Le royaume va t-il soutenir l’islam économique ?

 Le marché de la finance islamique, dont la croissance est estimée à 15% par an et les fonds à 500 milliards de dollars, connaît un essor indéniable, d’autant plus remarquable qu’il semble traverser la crise financière sans heurt.

Publié le 22 avril 2009 Lecture : 3 minutes.

 Sa pénétration des pays du Maghreb demeure pourtant marginale. Au Maroc, les débats suscités par le développement progressif des produits dits « alternatifs » au sein du pays ne perdent pas en intensité depuis l’ouverture tardive opérée par la banque centrale. Il a fallu attendre 2007 pour observer la mise en place d’une politique économique concrète par le gouverneur de la banque centrale, Abdellatif Jouahri. Pourquoi tant de réticences à solliciter les « winners pieux », fiers de leur individualisme, de leur religion et de leur compte en banque ?

Balbutiements marocains : quand la banque centrale cède du terrain

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Les financements islamiques sont officiellement entrés sur le marché bancaire marocain le 1er octobre 2007, via la mesure des « crédits halal » qui autorise trois types de crédit : l’ijara, la mourabaha et la mousharaka. Il ne s’agit pas tant – comme on l’a souvent entendu dire – d’interdire l’intérêt, ou « riba » que d’éviter son usage dans ses formes les plus abusives. Pour prétendre être « sharia compliant », toute source de profit se doit d’être à la fois légitime et équitable. Depuis cette invalidation par le haut, quatre banques marocaines se sont empressées de proposer des produits islamiques.

Pour Abderrazak Belabes, chercheur à l’université de Jeddah (Arabie Saoudite), cette nouvelle équation permettrait de « capter les capitaux des citoyens marocains qui ne veulent pas déposer leurs revenus dans les banques conventionnelles ». Et favoriseraient la confiance de millionnaires pieux dont les fortunes restent inaccessibles. L’argument est d’autant moins anecdotique que l’économie marocaine pêche par son faible taux de bancarisation (environ 80% de la population n’a pas de compte en banque). De plus, nombreux sont les émigrés marocains qui pourraient déposer leurs économies dans des banques islamiques depuis la France, la Hollande ou l’Espagne. Une enquête IFOP récente montre par exemple que 47% des musulmans vivant en France seraient intéressés par un contrat d’épargne qui respecte l’éthique islamique.

Atermoiements et lenteur du processus : pourquoi la finance islamique ne fait pas l’unanimité dans les sphères décisionnelles marocaines

Face au potentiel des produits alternatifs, la frilosité de la banque centrale à faire référence à des produits « islamiques » peut surprendre. Pour le docteur Belabes, un seul motif justifie l’attitude de la BAM : « la Banque centrale refuse toute référence explicite à l’islam pour ne pas lâcher la pression sur les mouvements islamistes et ne pas leur offrir l’occasion de banaliser leurs discours ». Le Parti Justice et Développement (PJD), mouvance islamiste la plus importante au Maroc à ce jour, avait fait de la finance islamique un enjeu électoral en 2007, « saboté » par la soudaine ouverture prônée par la BAM.

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Les mutations du secteur financier concourent sur un terrain hautement politique. Dire que les représentants politiques n’y voient pas que des avantages relève de l’euphémisme. D’importantes pressions sont exercées par le lobby des banques traditionnelles sur le gouvernement. Considérant les produits « alternatifs » comme des concurrents directs aux produits « classiques » qu’elles proposent, elles n’ont aucun intérêt à voir se diversifier les offres de produits. Le gouvernement répugne d’autant plus à officialiser le développement de l’islam économique qu’il est ouvertement engagé dans le combat contre l’islam politique. Or, il n’est pas rare qu’islam politique et économique soient amalgamés dans la presse et par le grand public, et le risque de confusion n’est pas négligeable pour un pays dont la première source de revenus est le tourisme.

Pourtant, l’ouverture est en marche et, à terme, la fracture sémantique pourrait bien passer de « alternatif/conventionnel » à « islamique/non-islamique ». Les débats au Maroc seront in fine influencés par l’attitude de la France – qui a montré depuis l’année dernière des signes d’intérêt nouveaux pour la question – étant donné la dynamique des flux migratoires et économiques entre les deux pays. La ministre des finances française déclarait à la fin du mois de novembre 2008 : « Nous souhaitons faire de Paris une place attractive pour la finance islamique, surtout dans ce contexte de crise, d’excès et de crédits, de volatilité, et de cupidité » – enthousiasme dû au dynamisme de la concurrence européenne sur la question.

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Oscillant entre ouverture et ré-appropriation de l’islam, entre libéralisation et « fin de l’ère du laxisme », les atermoiements du gouvernement attestent de la sensibilité de la question de l’islam au Maroc. Si le pays accuse un retard certain en la matière par rapport aux pays du Golfe, le processus d’ouverture progresse sans jamais reculer. 7 à 10 banques étrangères (Arabie Saoudite, EAU, Qatar) seraient en lice pour des partenariats avec des banques marocaines, promettant de nouveaux débats enflammés dans le pays.

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