Sida : « La conspiration du silence a été brisée »
Michel Sidibé, Directeur exécutif de l’Onusida, le programme commun des Nations unies sur le VIH/sida.
Jeune afrique : Plusieurs responsables d’organisations de lutte contre le sida, comme Michel Kazatchkine, président du Fonds mondial, craignent que les bailleurs ne poursuivent pas l’effort financier engagé ces dernières années. Partagez-vous cette inquiétude?
Michel Sidibé : Oui, tout à fait. Près de 14 milliards de dollars ont été mobilisés contre le sida l’an dernier. C’était un montant record et pourtant ce n’est toujours pas suffisant en raison du nombre croissant de personnes infectées. Nous estimons que près de 25 milliards de dollars par an sont nécessaires aux pays à revenus faibles et intermédiaires pour permettre l’accès universel aux soins.
Demander une telle somme peut paraître osé dans le contexte actuel de crise économique, mais un tel niveau d’investissement permettra de modifier considérablement le cours de l’épidémie de sida. L’objectif est d’abaisser le nombre des nouvelles infections à 1,3 million en 2010, contre 2,7 millions en 2007. Et nous pourrions aussi, dans la même période, pratiquement doubler le nombre de personnes bénéficiant d’un traitement, qui s’élève à 4 millions aujourd’hui. Les investissements commencent à porter leurs fruits: il convient donc de les accroître et non de les réduire.
Quel bilan dressez-vous de l’action de l’Onusida, créé en 1995?
Depuis une dizaine d’années, les résultats sont spectaculaires. La conspiration du silence a été brisée et la lutte contre le VIH/sida est devenue une véritable question politique. L’Onusida a su créer un mouvement de société autour de la maladie. Il a aussi produit des données épidémiologiques fiables et a mobilisé des ressources très importantes. En 2001, lorsque je suis rentré à l’Onusida en tant que directeur exécutif adjoint, les montants mobilisés pour financer nos programmes étaient de 350 millions de dollars, contre 14 milliards de dollars en 2008!
Vous avez été nommé le 1er décembre 2008 à la tête de l’Onusida. Quel sens donnez-vous à cette nomination?
Pour chaque personne soignée pour le VIH/sida sur le continent, on compte trois nouvelles infections… Il faut donc en priorité accentuer la prévention et il est pour cela très important d’avoir une vision très fine des dynamiques sociales qui rentrent en jeu. De plus, en tant qu’Africain, j’espère avoir plus de crédit pour fédérer les responsables politiques autour d’un projet commun. Et les acteurs de terrain attendent énormément de ma nomination: je suis soumis à une forte pression, mais c’est aussi une grande opportunité.
Quelle est votre stratégie pour l’Afrique?
Les résultats que nous avons déjà obtenus sont encourageants, mais restreints à des projets précis et éparpillés. L’Afrique concentre toujours 68 % des infections et 75 % des décès mondiaux (1,2 million par an). En outre, le problème des résistances aux premières molécules antirétrovirales se pose de manière aiguë, le continent n’ayant pas les moyens d’accéder aux coûteux traitements de seconde génération. Nous devons ouvrir un grand débat au niveau continental pour trouver les moyens de faire baisser les prix des traitements.
Par ailleurs, il faut envisager la lutte contre le virus comme une vraie opportunité de renforcer nos systèmes de santé.
Comment cela peut-il se traduire concrètement?
Nous devons d’abord établir un rapport conjoint Onusida/Union africaine faisant l’état des lieux de la maladie, et encourager l’accès universel aux soins en instituant une réelle obligation de résultats. L’argent de la lutte contre le sida doit être utilisé de manière plus efficace, en renforçant notamment la synergie entre les gouvernements et les acteurs de terrain, mais aussi en intégrant la lutte contre le sida à celle contre la tuberculose. La stratégie que nous mettons en œuvre est triangulaire: renforcer la prévention en insistant sur le lien mère-enfant; lutter contre les violences faites aux femmes et faire en sorte que les lois ne soient plus discriminantes envers les minorités, comme les drogués, les prostituées et les homosexuels.
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