Quand le chemin de la démocratie passe par le web
Les récents événements politiques en Afrique ont révélé une nouvelle forme d’engagement. Face aux crises à répétition, des citoyens utilisent désormais Internet pour promouvoir la démocratie.
Ushahidi est sans doute l’exemple le plus fameux de la cyberconscience africaine. Cette plate-forme participative a été créée en janvier 2008, quelques jours après le début des violences postélectorales au Kenya. Elle a permis presque en temps réel de répertorier sur une carte empruntée au logiciel Google Map les incidents constatés sur le terrain : émeutes, arrestations, morts… L’originalité est d’avoir donné la possibilité à tous les témoins d’envoyer un signalement par e-mails ou SMS, à l’image des contributions apportées à l’encyclopédie Wikipedia.
L’idée est venue d’une jeune avocate, Ory Okolloh, diplômée de Harvard et fondatrice en 2006 d’un observatoire du Parlement national. C’est ensuite la blogo-sphère kényane, diaspora et locaux réunis, qui s’est mise au travail pour créer cet outil. Pas étonnant : elle est l’une des plus actives du continent. Ushahidi signifie « témoignage » en langue swahilie. Un nom qui résume précisément l’objectif du site (ushahidi.com). « Nous croyons, écrivait Ory Okolloh sur son blog, que le nombre de morts annoncé par le gouvernement, la police et les médias, est sous-évalué. Nous ne pensons pas avoir une réelle image de ce qui se passe. »
Au cours du mois de janvier, Ushahidi dénombrera plusieurs dizaines de faits graves, dont une grande partie avait échappé aux médias traditionnels, selon une étude menée par Patrick Meier, doctorant à l’université Harvard. La plate-forme va rapidement devenir une source d’information essentielle pour les Kényans installés aux États-Unis et en Europe : plus de 32 000 visites pendant les événements. Les locaux ne sont pas absents, puisque près de 5 500 d’entre eux ont accédé au site sur la même période. Le succès tient d’abord à l’absence de parti pris. Au Kenya, les violences renvoient à des conflits territoriaux plus anciens, explique la géographe Claire Médard : « Il faut saluer le travail de validation et de modération des informations qui a évité de véhiculer des sentiments de vengeance comme on aurait pu le craindre ». Un travail qui a suscité un véritable engouement médiatique – Jeune Afrique, BBC, The Guardian –, faisant grossir un peu plus les attentes d’une reprise du dialogue entre le pouvoir et l’opposition en vue d’une solution négociée. L’intelligence des créateurs du site est surtout de n’avoir pas limité leur initiative au seul Kenya. La plate-forme a été déployée en Afrique du Sud lors des violences xénophobes de la mi-2008, puis en RD Congo en novembre pour rendre compte des violences dans l’est du pays. En début d’année, elle trouvait un nouveau champ d’exploration à Madagascar et, pour la première fois hors du continent, à Gaza (projet piloté par la chaîne arabe Al-Jazira).
Au Zimbabwe, c’est un autre projet qui marque les esprits et réunit chaque jour plus de 4 000 internautes. Sokwalene – « Assez, c’est assez » – tient son nom d’un groupe qui milite pour la démocratie. Leur site, sokwalene.com, présente photos, vidéos et infographies pour illustrer les atteintes répétées aux droits de l’homme. Entre les scrutins électoraux du 29 mars et du 18 juin 2008, les cyber-activistes ont recensé sur une carte plus de 2 000 actes de violence politique avérés. « Ça a eu un gros impact, confiait un des membres de l’organisation. Nous avons reçu des messages de journalistes nous remerciant de rendre la situation plus compréhensible. » Preuve de son intérêt pédagogique, le visuel a été utilisé par la chaîne CNN.
Mais les sites Internet ne se limitent pas à comptabiliser les victimes. Fin 2008, Ushahidi a enclenché une nouvelle étape dans le processus de réconciliation kényan. L’équipe du site a organisé un vote pour célébrer les « justes » qui ont accompli un geste pour la paix durant les troubles. Plus de cinq cents héros méconnus ont été mis à l’honneur. Et comme on récolte ce que l’on sème, les trois plus populaires ont reçu un chèque de 100 euros. Et leur histoire a été publiée dans le Standard, premier quotidien du pays.
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