Au CNRS, la liberté intellectuelle d’un spécialiste de l’islam menacée
Recherches au CNRS surveillées, menaces de sanctions disciplinaires,… l’affaire Vincent Geisser, un spécialiste de l’islam, suscite l’inquiétude du monde des enseignants chercheurs, qui défendent le principe de la liberté intellectuelle.
Chercheur au CNRS, Vincent Geisser est spécialiste de l’islam. Il vient d’être sanctionné par un « avertissement sans inscription au dossier » lors de sa récente convocation devant la commission de discipline de l’organisme de recherche scientifique, le 29 juin dernier.
On lui reproche son « manquement au devoir de réserve », pour avoir prononcé des propos « calomnieux et injurieux » à l’encontre d’un fonctionnaire de sécurité et de défense, Joseph Illand, qui surveillait ses travaux au sein du CNRS.
Le CNRS a rappelé qu’il ne s’agissait que d’une sanction consultative et qu’il revenait désormais à la direction de se prononcer sur le dossier. Son avocat a néanmoins contesté la mesure disciplinaire et attend les conclusions finales de la direction du Centre.
Un comité de soutien a été créé, et les collègues du chercheur craignent qu’une telle mesure fasse désormais jurisprudence et les contraigne fermement à ce fameux droit de réserve. L’affaire a fait grand bruit dans la sphère des enseignants-chercheurs et des scientifiques, qui sont immédiatement montés au créneau pour défendre la liberté intellectuelle.
Accointances avec l’islam
Au demeurant, l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. On reproche au chercheur les propos qu’il a tenus dans un mail personnel adressé à une collègue, mail qui a été publié sur un blog à son insu et qui a déclenché une plainte de la part de Joseph Illand.
A cette chercheuse de Toulouse, interdite d’exercer car elle portait le voile (une sanction imputée au même fonctionnaire de défense que celui qui suivait les travaux de Vincent Geisser), il écrivait les propos suivants :
« Le FD (fonctionnaire défense, ndlr) est un idéologue qui traque les musulmans et leurs « amis », comme à une certaine époque on traquait les Juifs et les Justes. Le FD constitue des dossiers sécuritaires sur un nombre de chercheurs du CNRS afin de les faire sanctionner.
Sa cible privilégiée ? Les chercheurs travaillant sur le monde arabe et musulman, mais aussi les chercheurs ayant des accointances avec l’islam ».
Harcèlement sécuritaire
Pour expliquer la dureté de ces propos, il faut rappeler que Vincent Geisser estime avoir subi « cinq ans de harcèlement sécuritaire » de la part de Joseph Illand, selon les propos des chercheurs qui le soutiennent.
Ingénieur général de l’armement, ancien de la Défense et fonctionnaire au CNRS depuis 2003, Joseph Illand était donc chargé de surveiller les « intérêts » de la recherche française.
Alors qu’il effectuait une enquête sur les enseignants-chercheurs issus des migrations maghrébines, le département dont dépendait Vincent Geisser a été classé « sensible », tout comme le thème de ses travaux, et il s’est aperçu que le FD avait récolté nombre d’informations sur ses recherches, dans le but de le faire « sanctionner ».
« Petit à petit, j’ai compris ce qu’on me reprochait, d’infiltrer le CNRS avec un lobby islamique », déclare à Rue 89 Vincent Geisser , connu pour être l’auteur de La Nouvelle Islamophobie, un ouvrage qui a suscité des débats passionnés.
Maccarthysme à la française
L’ « affaire Geisser » a en tout cas provoqué l’ire du milieu de la recherche, qui s’inquiète de la menace pesant sur la liberté des scientifiques.
La convocation de Vincent Geisser a déclenché le lancement d’une pétition « pour la défense de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique », qui a récolté plus de 4.000 signatures. Une lettre ouverte a également été adressée à Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Des « pointures » du monde universitaire, telles qu’Edgar Morin, Pascal Boniface ou Olivier Roy ont expliqué qu’ils soutenaient Vincent Geisser, moins pour ses positions sur l’islam que pour la sauvegarde du principe de liberté intellectuelle des universitaires.
Dans un appel diffusé sur le site Rue 89, Olivier Roy et Esther Benbassa, deux universitaires, ont tiré la sonnette d’alarme :
« Nos blogs bloqués, nos mails épiés, nos travaux épluchés par les militaires, nos livres devront-ils être bientôt soumis à la censure ou ne refléter que les positions agréées ou supposées agéées par nos gouvernants ? Un maccarthysme à la française, est-ce là désormais l’ « exception française » ? »
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