prochain chapitre de notre histoire soit moins sanglant que le dernier. Cela exigera de leur part conviction et audace. J’espère qu’ils ne transigeront pas ni ne nous abandonneront d’ici à ce qu’un véritable changement ait eu lieu.
Loubna Hussein est journaliste. Ex-employée des Nations Unies, elle est jugée à Khartoum pour avoir porté un pantalon sous son hidjab
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