La disparition des requins perçue comme une menace
Les communautés côtières du sud de Madagascar, qui risquent leur vie en parcourant de longues distances en pirogue pour satisfaire une demande lucrative d’ailerons de requins, sont confrontées à un avenir incertain : les pratiques de pêche non durables menacent la pérennité des ressources marines dont elles dépendent.
Dans les villages situés le long de la côte sud-ouest, les habitants font état d’un épuisement considérable de l’ensemble des ressources marines. « Ici, la diminution des stocks a réellement débuté aux alentours de l’année 2000. Les prises de poulpe ont chuté, et les bèches-de-mer ont disparu, à l’instar de certaines espèces de poisson », a expliqué à IRIN Roger Samba, habitant du village de Andavadoaka, situé dans la province de Toliara.
« Il est difficile de pêcher suffisamment de poissons à vendre. Les pêcheurs s’aventurent au large, pêchent tôt le matin jusque tard le soir, et ne parviennent même pas à ramener 10 ou 20 kilogrammes de poisson, tout juste cinq. »
Lorsque M. Zoffe, pêcheur de requins, charge le matin ses filets dans sa pirogue (canoë souvent équipé d’une voile) et quitte sa maison située dans la ville côtière de Morombe pour gagner les eaux profondes du canal du Mozambique, il sait qu’il aura de la chance s’il ne revient pas bredouille.
« Il est devenu vraiment difficile de pêcher des requins », a expliqué M. Zoffe à IRIN. « Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient ; avant, on trouvait généralement des requins très près du rivage, à seulement cinq mètres de profondeur. Aujourd’hui, on ne les trouve plus qu’au large, et à des profondeurs très importantes. Ils sont très difficiles à attraper. »
Le système corallien de la côte sud-ouest de Madagascar, l’un des plus grands au monde, s’étend sur près de 500 kilomètres de long. Les ressources marines constituent la principale source de revenus de l’ensemble des communautés côtières, et assurent la subsistance de plus de 20 000 personnes dans la seule province de Toliara. Des villages entiers dépendent depuis toujours de la prise de bèches-de-mer (aussi appelés ‘concombres de mer’) et de poulpes et de la pêche sur les récifs coralliens situés à proximité du rivage, leur unique source de revenus.
« Ici, les communautés dépendent massivement des ressources marines, pourtant surexploitées ; elles doivent d’urgence trouver une méthode permettant d’exploiter ces ressources de façon durable », a expliqué à IRIN Garth Cripps, un scientifique spécialiste des fonds marins basé à Toliara.
« Si ces communautés ne modifient pas leurs habitudes, elles provoqueront la dégradation de l’écosystème, et en subiront des conséquences sociales et environnementales extrêmement négatives. »
Selon l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la pêche représenterait à Madagascar 160 millions de dollars par an ; la pêche, l’exploitation minière et le tourisme sont les trois principaux leviers du développement économique.
D’après les estimations des Nations Unies, à l’échelle mondiale, au minimum 3,6 milliards de personnes, soit 60 pour cent de la population mondiale, vivent dans un périmètre côtier de 60 kilomètres. Les systèmes marins génèrent chaque année quelque 21 000 milliards de dollars de services environnementaux et économiques, soit 70 pour cent de plus que les habitats terrestres.
Conséquence de la demande en ailerons de requin émanant de Chine, où cette chair est considérée comme un mets raffiné, la pêche aux requins et la pêche aux bèches-de-mer, considérés comme étant aphrodisiaques, sont devenues des sources de revenus majeures à Madagascar, qui exporte chaque année jusqu’à 20 tonnes d’ailerons de requins. Un kilogramme peut rapporter pas moins de 140 000 ariary (56 dollars) sur les marchés locaux, et jusqu’à 1 000 dollars en Chine.
Des lois peu appliquées
La législation étant peu appliquée, on observe une surexploitation des ressources marines vulnérables. Bien que le gouvernement ait prohibé l’utilisation des caissons à air pour la pêche des bèches-de-mer, la pratique perdure.
« Ici à Madagascar, les lois relatives à l’exploitation des ressources marines ne sont pas appliquées », a déploré Man Wai Rabenevanana, directeur de l’Institut des sciences marines de Toliara. « L’État n’investit pas suffisamment dans la gestion des ressources marines et le renforcement des capacités pour permettre aux communautés de gérer les ressources de manière efficace. »
Madagascar a encore du chemin à parcourir pour préserver ses ressources marines. Selon M. Rabenevanana, « il est très difficile d’empêcher les prises de requins et de bèches-de-mer. Les pêcheurs sont pauvres, et la pêche aux requins et aux bèches-de-mer particulièrement attrayante. Si nous voulons réellement protéger nos ressources, nous devons cibler le marché. Nous devons redoubler d’efforts pour décourager les Chinois de consommer des soupes aux ailerons de requins, voire même trouver une alternative. »
Aucun programme de conservation n’a été mis en place pour protéger les requins. « Il ne s’agit pas d’une pêche durable car elle n’est pas régulée de manière adéquate », a indiqué à IRIN Volanirina Ramahery, qui travaille pour l’ONG environnementale World Wide Fund for Nature.
La raréfaction du principal prédateur pourrait déséquilibrer la chaîne alimentaire marine dans son intégralité. Des études menées dans les Caraïbes ont révélé que la disparition des requins se traduisait par une augmentation des stocks d’autres espèces carnivores ; celles-ci se nourrissent en quantité trop importante d’autres poissons utiles, tels que ceux qui contribuent au maintien des algues sur le corail, ce qui peut potentiellement menacer l’écosystème du récif tout entier.
« La disparition des requins aurait des conséquences dévastatrices pour les habitats marins et les communautés locales qui en dépendent », a indiqué à IRIN Frances Humber, une biologiste des fonds marins qui étudie les populations de requins dans le sud et l’ouest de Madagascar aux côtés de l’organisation britannique de conservation Blue Ventures.
« Un déclin de la pêche au requin pourrait menacer la stabilité économique de la région, et priver des milliers de pêcheurs de leurs moyens de subsistance. »
Blue Ventures élabore actuellement un projet axé sur l’élevage des bèches-de-mer dans l’objectif de proposer aux pêcheurs d’autres sources de revenus et de contribuer à la protection de l’environnement marin. L’organisation travaille en collaboration avec une société d’exportation afin de mettre en place des fermes d’élevage de bèches-de-mer dirigées par les femmes des communautés locales de Belavenoke, un village de la province de Toliara. Tous les bénéfices générés par cette entreprise profiteront directement au village.
Les femmes de Belavenoke ont salué cette initiative. « L’élevage de bèches-de-mer est une bonne chose pour nous », a confié à IRIN Katherine, membre de l’association locale des femmes impliquée dans le projet. « Les ressources s’amenuisent et je suis inquiète pour notre avenir ; un jour peut-être, il ne nous restera plus rien. »
D’après Clarisse, fournisseur de bèches-de-mer et de poulpes à Belavenoke, « la vie est de plus en plus difficile ici, car nous n’avons aucune source de revenus autre que la pêche. Seule la mer nous fait vivre ; et je suis inquiète, car les poissons se raréfient. »
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