De la révolution générique à l’export
Le défi des laboratoires tunisiens est de diversifier leur production et d’augmenter leurs parts de marché, dans le pays et à l’étranger. L’État, lui, doit faciliter la diffusion des génériques et définir un système de révision des prix de vente.
Industrie pharmaceutique: cap sur l
Parallèlement à l’amélioration des indicateurs de développement humain – allongement de la durée de vie, accès aux soins pour un plus grand nombre… –, la consommation des Tunisiens en médicaments va crescendo. En la matière, le pays connaît une évolution comparable à celle des nouveaux États membres de l’Union européenne. Le premier volet de la stratégie tunisienne est donc de continuer à accroître la production locale pour réduire la facture d’importations et enrayer l’inflation des dépenses de santé. Souci conduisant à une seconde priorité : promouvoir les génériques et faciliter leur distribution. Copies autorisées de médicaments originaux (princeps) dont les brevets, après vingt ans d’exclusivité, sont tombés dans le domaine public, les génériques représentent aujourd’hui 46 % de la production locale, 45 % des médicaments distribués à travers le réseau des hôpitaux… Et seulement 10 % de ceux vendus dans les officines. C’est dire la marge de progression.
Les laboratoires nationaux n’ont pas manqué d’investir le créneau. La Siphat (voir pp. 121 et 128) met sur le marché entre deux et trois nouveautés par an et réalise 83 % de son chiffre d’affaires avec les génériques. Chez le privé Teriak, des frères Kilani, ils constituent 40 % de la production. Le médicament phare de Medis est l’Ator, générique du Tahor (leader mondial des anticholestérol). Quant au Vascor, lancé en 2004 par Adwya, « il a battu l’an dernier les ventes en Tunisie de Zecor, numéro un mondial », affirme Tahar el-Materi, le président et fondateur du premier laboratoire privé national, qui parie désormais sur sa gamme de génériques en cardiologie.
L’union fera la force
Le bénéfice est double : entre 30 % et 40 % moins cher pour le patient que les princeps, les génériques offrent en outre une meilleure rentabilité aux laboratoires tunisiens car, malgré des prix de vente moindres, la marge commerciale dégagée est généralement supérieure à celle d’un produit sous licence (jusqu’à 30 %). En l’occurrence, le prix de vente est lié à l’innovation car plus le générique est récent, moins il a de concurrents sur le marché et plus son prix est élevé.
Un bémol cependant : le principe de corrélation, mis en place en 1991, qui interdisait l’importation d’un produit fabriqué localement, a été aboli en 2007 sous la pression de l’Union européenne et des États-Unis, « alors que l’Algérie a annoncé [en octobre 2008, NDLR] qu’elle allait l’instaurer », relève Tahar el-Materi.
Du coup, les industriels sont dans l’expectative, certains s’inquiétant de la réforme du système d’assurance maladie (voir encadré p. 123). Et si les nouvelles règles de remboursement produisaient un effet baissier sur les prix et réduisaient les marges commerciales ?
Par ailleurs, s’il s’est étoffé, le tissu industriel pharmaceutique demeure caractérisé par des unités de petite taille. À cette faiblesse structurelle s’ajoute la dépendance aux bailleurs de licences : non seulement les laboratoires tunisiens ont l’obligation de leur acheter la matière première (substances actives), mais les bailleurs ont aussi le pouvoir de dénoncer les contrats, à durée déterminée. Difficile, dans ces conditions, pour les fabricants locaux, d’envisager l’avenir en toute sérénité.
« Partout dans le monde, les laboratoires fusionnent. Il faut qu’ici aussi ils se rapprochent, estime Tahar el-Materi. En effet, la taille des unités est très inégale et ne permet pas d’avoir la visibilité et les moyens nécessaires pour assurer les objectifs de diversification dans le domaine de la biotechnologie et d’amélioration des performances d’exportation. Il sera donc indispensable de passer à une étape de fusion, essentielle si l’on veut atteindre la taille critique requise pour relever ces défis. » Un point qui fait consensus, tant du côté des acteurs institutionnels que des privés tunisiens.
Les plus gros d’entre eux exportent déjà vers les pays voisins, notamment en Algérie, dont le système d’assurance santé couvre 33 millions de consommateurs potentiels. « Un marché au moins trois fois plus grand qu’en Tunisie », s’enthousiasme Lassaad Boujbel, le PDG de Medis. Son laboratoire a acquis 50 % du capital de l’algérien Inphar, fin 2006, et vient d’être enregistré en Libye. De son côté, la Siphat a vu ses exportations bondir de 112 % cette année et compte bien faire mieux en 2009. Autres débouchés à l’export : l’Afrique subsaharienne francophone (Côte d’Ivoire, Sénégal…), intéressée par la qualité et les petits prix des médicaments tunisiens, les pays du Golfe mais aussi l’Europe – déjà bonne cliente – et les États-Unis.
Le pari de l’innovation
Le dernier défi que s’est lancé la Tunisie : investir dans la biopharmacie. Un pari de taille, au vu de la genèse de l’industrie locale caractérisée par la sous-traitance et un environnement protégé. Jusqu’ici, l’innovation pharmaceutique n’a pas été la priorité des laboratoires tunisiens, faute de moyens technologiques et financiers – alors que les laboratoires internationaux réservent entre 15 % et 20 % de leurs revenus à la recherche et développement (R&D). Un premier pas en ce sens s’esquisse avec le projet Sidi Thabet BiotechPole : 112 hectares dédiés à la promotion de la R&D tunisienne. Reste à achever les travaux et à convaincre les investisseurs. La santé n’a pas de prix… mais elle a un coût.
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