À l’Afrique de jouer

Tous les quatre ans, le monde entier adopte un ­étrange comportement dès le mois de juin. Les hommes et (certaines) femmes d’Europe, d’Afrique, d’Asie et des Amériques ne sont plus les mêmes : injoignables à certaines heures de la journée, fous de joie ou au contraire de fort mauvaise humeur quand, ô miracle, ils daignent répondre au téléphone, rassemblés autour d’un écran, petit ou grand, chez eux, dans la rue ou au café, parfois même sur leur lieu de travail, ils vibrent au rythme de la Coupe du monde de football, de ses exploits, de ses déceptions, des rires et des larmes qui inondent nos télés, nos radios et nos journaux.

Soweto, 23 juin, de jeunes footballeurs à proximité du stade Soccer City © AFP

Soweto, 23 juin, de jeunes footballeurs à proximité du stade Soccer City © AFP

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 11 juin 2010 Lecture : 4 minutes.

En Afrique, un Mondial de football, où qu’il se déroule, c’est déjà suffisant pour « scotcher » devant postes de télévision, écrans d’ordinateur et transistors les trois quarts de la population en âge d’ouvrir un œil ou de tendre une oreille, alors une Coupe du monde de la Fifa sur ses terres, pour la première fois, imaginez ce que cela peut donner… Au pays de Nelson Mandela, icône parmi les icônes, qui plus est. Il faut le reconnaître et savoir ne pas verser dans l’afro-optimisme béat : c’est une pression énorme qui pèse sur les Sud-Africains. À la moindre anicroche, au moindre coup de sang, c’est l’Afrique tout entière qui en prendra pour son grade. « On vous avait prévenus, cela ne pouvait que déraper », pourra-t-on lire ou entendre à Paris, Londres, Milan, New York ou Buenos Aires. Organisation, hébergement, transport, sécurité… Quatre mots qui, associés à l’Afrique, peuvent parfois sembler antinomiques. Et ce serait franchement faire preuve de mauvaise foi ou d’aveuglement que de nier les lacunes continentales en la matière… Naïveté et méthode Coué ne résolvent rien.

Mais l’Africa bashing, le dénigrement systématique de l’Afrique, non plus. Il serait tout aussi stupide de ne pas imaginer une seconde que l’Afrique, dont le sens de l’honneur et de l’hospitalité n’est plus à démontrer, ne puisse mettre tout en œuvre pour réussir ce test planétaire. Et s’il est une nation capable d’organiser un tel événement, c’est bien l’Afrique du Sud. On a entendu beaucoup de choses négatives ces derniers temps au sujet du pays de Jacob Zuma. Nombreux sont ceux qui doutent de sa capacité à se hisser au niveau requis. L’assassinat du leader extrémiste Eugène Terreblanche, le 3 avril, n’a fait que raviver le spectre de tensions raciales – et sociales – qui couvent comme le feu sous les braises. Un tragique épisode qui aura, hélas, servi de bref révélateur médiatique en Occident, avec son inévitable corollaire de clichés et de raccourcis. Ceux qui pensent que la nation Arc-en-Ciel avait définitivement chassé ses vieux démons se sont trompés. Mais ceux qui imaginent qu’elle n’est que violence et inégalités également. L’Afrique du Sud d’aujourd’hui est une nation jeune, encore en construction. Elle apprend en marchant, sans repères, trébuche, et peine à tracer une ligne droite et sans écueil, entre son passé écrit dans le sang et les larmes de l’apartheid, et un futur que nous lui souhaitons radieux.

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Panser les plaies, dont certaines sont encore béantes, d’une Histoire marquée par une indescriptible violence et des discriminations extrêmes ; se reconstruire, rééquilibrer une société où la majorité peut légitimement, compte tenu des souffrances qu’elle a eu à endurer des décennies durant, rêver de revanche, voire de vengeance, et où la minorité jadis au pouvoir vit parfois dans l’acrimonie et la peur, souffre chaque jour de la perte de ses privilèges et de l’inversion brutale d’un rapport de forces qu’elle n’appelait pas franchement de ses vœux… Tout cela ne se fait pas en un jour. C’est un long cheminement, le travail de plusieurs générations de Sud-Africains toutes origines raciales confondues, comme d’autres peuples sont parvenus à le faire ailleurs dans le monde, malgré un passé parfois tout aussi délicat à… dépasser.

N’exigeons donc pas de l’Afrique du Sud plus qu’elle ne peut et qu’elle ne doit. Comportons-nous avec honnêteté et compréhension. Demandons-lui de tenir les engagements qu’elle a pris pour pouvoir organiser cette Coupe du monde et de mettre tout en ­œuvre pour remplir les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés. Ni plus ni moins. D’autres nations, pourtant elles aussi appelées à organiser des événements de cette envergure n’ont pas à subir un tel acharnement médiatique. Ces préjugés irritent jusqu’au président de la Fifa, Joseph S. Blatter, grand artisan du Mondial africain. Le Brésil, qui accueillera le Mondial 2014 est-il un havre de quiétude ? L’Ukraine, coorganisatrice avec la Pologne de l’Euro 2012, est loin d’être prête. Mais qui en parle ?Une chose est sûre : en cette année symbolique commémorant les cinquantenaires des indépendances de dix-sept nations africaines, Jeune Afrique – qui fêtera lui-même ses cinquante ans en octobre prochain – souhaite de tout son cœur que la fête soit belle et que le continent, du nord au sud, puisse, le 12 juillet, démontrer que les oiseaux de mauvais augure n’ont pas toujours raison, que la volonté, le travail, l’abnégation et la réussite sont aussi des qualités africaines. Ainsi, comme tous les quatre ans, nous pourrons suivre avec ferveur l’événement sportif le plus populaire de la planète, rire, pleurer, partager, échanger, s’amuser, chanter, danser… L’Afrique mérite cette Coupe du monde et c’est désormais à elle de jouer. Pour notre plus grande fierté.

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