Joseph Blatter
 : « La Coupe du monde est une promotion formidable pour le continent »

Le président suisse de la Fédération internationale de football association (Fifa) rappelle pourquoi l’Afrique mérite d’accueillir enfin la Coupe du monde. À 74 ans, il explique les raisons qui l’incitent à briguer un quatrième mandat en 2011.

Le président de la Fifa, Sepp Bletter. © AFP

Le président de la Fifa, Sepp Bletter. © AFP

Publié le 11 juin 2010 Lecture : 7 minutes.

Jeune Afrique : Vous vous êtes beaucoup investi pour apporter le Mondial à l’Afrique. Quel est votre sentiment profond à l’approche de ce grand rendez-vous ?

Joseph s. Blatter : Une grande satisfaction. Et une grande fierté aussi qu’on ait réussi à convaincre le monde du football que les Africains étaient, comme les autres, capables d’organiser une Coupe du monde. Je me sens maintenant comme un acteur avant l’entrée en scène, qui connaît son texte par cœur et qui a hâte de commencer. On est prêt, on n’attend plus, on y va !

la suite après cette publicité

Qu’avez-vous envie de dire à tous ceux qui, dans le monde entier, sont préoccupés par la question de la sécurité en Afrique du Sud ?

Les responsables de la sécurité des différentes fédérations nationales ont rencontré les responsables sud-africains. C’est Interpol qui gère la coordination. On a d’abord parlé de la sécurité, et maintenant on raconte qu’on ne vend pas les billets. Savez-vous d’où ça vient ? D’un certain monde occidental qui ne voulait pas que l’Afrique ait la chance d’organiser un Mondial et qui mise maintenant sur un échec. Depuis le début, les médias européens cherchent la petite bête, avec comme arrière-pensée : « Nous, les anciens colonialistes, savons mieux faire. Quelle idée d’organiser une Coupe du monde en Afrique ! » Mais vous verrez, ce Mondial sera un très grand succès, les stades seront pleins. Et à la fin de la compétition, que diront les mêmes journalistes ? « On a toujours dit que ça se passerait très bien… » Je dis aux médias européens : « Vous êtes des jaloux. »

La Fifa a beaucoup œuvré pour le développement du football en Afrique. Quelle est la mesure dont vous êtes le plus fier ?

Il y en a beaucoup. En juillet 2007, Jeune Afrique a publié la liste des nouveaux projets spéciaux pour le continent, intitulée « Gagner en Afrique avec l’Afrique ». Car il ne s’agit pas seulement de donner quelque chose à l’Afrique ; elle doit travailler aussi et il y a encore beaucoup à faire. Les terrains sont enfin là. La pelouse artificielle – la surface du futur – s’impose. Le jeu y est fluide, sans problème, personne ne s’en plaint.

la suite après cette publicité

Les Africains doivent encore se donner les moyens et montrer leur volonté de mettre en place des championnats professionnels et semi-professionnels afin que les joueurs puissent gagner décemment leur vie, et ainsi éviter l’exode vers l’Europe. Grâce à cette Coupe du monde, les investisseurs vont s’intéresser aux performances des équipes nationales africaines. Même si la plupart des joueurs évoluent en Europe, ils seront désormais identifiés par leur nationalité. Ce sera une promotion formidable pour le continent.

Et celle qui pourrait être considérée comme l’héritage de la Fifa et de son président ?

la suite après cette publicité

Ce qui me tient le plus à cœur, ce n’est pas le sport en lui-même, mais l’aspect social et culturel du football, dans son action caritative. Nous avons commencé avec notre initiative « Football for Hope », « L’espoir par le football ». On a ouvert en décembre 2009 un premier centre à Khayelitsha, près du Cap. Ces centres accueillent de jeunes garçons et filles, qui y suivent une scolarité laissant une large place au football et, surtout, à la santé, un sujet essentiel pour la Fifa.

À quoi sert de lutter contre l’analphabétisme et la pauvreté si on ne fait rien pour la santé ? On manque de personnel médical et paramédical formé. C’est un chantier gigantesque auquel nous sommes attachés depuis des années. On a commencé à y travailler en Afrique du Sud, une tâche de longue haleine dans un immense pays de 50 millions d’habitants, où les écarts sociaux entre riches et pauvres sont très importants. Nous collaborons également avec les autorités sanitaires de nombreux autres États subsahariens, et avons obtenu des ministres de la Santé et de l’Éducation de l’Union africaine de pouvoir continuer après le Mondial. On ne s’arrêtera pas en 2010 ; notre objectif, c’est 2015. Nous voulons laisser un héritage utile à cette jeunesse défavorisée. C’est pour moi beaucoup plus important que de se dire : « On a fait une belle Coupe du monde ! »

La qualité du football africain est reconnue, le talent de ses joueurs aussi. Que lui manque-t-il alors pour parvenir au sommet et remporter le titre de champion du monde ?

Si les joueurs africains connaissent déjà leur valeur individuelle, ils doivent aussi prendre conscience de leur valeur réelle sur le plan collectif. C’est important. Cette prise de conscience devrait conduire les équipes africaines aussi loin que les autres. Car elles ont en effet de super footballeurs, époustouflants physiquement et techniquement. Ils ont tout… sauf cette conscience collective. Il faut un chef pour cela. L’entraîneur national est naturellement l’homme clé, mais comme il faut aussi une continuité dans le jeu et dans la tactique des équipes nationales, il doit respecter la culture du pays. Le Nigeria doit jouer avec le système nigérian, onze joueurs qui veulent aller à l’attaque ! Le Cameroun, qui a une autre vision du jeu, doit pratiquer le sien. Chaque pays doit préserver l’identité de son football. Par ailleurs, on n’obtient pas des résultats en changeant continuellement les directeurs techniques nationaux, les coachs ou les managers. Certains sont même renvoyés à deux ou trois mois d’une grande compétition…

Cela est de la responsabilité des fédérations nationales. Êtes-vous satisfait de leur action ?

Le travail effectué avec elles sur l’organisation, l’administration et la direction des opérations porte ses fruits. En sachant que l’équipe nationale a une autre valeur en Afrique, où, dans pratiquement tous les pays, elle est prise en otage par le gouvernement, qui lui alloue des subventions spéciales. Mais les fédérations sont en train de changer. Il y a maintenant une certaine continuité : des présidents qui sont réélus, des associations qui ont une suite logique dans leur organisation. On travaille main dans la main avec la Confédération africaine de football [CAF, NDLR], et je sais que son président, Issa Hayatou, a pris conscience que la stabilité des fédérations a une importance considérable. On est vraiment sur le bon chemin.

Les fédérations africaines reçoivent des aides de la Fifa. Avez-vous le sentiment qu’elles sont bien utilisées, que tout est clair, transparent ?

Cette question ne se pose pas uniquement en Afrique, mais dans tous les pays du monde qui reçoivent nos aides. Nous donnons de l’argent sur des budgets dont l’utilisation est prévue. Depuis 1999 et la mise en place du Programme d’assistance financière, nous effectuons chaque année des contrôles sur vingt associations, dix tirées au sort et dix désignées par l’administration de la Fifa. La plupart des résultats sont très bons. Nous avons dû passer quelques « savons » à des fédérations, dont deux en Afrique, une pourtant très sérieuse en Europe, et plusieurs sur d’autres continents.

L’argent est-il toujours judicieusement dépensé ? Les fédérations l’utilisent essentiellement pour la formation ou les déplacements de leurs juniors. Il y en a qui ont acquis des minibus pour transporter les gens, et je trouve cela très bien, tant qu’elles n’achètent pas de Mercedes pour le président ! Il y a désormais une très bonne discipline, grâce au contrôle. Vous savez, les trois C dans le domaine militaire sont également valables dans la vie : commander, contrôler, corriger…

Issa Hayatou, le président très contesté de la CAF, notamment pour sa gestion du drame togolais lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations, a indiqué en avril qu’il ne se présenterait pas à la prochaine élection présidentielle de la Fifa, prévue en 2011. Quelle réflexion cela vous inspire-t-il ?

Il a dit au dernier congrès de la Fifa qu’il ne se présenterait pas, et que l’Afrique soutenait le président actuel. Cela corrobore exactement ce qu’il a dit publiquement et ce qu’il m’a dit personnellement.

Vous vous représenterez donc en 2011 pour un quatrième mandat ?

Je n’ai pas terminé ma mission qui est justement de préparer un bel héritage. Le football est beaucoup plus qu’un jeu. Phénomène social, culturel, éducatif, c’est l’école de la vie. En plus, il donne les émotions dont on a besoin dans ce monde, et l’espoir qu’il soit un jour un peu meilleur. C’est ma philosophie footballistique de la vie, basée sur les émotions et l’espoir. Si vous avez les deux, vous êtes heureux. On ne peut pas lutter pour la paix car, vous le savez, on tue pour la paix. On ne peut pas créer un meilleur monde non plus. Mais on peut préparer un meilleur futur pour la jeunesse. Le football est un rassembleur formidable, sans frontières culturelles ni raciales.

Telle est ma mission. Savoir si Lionel Messi va marquer trois ou quatre buts, même si c’est beau à voir, n’en fait pas partie. Le football est maintenant organisé, je n’ai pas besoin de m’en occuper. À part, éventuellement, revoir certaines règles du jeu, ou stopper l’entrée de la technologie sur le terrain. En revanche, ce que je veux encore faire bouger un peu plus, c’est la confiance des autorités et de notre société dans un jeu basé sur la discipline et le respect, qui puisse nous donner les émotions dont on a besoin. Comme disait le grand écrivain français Albert Camus : « Ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois ! » Si on le sort de son environnement économique, de ce contexte de la victoire à tout prix, le football devient alors quelque chose de tellement essentiel. 

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires